Les crises climatiques, économiques, sociales, écologiques nous interrogent, mais souvent nous sommes désarmés, anxieux, paralysés… Un peu comme un réflexe, nous nous rassemblons en ateliers en novembre 2023, pour réfléchir et agir autour d’une question : à quoi tenons-nous ? Et les premiers champs se dessinent : des moyens communs de subsistance — éducation, santé, l’espace public — pour cimenter notre société ; une production des conditions matérielles de vie indissociables de celles qui engendrent le vivant ; la possibilité de s’émerveiller devant les arts, ou les choses et d’être surpris… S’intéresser aux accélérations lors de la déambulation sur les rives de la Charente est une manière d’approfondir ces idées et de préciser des actions possibles.
Alors, pourquoi déambuler ensemble sur le boulevard de la Libération à Rochefort-sur-Mer ?
Le climat de la Terre s’emballe, nos activités quotidiennes s’emballent aussi. L’accélération domine nos existences, puisqu’il faut aller toujours plus vite, faire 36 choses à la fois. Vivre maintenant dans l’immatérialité des réseaux numériques. Une frégate comme l’Hermione, lancée en pleine mer, voguait à 20 km/h. Aujourd’hui, un Imoca du Vendée Globe peut atteindre 75 km/h au portant. Les exemples sont nombreux dans notre vie quotidienne, évidents, qu’il n’est pas nécessaire d’en faire le catalogue.
Triste constat, la vitesse nous domine, alors qu’elle était censée nous émanciper en diminuant les temps contraints. La raison en est simple : l’accélération constante permet de maintenir le capitalisme dans un état de stabilité dynamique, en perpétuel déséquilibre, vers toujours plus d’accumulation. Sommes-nous des oiseaux de mauvais augure en disant cela ? Non, l’histoire récente de la Terre est documentée scientifiquement, avec la preuve de modifications importantes de l’environnement qui ont commencé avec la révolution industrielle. Mais c’est après la Seconde Guerre mondiale qu’a vraiment eu lieu la Grande accélération caractérisée par une période de croissance rapide de l’activité économique et avec une augmentation spectaculaire de notre impact sur l’environnement. Cette grande accélération touche la majeure partie du monde, Rochefort compris, et le quai de la Libération narre une partie de cette histoire récente.
Ici et là s’expérimente le ralentissement par esprit de résistance. C’est le cas à Vélo pour tous. Ralentir ne veut pas nécessairement dire décélérer. Cela engage plutôt à la vigilance, à choisir aussi de bifurquer afin de vivre autrement, et passer de vite à vif. Les défis environnementaux et sociaux sont grands, et ils nous dépassent dans leur démesure. Pourtant, ne nous laissons pas atteindre par la vitesse qui nous empêche de penser l’horizon du monde. Le ralentissement ne veut pas nécessairement dire aller lentement, puisqu’il s’agit de changer de tempo, cette notion musicale qui n’a rien de métrique, puisque laissée à l’interprétation du musicien.
Sur le quai de la libération, délivrons-nous de l’accélération le temps d’une expérience collective. La libération passe alors par le regard qui déconstruit les situations données comme des évidences, et qui ne le sont pourtant pas. À quelle vitesse croît un platane ? Comment coule la Charente ? Depuis combien de temps existe cette chapelle ? Qui avait-il avant la caserne des pompiers ? Pourquoi sont-ils partis ? À quelle vitesse peut-on vraiment rouler sur la D739 ? Et puis il y a des détails tels ces deux élégants pavillons et leurs cintres de brique, l’activité portuaire sur la plateforme de l’agence maritime, ces perches rouges au bord du fleuve, le motif bleu des garde-corps du pont rouge, etc. Nous allons observer autant les objets de l’accélération, que les rebuts du progrès, ces espaces et ces choses laissés pour compte du fait de leur obsolescence dans le grand jeu du capital. En nous interrogeant sur ce qui constitue les éléments du boulevard de la Libération, en le déconstruisant par le regard, nous nous délivrons des vitesses imposées et commençons à repenser notre rapport à l’accélération.
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