Le littoral obéit à des rythmes puissants qui le façonnent sous nos yeux. Le rivage, ne serait-ce que lui, est rythmique par nature avec le ressac des vagues, le marnage ou encore le cycle des saisons. Or, s’il est difficile de délimiter clairement l’espace littoral hormis comme étant compris entre un avant-pays maritime et un arrière-pays terrestre, il est possible d’affirmer son rôle d’interface sous influence de ces milieux et de leurs rythmes.
Si nous interrogeons les effets littoraux du changement climatique et leurs conséquences sur le déplacement du trait de côte, il est possible d’inverser la réflexion en posant le problème non plus dans l’espace, mais dans le temps. Dès lors, nous nous trouvons face à trois grands rythmes : les évènements naturels brusques ou progressifs d’une part, les pratiques littorales saisonnières d’autre part et enfin les projets d’aménagement censés remédier à la vulnérabilité des côtes. Dans des milieux naturels en perpétuelle évolution, au sein de paysages vécus et perçus, l’hypothèse qui sera développée ici est celle de l’existence de métarythmes littoraux associant des rythmes naturels et sociaux. Si ces métarythmes existent, il est certainement possible d’agir sur un ou plusieurs de ses composants pour les modifier dans leur ensemble. L’ambition poursuivie ici est bien celle de l’adaptation littorale au changement climatique.
La variété des littoraux étant très grande, l’aire de référence considérée est celle du littoral de Charente-Maritime. Ce littoral s’étire sur 170 km et se caractérise en grande partie par des côtes d’altimétrie basse et plates, soumises à l’érosion marine et à la submersion, par des iles et des estuaires, des dunes et des falaises calcaires. Cette aire a particulièrement subi les conséquences désastreuses de la tempête Xynthia en 2010.
Plan
1. Temporalités littorales
1.1. Fluctuation historique et saisonnière de l’espace littoral
1.2. Une approche rythmique du littoral
1.3. Paysages littoraux entre climat et culture
2. Le temps de la transformation
2.1. Temporalité des phénomènes naturels, risques et effets du changement climatique
2.2. Le temps des projets d’interface terre mer
2.3. Changer les métarythmes pour changer les effets du changement climatique
Changer le climat ?
1. Temporalités littorales
1.1. Fluctuation historique et saisonnière de l’espace littoral
Intéressons-nous tout d’abord au trait de côte qui correspond à la laisse des plus hautes mers dans le cas d’une marée astronomique de coefficient 120 et dans des conditions météorologiques normales. Or la position du trait de côte est mobile par nature. L’érosion et l’élévation continue du niveau de mer tendent à le faire reculer dans les terres, tandis que l’accrétion (dépôt d’alluvions) et l’élévation de la plaque continentale poussent pour l’avancer. Le niveau de la mer était 100 m plus bas il y a 10 000 ans et a dépassé le niveau actuel voici moins de 3 000 ans. À l’époque gauloise, le rivage charentais était plus reculé pour former les golfes des Pictons et des Santons (les tribus qui en habitaient les rivages). Depuis, le retrait de la mer associé à la poldérisation et l’assèchement des marais ont permis l’anthropisation de nouvelles terres. Aujourd’hui, nous sommes confrontés au phénomène inverse d’érosion marine qui induit un recul du trait de côte. Ce recul est accentué par les tempêtes saisonnières ; chaque tempête voit le trait de côte reculer en de nombreux endroits de plusieurs mètres. La tempête Xynthia (2010) ou les tempêtes de l’hiver 2013/2014 ne sont pas exceptionnelles en elles-mêmes puisque les études historiques montrent que 30 tempêtes du même type ont dévasté le Poitou en cinq siècles (il faut lire à ce sujet l’excellent livre « Les dérangements du temps » d’Emmanuel Garnier). Nous pouvons donc observer une variation sur des temps longs, eux-mêmes composés de cycles saisonniers arythmiques de tempêtes et de submersions temporaires.

Le trait de côte est fluctuant par nature comme le montre le cas de Brouage. À partir du XIVe siècle, le port de Brouage devint un des plus importants d’Europe pour le sel et le roi Henri III en fit une ville royale qu’il fortifia en 1578. Mais au XVIIe siècle, la baisse du niveau de la mer et de l’envasement du petit estuaire à l’embouchure duquel la ville était bâtie entraina son déclin : l’horizon maritime s’éloigna de plusieurs kilomètres pour laisser place à une étendue de marais. L’histoire de ce port maintenant au milieu des terres démontre s’il le fallait la mobilité du rivage.

Vue aérienne de Brouage (2015)

1.1.1. Fixation artificielle du trait de côte
Il ne faut pas confondre rivage et trait de côte. Longtemps, le rivage fut délaissé par l’homme du fait de son insalubrité. Il faut dire que la frange littorale étant alors essentiellement constituée de marais formant une large marche sans délimitation stricte entre les milieux marin et terrestre. Ces mêmes marais - et tout particulièrement le marais poitevin - avaient commencé à faire l’objet d’une lutte spirituelle contre une nature hostile avec leur assèchement dès le Moyen-Âge.

Il faudra attendre le XVIIe siècle pour que le rivage commençât à constituer un enjeu politique et militaire de défense des frontières maritimes de France. Comme les frontières maritimes du royaume demeuraient méconnues en détail, Colbert demanda en 1662 à l’Académie des Sciences que soit dressée une cartographie exacte du royaume avec l’établissement d’un canevas astronomique qui aboutira à la publication en 1693 d’un atlas : le « Neptune françois ». Mais déjà, une cartographie plus fine à vocation militaire était à l’œuvre : La Favolière dressait les cartes du Bas Poitou, de Saintonge et Guyenne de 1670 à 1677 tandis que Claude Masse réalisera dès 1679 des aménagements de fortifications pour l’ile de Ré, Bayonne, et Rochefort tout en menant de front ses travaux cartographiques. Le rivage n’était plus une vague limite mais se réduisait désormais à l’épaisseur d’un trait. Grâce à la première triangulation géodésique de la France, Cassini de Thury présenta en 1744 un tracé du littoral proche de la réalité. En moins d’un siècle, le trait de côte était « fixé » par la cartographie qui depuis ne cesserait de faire des progrès en précision.

Extrait du Neptune François

Il est intéressant de remarquer que cette précision cartographique fut précédée de peu par la relance de la poldérisation dans le bas-Poitou, entre autres du Marais de la Petite Flandre (1607) situé au-dessus de Rochefort, sous la houlette avisée d’ingénieurs et d’investisseurs hollandais. Parallèlement le royaume entreprenait l’assèchement des marais et ce mouvement s’accompagna de la réalisation de nombreuses levées et digues de terre pour ourler ces terres nouvellement gagnées pour l’agriculture et l’élevage. La fixation de la limite du rivage passait déjà par des aménagements physiques. L’implantation du grand arsenal maritime à Rochefort en 1666 ne fit que renforcer le besoin de connaitre et fixer ces rivages stratégiques.
1.1.2. L’artificialisation progressive du littoral
Dès 1810 un décret impérial imposait la « fixation » des dunes dans tous les départements littoraux. Après avoir assagi les marais littoraux, il fallait s’attaquer au dernier rempart de la mobilité du rivage que sont les cordons dunaires, systèmes sédimentaires mobiles par essence. La redécouverte par l’aristocratie anglaise de la pratique antique du thermalisme et des vertus de l’eau salée traverse la Manche. La duchesse du Barry se baignera à Dieppe en 1814 où y seront construits les premiers bains chauds avant que cette pratique ne se répande sur les côtes de la Manche et de l’Atlantique, à La Rochelle en 1826 entre autres. S’ensuit la naissance des stations balnéaires accompagnée de l’invention d’un paysage pittoresque réglé parallèlement au rivage : la grève devient « la plage » et derrière la promenade du bord de mer s’alignent peu à peu des villas, casino, bains…
Dès 1818, un bateau à vapeur effectue le trajet Bordeaux - Royan pour les estivants bordelais, puis en 1825 les premières cabines de bains et les plages aménagées, en 1875, Royan est raccordée à la ligne de chemin de fer Paris Bordeaux par la Compagnie des chemins de fer de la Seudre. À Fouras, le chemin de fer arrive en 1873 et entraine un essor immédiat de sa fréquentation touristique. Un casino y sera inauguré dès 1886. Puisque l’aménagement littoral repose au XIXe siècle sur le chemin de fer, la compagnie des chemins de fer des Charentes acheta en 1877 des terrains littoraux à Châtelaillon-Plage, y établit une halte ferroviaire et édifia les premiers lotissements. En 60 ans, la Charente inférieure avait vu naitre et prospérer ses trois stations balnéaires. Cette mutation est triple : un changement d’usage du rivage par des baigneurs venant d’ailleurs, une urbanisation littorale sans précédent qui n’arrêtera plus jamais son expansion, et surtout l’apparition d’une saisonnalité touristique avec une croissance démographique estivale dont le corolaire est un délaissement hivernal.

Scanné par Claude_villetaneuse — Collection personnelle, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=30438515



Désormais, au rythme naturel des grandes marées et des tempêtes se superposait un rythme touristique. La promotion d’un tourisme populaire après la Seconde Guerre mondiale va parfaire l’urbanisation au plus près du rivage le long du littoral atlantique. Résidences secondaires, campings et centres de vacances vont s’installer dans le paysage de manière désorganisée. L’artificialisation du littoral repose dès lors sur deux ressorts : l’urbanisation inconsidérée du rivage d’une part, mais aussi - et peut-être avant tout - sur la construction d’un imaginaire littoral.
Cette représentation du littoral puise sa source dans l’essor des « bains de mer » puisque les artistes ont considérablement participé à la médiatisation des bains de mer en suivant le « Tout-Paris ». Les descriptions littéraires et picturales, empruntes de romantisme, auront une importance capitale dans la constitution d’un imaginaire balnéaire. Gustave Courbet peignant la mer majestueusement mais aussi Émile Zola s’entichant de la photographie naissante à Royan dès 1886. Cet imaginaire s’est renforcé au fil du XXe siècle avec l’essor du tourisme et le marketing publicitaire tout en réduisant considérablement la variété des éléments de paysages littoraux à quelques archétypes : les plages sous un soleil estival, la mise en scène des belles villas faisant théâtralement face à l’océan, les sentiers des douaniers devenus lieux de promenade… Cette imagerie conditionne non seulement notre regard mais aussi notre rapport de proximité au rivage.
1.1.3. Se défendre contre la mer
D’une gestion des terres agricoles conquises sur la mer, les défenses maritimes ont pris au cours du XXe siècle un sens nouveau par la protection d’un littoral récemment urbanisé, et le recours à un art constructif pour s’opposer à l’érosion et à la submersion des côtes d’une altimétrie basse, meubles ou friables. La doctrine élaborée patiemment préconise des ouvrages lourds tels les épis, enrochements, brise-lames ou encore des digues et autres levées… De multiples ouvrages qui participent à la fabrication d’un véritable bouclier contre la mer et la constitution d’un paysage défensif bien loin de l’idéal romantique.

Défense marine aux Boucholeurs (Châtelaillon-Plage)

Cette doctrine était initialement vertueuse en mettant successivement en avant trois principes : éviter le risque, résister pour retarder voire empêcher la pénétration de l’eau, céder en acceptant que l’eau pénètre, en mettant en place des mesures visant à réduire les dommages et le temps de retour à la normale. Dans les faits, c’est l’option de la résistance à tout prix est plébiscitée par les populations. Or, une notion couramment utilisée en économie, l’aléa moral (ou moral hazard), désigne un effet pervers qui veut qu’un acteur, isolé d’un risque, se comporte différemment que s’il était exposé au risque. Le concept appliqué ici veut que l’entretien des ouvrages existants et la réalisation de nouvelles digues aient pour effet de laisser croire à une poursuite possible de l’urbanisation littorale.
Une nouvelle pensée de la gestion du littoral émerge depuis quelques décennies consistant à vivre avec les aléas météo marins pour mieux s’en protéger. Elle incite à repenser un système géographique hautement dynamique où interagissent rivage, littoral et rétro littoral. Elle reste néanmoins très largement dominée par la doctrine de la défense côtière.
1.2. Une approche rythmique du littoral
Le littoral se comprend mieux dans le temps que dans l’espace. Pour l’expliquer, il faut à la fois remonter dans le temps par une approche historique comme nous venons de le faire et reconnaitre au présent le caractère profondément mobile de cet espace.
Quels sont ces rythmes littoraux qui emboitent différentes échelles temporelles ? Tout d’abord, le plus naturel reste celui de la marée astronomique qui deux fois par jour fait se découvrir l’estran. Ce premier rythme en implique d’autres avec les usages récréatifs de la plage, les bains de mer et la pêche à pied. Il influence la vie économique et sociale des ports avec la pêche et le nautisme. Ce premier rythme cyclique se combine avec celui des coefficients de marée dont les plus grandes sont gage généralement de tempêtes. Ce dernier rythme se combine avec le rythme des saisons sans toutefois qu’une corrélation exacte ne s’établisse. Ces rythmes naturels dominants, de par leur nature cyclique annuelle, font oublier qu’il existe des dynamiques littorales possédant des temporalités plus longues telles l’occurrence des tempêtes (avec une moyenne de 30 ans pour la côte atlantique).

Gustave Courbet, "La mer orageuse" ou "la vague" (1870)

1.2.1. Des rythmes littoraux
La saisonnalité littorale est primordiale dans l’usage du littoral par le tourisme mais aussi pour l’activité économique à forte valeur symbolique que représentent les cultures marines (mytiliculture, ostréiculture et marais salants) et la pêche. Les appropriations symboliques du littoral sont récréatives d’une part, et économiques d’autre part, entre ceux qui usent des lieux et ceux qui les exploitent. Les rythmes récréatifs sont en eux-mêmes variés : occupation à l’année pour les retraités, ponctuelles pour les possesseurs de résidence secondaire, sur une large plage estivale (allant de mai à octobre) pour le tourisme culturel et concentrés sur les mois de juillet d’aout pour un tourisme familial et balnéaire. Ces rythmes sont eux-mêmes habités par d’autres rythmes, ne seraient-ce que quotidien : la plage l’après-midi (que la marée soit haute ou basse n’y change rien), les longues soirées d’été passées entre amis… D’autres rythmes plus mineurs mais très symboliques existent liés par exemple à la pêche à pied lors des grandes marées ou encore à l’organisation de festivités particulières (festival des Francofolies de La Rochelle par exemple). Ces rythmes-là sont issus de pratiques sociales qui influencent considérablement les perceptions du littoral et ce point sera crucial dans la suite de cet article.

Source : http://www.instinctaddict.fr/details-les+francofolies-185.html

L’énumération des rythmes littoraux, qu’ils soient d’origine naturelle ou sociale, n’apporte pas en elle-même une information suffisante sur le système rythmique côtier et il est beaucoup plus intéressant de se concentrer sur l’association combinatoire de ces rythmes. Il est possible de postuler qu’il existe des méta-rythmes nés de la combinaison de deux ou plusieurs des rythmes déjà énoncés. La marée haute des grandes marées n’intéresse que peu de monde même si elle est souvent synonyme de gros temps et d’érosion côtière. Leur marée basse ne le serait pas plus s’il n’y avait la pêche à pied qui reste une activité prisée des connaisseurs. C’est bien une pratique sociale liée à la récolte des « fruits de la mer » qui révèle aux yeux du plus grand nombre le phénomène naturel de la grande marée et non l’inverse. Les effets de l’érosion hivernale ne sont connus qu’au printemps lorsque les dunes et falaises recommencent à être fréquentées. Il s’agit là d’un rythme « découvert » ponctuellement plus que perçu en continu.
Les marées et encore la saison touristique obéissent à un fonctionnement rythmique singulier. Puis viennent les méta-rythmes où des rythmes entrent en interaction selon des combinaisons particulières. La réunion de rythmes singuliers provoque une polyrythmie qui préserve leur intégrité dans un ensemble dirigé par un rythme de second degré, un rythme de rythmes. Prenons l’exemple de la marée en été. C’est massivement la marée de l’après-midi qui va attirer le plus grand nombre d’estivants alors que la marée nocturne passera totalement inaperçue pour eux tandis qu’elle sera prisée par les marins-pêcheurs. Toutes les combinaisons forment une polyrythmie sans que cette dernière compose nécessairement un rythme de second degré. Pour prendre un exemple simple, la coprésence du rythme de la vague et du mytiliculteur ne forme pas en soit un rythme de second degré, tandis que cette même vague entre particulièrement en résonance avec la présence du surfeur. Le méta-rythme surf pourrait se définir de la manière suivante : il n’y a pas de surfeur sans vague, ni de belles vagues sans surfeurs. Les méta-rythmes se caractérisent par une composition interne répondant à la combinaison des rythmes qu’il intègre. Or, pour reprendre l’exemple du surf, s’il n’est pas possible d’agir sur la vague, il est possible d’agir sur la présence du surfeur. Cette action est susceptible de modifier la composition du méta-rythme « surf » et donc de le modifier (il faut lire à ce sujet « Entretien » publié dans « G. Deleuze, Pourparlers », 1990, p. 165).
Desceller les méta-rythmes littoraux relève dès lors d’une grande importance dans l’association des rythmes naturels et des rythmes sociaux. L’idée qui se profile derrière est simple : s’il n’est pas possible d’agir sur les rythmes naturels tels l’occurrence des tempêtes, il pourrait être avantageux de recourir à un méta-rythme englobant ce rythme et agir sur ses autres composants. Cela nécessite bien entendu un long et patient travail de reconnaissance des méta-rythmes littoraux. Si les exemples précédents ne comprenaient qu’une association, il est très probable d’approcher des méta-rythmes bien plus complexes.
1.3. Paysages littoraux entre climat et culture
À Royan, un arrêté municipal de 1820 stipule qu’il est interdit de « laver les cochons, les chevaux et autres bestiaux à la mer au moment où l’on prend les bains ». Voilà qui pose la coexistence parfois délicate de rythmes liés à des pratiques sociales et de leur perception.
1.3.1. Perception
Le littoral en lui-même ne se sait pas qu’il est rythmique. Il n’y a des rythmes littoraux que par la perception de la récurrence des évènements naturels que les hommes organisent selon des temporalités liées à leurs propres contingences. Le mouvement des marées est dû à la rotation astronomique de la lune dont le cycle provoque une récurrence. Si la marée est elle-même cyclique, le rythme est ce que nous en percevons en lui donnant du sens. En d’autres termes, les rythmes que nous décelons temporalisent les phénomènes maritimes. L’observateur du littoral crée ce paysage sans pour autant abandonner son rôle de témoin extérieur aux phénomènes à l’œuvre : il s’opère un dédoublement où l’observateur est saisi par les rythmes des éléments naturels en même temps qu’il les construit.
Or ce que nous descellons de ces rythmes construit des paysages culturels au sens ou ils forment un tout à partir de la perception d’une interrelation entre des rythmes naturels et des pratiques sociales mais aussi des occupations anthropiques. La Convention européenne dite « de Florence » (2000) définit le paysage comme « une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations ». Les paysages culturels sont définis par l’UNESCO comme les paysages définis et créés intentionnellement par l’homme, les paysages évolutifs, et les paysages culturels associatifs. Bien que cette dernière définition s’applique à des sites très spécifiques relevant d’un intérêt international, elle est éclairante sur les différentes interactions possibles entre une société et son environnement pour former les paysages culturels ordinaires. Les paysages littoraux tiennent surtout des deux dernières définitions : paysages évolutifs vivants, ils conservent un rôle social très actif, et paysages culturels associant des phénomènes artistiques ou culturels à l’élément naturel.
Sur des territoires littoraux fortement anthropisés, tout est paysage culturel car perçu et modifié de longue date. Le paysage est alors assumé comme un ensemble de signes qui sont autant de reflets incomplets et déformés de signifiés naturels. Or l’intuition nous pousse à penser que les paysages culturels sont le reflet des méta-rythmes littoraux, qu’ils offrent au regard de l’observateur l’image arrêtée de ces méta-rythmes en mouvement.
Hier, la mer faisait peur au point d’accrocher des exvotos dans les églises lors de procession, ce qui est une expression culturelle. Aujourd’hui, nous nous rassurons en édifiant et rehaussant des digues sur toutes les côtes à risque, ce qui affecte considérablement les paysages culturels. Demain, peut-être apprendrons-nous à vivre avec les aléas naturels - ce qui n’empêche pas une gestion technique dans la réduction des vulnérabilités - mais dans des paysages culturels renouvelés.
Cette construction collective des rythmes se trouve aidée par la présence de marqueurs temporels sur le littoral. Phares, ports de pêche, bunkers échoués sur la grève, paillotes et autres boutiques de bord de mer, écoles de voile… Sont autant de marqueurs temporels qui renvoient tout à la fois à une histoire longue (le caractère patrimonial des phares par exemple), mais aussi des rythmes saisonniers et quotidiens. Une digue fixe permet par exemple de mieux mesurer l’état de la marée qu’un cordon dunaire dont la position dans l’espace reste plus floue. La perception des rythmes littoraux s’appuie sur ces marqueurs. Il est donc possible d’en inventer de nouveaux où de reconditionner ceux qui existent pour permettre la perception de nouveaux rythmes.

Si les effets du changement climatique ont des conséquences sur les milieux, notre perception de ces milieux changera. D’autre part, les démarches d’adaptation modifieront considérablement notre regard et notre représentation des paysages littoraux.
1.2.2. Adaptation
Depuis les accords de Kyoto (1997), les politiques internationales ont porté essentiellement sur l’atténuation du changement climatique par la réduction des gaz à effets de serre et la production d’énergie renouvelable. Alors que les constats et les prévisions du GIEC se font de plus en plus alarmants sur le réchauffement planétaire, l’adaptation apparait de plus en plus comme une solution à mettre en œuvre. L’adaptation fut précisée dès le 3e rapport d’évaluation du GIEC (2001) comme « l’ajustement des systèmes naturels ou humains en réponse à des stimulus climatiques ou à leurs effets, afin d’atténuer les effets néfastes ou d’exploiter des opportunités bénéfiques ». Cette définition est importante car elle met en avant l’ajustement et non la transformation. L’atténuation tend à modifier les rythmes naturels en réduisant l’atteinte au climat, et par répercussion la réduction de l’occurrence et de l’intensité des évènements liés au changement climatique. L’adaptation, quant à elle, cible bien plus les rythmes sociaux puisqu’elle engage à des changements de pratiques autant qu’à des ajustements physiques d’occupation des milieux.

Une approche temporelle du littoral répond à la problématique d’un espace soumis à d’importantes fluctuations et dont l’explication première se trouve intuitivement le temps et en particulier dans la reconnaissance de rythmes spécifiques. La question qui se pose dès lors est de savoir de quelle manière agir sur ces rythmes. Reprenant le postulat de l’existence de méta-rythmes qui privilégient l’association de rythmes naturels et de rythmes sociaux, nous devons nous interroger la révélation des méta-ryhtmes les plus pertinents, leur perception incluant le recours à des marqueurs temporels et la nécessité de modifier certains composants pour modifier les méta-rythmes eux-mêmes.

D’autre part, tout projet d’adaptation est un rythme en lui-même. Il obéit à l’enchainement classique de tout projet : conception, concertation et autorisations administratives (facultatives), phasage et mise en œuvre sur un temps donné. Il s’inscrit donc dans la rythmique des autres phénomènes.
2. Le temps de la transformation
Pour aborder le temps de la transformation, il faut tout d’abord observer les effets rythmiques du changement climatique. Ensuite une relecture temporelle et rythmique sera faite de deux projets d’adaptation en Charente-Maritime. Enfin, ces exemples nous permettrons d’envisager une intervention sur les méta-rythmes qui le compose, et au-delà, la coconstruction d’un paysage culturel littoral évolutif.
2.1. Temporalité des phénomènes naturels, risques et effets du changement climatique
Les six principaux enjeux liés au climat pour notre aire d’étude sont issus de l’étude « Stratégies territoriales d’adaptation au changement climatique dans le grand sud-ouest », de la Mission d’étude et de développement des coopérations interrégionales et européennes pour le Grand Sud-ouest (2011). Rappelons que le changement climatique exacerbera des risques naturels déjà présents en entrainant une extension des zones exposées.
2.1.1. Enjeu 1 : L’adéquation entre ressource, demande et préservation de la qualité de l’eau
Le changement climatique va amplifier les conflits d’usage de l’eau. La baisse importante des précipitations dans l’ouest de la France s’opposera aux usages estivaux touristiques et agricoles. La montée du niveau de la mer pourrait également s’accompagner d’un déplacement du biseau d’eau salée et par des intrusions salines dans les aquifères. Face à une ressource en eau douce en diminution, la population littorale ne cesse de croitre liée en grande partie à l’établissement de jeunes retraités et donc d’une occupation à l’année. Dès aujourd’hui, des restrictions préfectorales frappent une partie des départements littoraux en période estivale. C’est durant cette période que la fréquentation touristique est la plus forte et que l’agriculture à recours à l’irrigation pour lutter contre la sècheresse. En matière d’usages anthropiques, la pression risque de s’accroitre sur la ressource en eau potable malgré une politique de réduction des consommations. En matière agricole, le recours à des cultures moins gourmandes et des semences plus résistantes à la chaleur pourrait diminuer les besoins. Mais il ne demeure pas moins vrai que l’équation « plus de ponction et moins de ressource disponible » posera un problème.

En regardant cet enjeu sous l’angle des rythmes, il est possible d’envisager une désynchronisation des demandes en étalant la saison touristique (ce qui semble en partie difficile puisqu’en relation directe avec les rythmes scolaires) ou en modifiant la période des cultures (des printemps plus précoces et des semences plus véloces peuvent permettre une récolte en début d’été puis des cultures plus frugales par la suite). Cela ne règlera malheureusement pas le problème du rechargement annuel des nappes (en période hivernale). Faudra-t-il un jour moduler la capacité d’accueil du littoral en fonction du niveau des nappes phréatiques ? Faut-il au contraire accélérer l’innovation en matière de dessalinisation de l’eau de mer pour permettre sa consommation ?
2.1.2. Enjeu 2 : Le déport du trait de côte et ses conséquences sur l’urbanisme et les zones naturelles
Le cinquième rapport du GIEC (hyp. RCP 8.5 qui est la plus pessimiste) prévoit une élévation du niveau de la mer comprise entre 0,52 et 0,98 m en 2100. Cette élévation aura pour conséquence une submersion à terme (transgression marine) d’une partie du littoral urbanisé, de certains espaces agricoles côtiers et en profondeur dans les terres les plus basses que sont les marais. D’autre part, le risque d’inondation et de submersion marine temporaire sera renforcé avec une vulnérabilité accrue des activités et des biens fortement exposés. Ces deux phénomènes combinés vont conduire à l’accentuation de la réduction des plages avec la disparition des plages de poche.

En termes rythmiques, ces phénomènes s’emboitent puisque le risque de transgression s’étire sur un temps long tandis que le rythme des tempêtes varie entre les tempêtes annuelles classiques et les tempêtes exceptionnelles dont l’occurrence moyenne est de 30 ans environ. Cette fluctuation du tracé du trait de côte répond donc à un rythme complexe et en partie imprévisible. S’il n’est pas possible d’agir sur le phénomène lui-même, il est en revanche possible de réduire la vulnérabilité dans le temps des personnes. Peut-on envisager d’évacuer les zones à risque lorsque le danger se profile ou de sensibiliser la population au préalable des gestes qui sauvent ? Pour conjurer les occurrences incertaines, faut-il organiser des exercices annuels pour maintenir la vigilance de la population et des services de secours?

Le rythme des tempêtes et donc de l’érosion et des submersions temporaires ne doit pas masquer celui beaucoup plus lent de la transgression marine. Sur les côtes altimétriquement basse et étales, et en effaçant les ouvrages de défense côtière, le risque d’immersion de terres habitées est réel. La conscience populaire a pu retenir le souvenir de cités englouties depuis la célèbre « Critias ou l’Atlantide » de Platon, et plus proche de nous Antioche sur la rive occidentale de l’Ile de Ré ou encore Ys en Basse Bretagne. Le point commun de ces mythes est la brutalité de la submersion définitive de cités naguère florissantes. Entre un passé fantasmé et un avenir incertain, il semble difficile d’exprimer objectivement ce risque d’autant que Xynthia, le dernier évènement en date, a fait s’engager d’importants travaux de défense sur la côte atlantique, engageant un sentiment de sécurité pour les populations concernées. Néanmoins, l’affirmation de ce rythme long pris comme prévision scientifique avérée doit être une priorité dans l’adaptation au changement climatique. Une surélévation du niveau de la mer d’un mètre à la fin du siècle (ce qui correspond au scénario le plus sombre du GIEC) nécessiterait en la surélévation des défenses côtières actuelle de 2 à 3 mètres pour ternir compte de la houle. Nous voyons très vite le caractère intenable de cette solution.
2.1.3. Enjeu 3 : La préservation du potentiel adaptatif de la biodiversité
La portion de façade maritime observée comporte des milieux riches et variés - estuaires, marais littoraux, cordons dunaires, forêts, bocage… - qui sont autant de milieux riches reconnus pour leur biodiversité (dont des zones Natura 2000 et Ramzar). Il existe un risque de disparition de certains milieux, l’assèchement des zones humides par exemple, ou encore l’apparition d’espèces envahissantes. La principale conséquence du changement climatique pour l’environnement va être la diminution ou le déplacement des marais et des zones humides avec des conséquences notoires en matière de biodiversité et d’écrêtage de crues. Les effets du changement climatique auront des conséquences sur les milieux engageant les écosystèmes vers une transformation inéluctable tant que leur résilience est possible. La capacité des écosystèmes à supporter les changements climatiques locaux associés aux atteintes anthropiques (fragmentation écologique, pollution…) est très difficilement prévisible localement, bien que globalement nous sommes surs d’une adaptation « naturelle » par modification de la distribution des espèces ou variation de la diversité biologique.

Ces espaces naturels sont soumis à des pressions importantes, liées à l’urbanisation, aux activités économiques et au tourisme. La fragilisation de la biodiversité réduit son potentiel adaptatif et certaines espèces sont déjà identifiées comme particulièrement sensibles au changement climatique. Sur des territoires en forte concurrence entre les espaces préservés, l’urbanisation et l’agriculture, et soumis à des stress climatiques de plus en plus importants, il n’est pas sûr que le potentiel adaptatif de toutes les espèces soit préservé. En termes rythmiques, cela se comprend par la saisonnalité (dont la période de reproduction est la plus importante) les migrations et les déplacements des aires de répartition des différentes espèces.
2.1.4. Enjeu 4 : Un urbanisme qui répond aux objectifs d’atténuation et d’adaptation
L’urbanisation se concentre sur la façade atlantique et son rythme de construction reste soutenu malgré des protections environnementales de plus en plus affirmées. L’adaptation de l’habitat - neuf comme en réhabilitation - et de l’urbanisme doit être réalisée en cohérence avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (couplage de l’adaptation et de l’atténuation). Les principales conséquences du changement climatique pour l’urbanisation vont être des épisodes d’inondation plus fréquents (crues lentes, rapides, et ruissèlement urbain), l’aggravation des effets du retrait/gonflement des argiles, les conséquences des canicules sur le confort de vie et enfin la dégradation accélérée des infrastructures à moyen et long terme.

Deux rythmes se superposent ici : celui de la récurrence des évènements climatiques extrêmes et celui de la construction et de la réhabilitation des bâtiments et des infrastructures. Un sous-rythme existe concernant la construction et la réhabilitation qui serait lié à la prise en compte de l’adaptation et de l’atténuation dans les programmes de travaux. L’ensemble forme très naturellement un méta-rythme de la vulnérabilité des constructions en changement climatique. Bien que cette question ne soit pas uniquement littorale puisque toutes les régions seront soumises à des effets du changement climatique, la pression immobilière d’une part et les risques spécifiques au bord de mer donnent une résonance considérable à ce méta-rythme.

La spécificité du littoral se situe aussi dans un très fort taux de résidences secondaires et de tourisme dont l’occupation est parfois très faible dans l’année. Ce rythme de villégiature diminue quelque peu les exigences en matière d’atténuation (les consommations énergétiques n’y sont pas très importantes) tout en renforçant des sensibilités telle l’entretien d’infrastructures à l’année pour une utilisation saisonnière. Observé sous le prisme du temps, l’urbanisation littorale apparait soudainement très peu soutenable et nécessite un débat politique important quant à son évolution.
2.1.5. Enjeu 5 : L’adaptation des productions agricoles et marines
Les impacts du changement climatique sur l’agriculture varient selon le type de culture même si la question centrale reste celle de disponibilité la ressource en eau. Le bassin conchylicole de la Charente-Maritime et de la Vendée est le premier de France pour sa capacité de production d’huitres et de moules. Enfin, la façade atlantique possède encore une flotte de pêche côtière et hauturière conséquente.

La principale conséquence du changement climatique sur l’agriculture va être l’accès aux ressources en eau plus que tout autre effet du climat avec une modification des pratiques culturales sur le long terme. D’autre part, la migration des cortèges d’espèces marines vers le nord sous l’effet du réchauffement de l’eau est certaine et les impacts économiques sur la conchyliculture et la pêche seront importants.

Ramené à la question littorale, c’est l’évolution de l’activité des ports de pêche et l’activité des mytiliculteurs et des ostréiculteurs sur le rivage qui se pose. Les rythmes des sorties en mer et des criés, ainsi que ceux des productions marines vont être amenés à se modifier. Activités emblématiques du bord de mer, elles posent dans le paysage des marqueurs symboliques qui sont primordiaux dans la constitution d’une identité littorale : les bateaux colorés dans les ports, les bassins ostréicoles, les bouchots partiellement découverts à marée basse… En matière rythmique, les productions agricoles et conchylicoles passent au second rang dans les perceptions en faisant partie du paysage en quelque sorte. Or, elles forment le second secteur économique littoral après le tourisme. Leur adaptation est donc d’un enjeu crucial dans l’avenir de ces territoires.
2.1.6. Enjeu 6 : La transition touristique
Les départements de la façade atlantique sont parmi les premiers en termes de fréquentation de touristes français. Ils tirent des ressources importantes de cette activité qui se concentre essentiellement sur le littoral et les iles. Or l’offre touristique est fondée sur des ressources très dépendantes du climat. Le changement climatique pose la question de l’évolution du tourisme sur le littoral soumis aux risques côtiers (érosion et submersion) et aux conflits d’usage autour de la ressource en eau.

La principale conséquence du changement climatique pour le tourisme va être l’augmentation du potentiel touristique estival avec un nombre de journées d’été en augmentation, soit un allongement de la saison. Ce même phénomène va aussi entrainer de conséquences négatives avec l’eutrophisation des eaux et le développement des algues vertes. Parallèlement, les risques côtiers vont entrainer une évolution notoire des pratiques touristiques de bord de mer ainsi que la nécessité de relocaliser les activités économiques les plus sensibles. Enfin, les effets du changement climatique auront un impact sur les résidences secondaires et de loisirs très présentes dans les zones les plus vulnérables.

Rythme majeur du littoral français, le tourisme au sens large va donc beaucoup évoluer pour adapter ses offres en proposant des séjours hors vacances scolaires, en développant des activités nautiques tout en relocalisant les activités trop proches de l’eau. Les résidences secondaires et de tourisme vont elles aussi devoir engager un retrait : combien de temps encore la solidarité nationale acceptera de protéger à grands frais des constructions inoccupées la plupart du temps ?

L’énoncé des rythmes littoraux ainsi que la lecture rythmique des enjeux du changement climatique pour notre aire d’étude a permis de dégager le postulat de l’existence de méta-rythmes. La nécessaire adaptation au changement climatique des zones littorales vulnérables pourrait passer par une intervention visant à modifier certains de ces méta-rythmes pour agir sur notre relation aux effets du climat. Après une reconnaissance de la nature rythmique du littoral, c’est bien vers une philosophie de l’action que nous nous tournons.

Voici donc les six enjeux d’adaptation littorale au changement climatique sur la façade atlantique : l’adéquation entre ressource et demande en eau, le déport du trait de côte, un urbanisme qui répond aux objectifs d’atténuation et d’adaptation, l’adaptation des productions agricoles et marines, et enfin la transition touristique. Ces enjeux sont les conséquences des effets attendus du réchauffement climatique (élévation de la température moyenne de l’air et de la mer et augmentation des périodes caniculaires) desquels découlent des effets secondaires tout aussi inquiétants comme l’élévation du niveau de la mer et les déports du trait de côte et du biseau d’eau salé. L’énoncé de ces enjeux prépare l’adaptation.
2.2. Le temps des projets d’interface terre mer
Deux projets d’adaptation au changement climatique retiennent l’attention sur la façade charentaise : le traitement des zones de solidarité post-Xynthia dans le cadre d’un atelier national puis régional.
2.2.1. Les suites de Xynthia en Charente-Maritime
Fin février 2010, une tempête hivernale classique, nommée Xynthia, a frappé le littoral français centre atlantique en pleine nuit, en concomitance avec un fort coefficient de marée et une période de hautes eaux. Elle a détruit des digues, fait déborder des cours d’eau et submergé de très vastes territoires insulaires et continentaux habités et agricoles, extrêmement vulnérables car souvent poldérisés au cours des siècles. Cette tempête a mis en évidence des défaillances dans la chaine d’alerte, l’anthropisation et l’urbanisation littorale excessive occultant souvent les notions de risques de submersion et d’inondation, et enfin le défaut d’entretien des digues.

L’État a rapidement pris la décision de racheter, pour les déconstruire, les biens situés dans les zones d’extrême danger. Ces secteurs ont été appelés zones de solidarité (ZDS). L’État a également créé des zones de prescriptions spéciales où les biens doivent faire l’objet d’aménagements spécifiques (niveaux refuges, ouvertures dans les toitures, mise en sécurité électrique…) pour faire face aux risques de submersion et d’inondation. Ces classements et ces opérations constituent d’une certaine manière une première étape de désurbanisation littorale, et une pièce de la gestion intégrée du littoral, qui complète les autres outils en place liés à la planification et à la gestion foncière : volets littoraux des SCoT, acquisitions par le Conservatoire du littoral et le département.

Dans les mois qui ont suivi la tempête, les services centraux du Ministère de l’Écologie ont proposé aux collectivités d’engager une réflexion partagée sur le devenir de ce littoral. Pour cela, ils ont mis à disposition du Préfet, des collectivités et des services déconcentrés, une équipe pluridisciplinaire d’experts chargée pendant six mois de construire un projet global sur l’ensemble du territoire. Mais cet Atelier national exceptionnel pratiqua un biais dans le raisonnement par l’absence de prise en compte des contraintes règlementaires et administratives dans le projet proposé. Les services déconcentrés ont pris le relai de cette réflexion en l’adaptant au contexte local, par la création de l’Atelier littoral régional dont l’objet était « l’étude des sites pour leur aménagement environnemental après déconstruction ». Les deux ateliers présentent une subite accélération de la prise en compte politique et de la réflexion paysagère sur l’aménagement littoral dans les zones à risques. L’échec opérationnel partiel du premier et les résultats mesurés du second sont aussi éloquents sur le rythme même du projet d’adaptation et kairos, l’instant propice de sa réalisation.

Le projet de l’atelier national se voulait global et progressif en regroupant les constructions nouvelles au-dessus d’un niveau d’altitude minimum, en protégeant les espaces sensibles (agricoles, zones humides et marais) par des limites pérennes et en valorisant la voie La Rochelle - Rochefort en « boulevard de la mer ». Le programme d’actions de l’atelier régional a été élaboré pour chaque commune étudiée. Sur Charron, le retour vers des zones de pâtures (renaturation) s’accompagne d’une mise à disposition du foncier pour la création de nouvelles défenses contre la mer et la création d’un pôle mitylicole. Pour Aytré, la priorité reste la reconstruction et la sanctuarisation partielle de la dune à l’image de ce qu’elle était en 1933, contribuant à la défense côtière naturelle et passive. À Port-des-barques seront créés un parc de loisir et un fossé recalibré pour faciliter le ressuyage plus rapide du village lors de submersions et d’inondations, ainsi que le creusement de bassins pour la gestion des eaux pluviales. Sur Yves / Châtelaillon-Plage seront assurées une continuité de la promenade littorale avec vue sur la baie et la création d’espaces publics de contemplation. Les zones de solidarité de Fouras, situées sur la Pointe de la Fumée (presqu'ile plate entièrement poldérisée et urbanisée en un siècle) sont destinées à lui redonner une vocation maritime avec une reconquête visuelle sur la mer des Pertuis en intégrant une « défense douce » au niveau du tombolo. Sur l’Île d’Aix, les terrains seront remis en pâture. Enfin, sur les communes de St-Pierre et St-Georges-d’Oléron, liées par un chenal, les promenades seront réaménagées, les varennes réaffectées au maraichage tout en intégrant des projets de défense contre la mer.

L’atelier National Charente-Maritime, février 2011

Extrait de l'étude sur Fouras (pointe de la fumée) - Julie Colin Paysagiste DPLG

2.2.2. Enseignements rythmiques
Ces démarches mettent en œuvre des principes rythmiques communs : un projet d’aménagement évolutif, le retour à un état antérieur, la sanctuarisation des zones naturelles et agricoles sensibles, la réversibilité des usages et la résilience à la submersion. La renaturation est par essence même une évolution lente puisqu’il s’agit de laisser la nature reprendre sa place sur des terrains précédemment urbanisés avec une intervention minimum de replantation. Elle nécessite une décennie pour arriver à maturité tout en continuant son évolution au gré des saisons. Le retour à un état antérieur - qui est un principe de restauration - nécessite une étude historique pour connaitre la succession des états et une prise de parti dans le choix de l’état retenu puisqu’il ne peut pas y avoir de retour à un état d’origine dans un paysage en perpétuelle évolution. Ce retour apparait comme un cycle ou plutôt une ondulation temporelle au sens où il ne s’agit pas d’un retour mais d’une transformation d’un état à un autre qui serait semblable à un état passé. La sanctuarisation, qui consiste à border des zones pour ne pas les empiéter ultérieurement, pourrait être considérée comme une suspension dans l’évolution de l’occupation des espaces et à l’extension de l’urbanisation en particulier. Cette suspension induit paradoxalement le maintien de la capacité d’évolution des milieux ainsi sanctuarisé. Il y a donc là une rythmique à contretemps : suspension d’un côté et évolution de l’autre. La réversibilité des usages confère aux aménagements un caractère temporaire sans que l’échéance du retour en arrière ne soit connue. Il s’agit donc d’une ondulation temporelle. Enfin, la résilience - prise comme la capacité d’un système à revenir par lui-même à un état d’origine - introduit là encore une ondulation à la survenance inconnue mais au temps de retour maitrisé de l’ordre de quelques jours. Toutes ces propositions d’action possèdent une nature temporelle tout en obéissant à des rythmes variés qui s’étalent sur des échelles de temps très différentes allant de quelques jours pour la résilience à la submersion à environ un siècle pour le retour à l’état antérieur d’une dune.

Les deux ateliers s’appuient aussi sur le paysage comme support de pratiques sociales, marqueur historique et intégrateur de protections marines (qu’il s’agisse de défenses naturelles ou artificielles). Bien que ces ateliers se soient intéressés à une tempête classique dont l’intensité ne fut pas influencée par le changement climatique, leurs résultats préfigurent ce que pourrait être une réponse aux effets induits par la dégradation du climat. Les prochaines décennies verront des atteintes directes à l’environnement et des évolutions notoires des paysages. Il est prévisible que notre rapport identitaire à ces derniers change en même temps que grandira notre capacité à les percevoir comme des ressources pour adapter les territoires aux effets du changement climatique. Le paysage est perçu comme une image arrêtée de milieux en évolution sous l’influence de différents rythmes. Il est donc aussi l’image de méta-rythmes.
2.3. Changer les méta-rythmes pour changer les effets du changement climatique
Définir des méta-rythmes n’est pas une chose aisée. Toute combinaison de rythmes peut potentiellement donner lieu à un rythme des rythmes. Un rythme se définit comme le « retour à intervalles réguliers d’un repère constant, une alternance de temps forts et de temps faibles » (Dictionnaire Le Robert, 2016). Il englobe à la fois la notion de mouvement périodique et l’allure à laquelle s’exécute une action ou se déroule un processus. « Méta » exprime « ce qui dépasse, englobe » (Dictionnaire Le Robert, 2016). Sur la base de cette simple définition, nous pouvons fixer cinq règles à la définition d’un méta-rythme :
Qu’il soit la combinaison d’au moins un rythme naturel et un rythme social.
Qu’il soit perceptible comme une entité à part entière pouvant donner lieu à des périodicités identifiables (petites et grandes occurrences par exemple).
Que la combinaison soit associative en amplifiant les conséquences d’une simple addition des rythmes initiaux. Cette amplification peut se lire soit dans la périodicité, soit dans l’intensité.
Que la présence d’un rythme dominant soit compensée par son interdépendance à au moins un autre facteur.
Que la modification d’au moins un des rythmes le composant puisse apporter un changement à l’ensemble (par le jeu de la structure interne du méta-rythme faites de relations de causalité).

Une première approche matricielle des méta-rythmes (voir annexe) révèle deux méta-rythmes. Le premier est d’ordre balnéaire qui associe le rythme quotidien des marées, les saisons climatiques, la variation des activités de bord de mer (baignade, farniente et autres pratiques récréatives) et l’occupation des installations de rivages. Il croise essentiellement des rythmes quotidiens et saisonniers, tout en composant le paysage balnéaire le plus commun : une plage à marée haute l’été, des baigneurs et des personnes étendues sur la plage tandis que quelques installations bordent le rivage (la cabane des maitres nageurs, des sanitaires, éventuellement quelques paillotes…). C’est la carte postale que les estivants retiendront de leurs vacances. Or que se passerait-il si nous modifions un des éléments comme la distance qui sépare les installations à la mer ou encore les pratiques. À la plage de Chef de baie à La Palice, la plage de poche étant insuffisante, les estivants s’installent de plus en plus sur une prairie artificielle surplombant le rivage. Ce recul, au-dessus des enrochements, modifie quelque chose localement dans le méta-rythme balnéaire : que la marée soit haute ou basse, les estivants y trouvent un espace inchangé car non soumis aux aléas de la mer, atténuant l’influence de cette dernière.
Le second méta-rythme, conchylicole, associe les saisons climatiques, la variation du trait de côte, les productions conchylicoles et agricoles, les milieux naturels et les installations du rivage. Il s’agit d’une association rythmique moins flagrante du premier regard mais réelle. Si nous considérons le caractère naturel de la Charente-Maritime avec la présence de nombreux marais littoraux et leur concurrence avec les activités conchilycoles nécessitant des installations proches du rivage, nous révélons un système de relations très fin et identitaire de ce littoral. C’est alors un autre paysage qui apparait entre nature et culture marine. Les rythmes à l’œuvre sont plus vastes, allant de la saisonnalité dans le fonctionnement hydrologique des marais ou encore les productions ostréicole et miticole, à des durées plus longues liées à l’érosion marine et à la modification lente des milieux. Agir sur un de ces rythmes peut modifier le méta-rythme. Faire par exemple des productions conchylicoles les sentinelles du changement climatique par le développement d’un tourisme culturel spécifique pourrait permettre de sensibiliser les visiteurs sur l’évolution du trait de côte et des milieux.

Ile de ré, 2014

La recherche des méta-rythmes littoraux ne fait que commencer. Elle nécessitera une approche pragmatique par l’observation du fonctionnement littoral et un partage avec les acteurs de terrain.
Changer le climat ?
L’action directe sur le climat relève des politiques d’atténuation. L’adaptation réside dans l’ajustement des pratiques sociales et des occupations de l’espace pour réduire les impacts des effets du changement climatique sur nos vies. Les projets d’adaptation littorale en Charente-Maritime s’appuient sur une modification des paysages pour augmenter la résilience des zones concernées tout en diminuant leur vulnérabilité. Ces actions possèdent une nature rythmique prononcée en employant des processus de retrait progressif, de renaturation ou encore de retour à un état antérieur. Elles démontrent de manière empirique la relation qu’il existe entre le paysage comme représentation et les rythmes qui le composent. Faisant un pas en avant, nous constatons le caractère évolutif des milieux littoraux sur des temps très longs, historiques, comme sur des temps plus brefs liés à la saisonnalité. Or les temporalités en coprésence sont rythmiques par leur récurrence ou leur célérité. Notre postulat consiste à révéler la présence de méta-rythmes qui seraient la combinaison de rythmes naturels et sociaux dont les paysages seraient les images. L’intervention sur l’un des composants d’un méta-rythme pourrait faire évoluer cette composition d’ensemble. Dès lors, cela ouvre la voie pour une adaptation au changement climatique par les rythmes littoraux, en ajustant les rythmes sociaux et d’occupation pour modifier ces mêmes méta-rythmes.

Dans le système enjeux littoraux du changement climatique, action sur les méta-rythmes, modifications induites des perceptions et des représentations (construction des paysages), chaque terme influence les deux autres. La modification des méta-rythmes devient une stratégie d’adaptation. Si les causes du changement climatique sont globales (à l’échelle de la planète), leurs effets sont locaux bien que peu visibles pour l’instant même si ce constat évolue malheureusement rapidement. L’examen local de ces risques climatiques évolutifs, cumulatifs et globaux, pousse à différencier les rythmes qui y sont associés : la marée quotidienne qui participe à l’érosion, la saisonnalité des activités humaines et des tempêtes, l’évolution sur quelques années des milieux, le rythme de l’urbanisation et des documents de planification de l’ordre d’une décennie, les défenses contre la mer qui s’inscrivent dans une durée encore plus longue et l’évolution de trait de côte qui elle s’inscrit dans des temps historiques (même si son évolution se réalise imperceptiblement et quotidiennement). Les rythmes littoraux possèdent des temporalités différentes qu’il faut mettre en regard des projections des effets du changement climatique. Or s’adapter pour demain nécessite de changer le présent, non par anticipation, mais pour tenir compte des échelles de temps des différents rythmes littoraux. C’est bien l’enseignement des projets de relocalisation littorale que l’État a mis en place dans le cadre de la stratégie nationale de gestion du trait de côte : les projets prennent beaucoup de temps à se mettre en place puis vient le temps de la modification des choses.

Il y a donc urgence à agir pour demain. L’entrée par les méta-rythmes peut donner lieu à une réflexion alternative et à une efficacité de l’action insoupçonnée en agissant simultanément sur les rythmes sociaux et d’occupation. Il ne s’agit pas de changer le climat, chose qui apparait de plus en plus prétentieuse, mais de changer notre rapport au climat. Il convient d’inventer les paysages littoraux d’un changement climatique acceptable, sous-tendus par un travail en profondeur sur les rythmes qui le composent.
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