La première pierre du Musée de l’accident a été lancée le 1er avril 2021 dans la rade de La Rochelle avant même d’avoir un projet d’architecture. Et quand on m’a demandé de préparer une esquisse pour l’enfermer dans une bouteille et la jeter à la mer à l’occasion de cet événement, j’étais bien embarrassée.
Le projet n’en était qu’à son premier stade d’une longue gestation, et j’ai naturellement pensé que la meilleure chose à faire était de montrer une radiographie de mon cerveau à l’intérieur duquel elle avait commencé à se former, ou plutôt se formuler, cette idée du musée de l’accident. Grâce à des logiciels sophistiqués et algorithmes pointus, nous avons produit cette première « impression », ou plutôt « révélation ».
On y voit des mots, des dessins et des images, qui s’entremêlent et se superposent à la manière d’un palimpseste, un peu mystérieux. Les mots sont ceux de Paul Virilio, formules percutantes et prémonitoires annonçant l’accident et son futur musée. Les dessins évoquent l’accident de la pensée dans ma tête. Ça commence par un rayon cosmique venu d’ailleurs (sous l’œil de Virilio) qui vient frapper la côte de la Rochelle où nous nous trouvons, et qui provoque une déflagration planétaire, dont les ondes vont se propager sur la carte du monde et rencontrer tous les accidents du passé.
Certains y apparaissent plus clairement que d’autres (la pomme de Newton, Tchernobyl, New York, Beyrouth…), ils sont accompagnés de photographies. Une première constellation va se former, comme dans un ciel étoilé avec l’apparition d’une figure, dont on va progressivement essayer d’en reconnaitre les éléments constitutifs, tenter de les identifier, distinguer la forme, et pouvoir la nommer.
Mille questions restent en suspens, et tout le monde veut savoir à l’avance où va s’implanter ce musée de l’Accident, ce qu’il va contenir, et enfin, à quoi va ressembler son architecture. Il est évidemment trop tôt pour y répondre. Ce qui est sûr, c’est qu’il échappera à tous les lieux communs, et qu’à la fois son contenu et son contenant vont surprendre.
Nous allons donc poursuivre avec attention la surveillance échographique cérébrale de ce Musée en gestation, nous produirons des relevés d’imagerie numérique à chaque stade de son évolution, nous mettrons à contribution des experts, avec les techniques les plus pointues, pour les analyser et permettre sa pré-visualisation, en attendant l’accident heureux de sa naissance !
Hala Wardé
La bibliothèque de Paul Virilio
Description
Le dispositif intitulé La Bibliothèque de Paul Virilio veut actualiser la bibliothèque initiale de l’auteur et, par-là, sa pensée. Cette nouvelle bibliothèque est convocable à chaque apparition du Musée de l’Accident et/ou exposée à la demande lorsqu’elle n’est pas dans son lieu d’attache (qui pourrait être la maison des écritures de La Rochelle).
Au départ, il y a deux ensembles de mobilier. La première bibliothèque est pleine des livres de Paul Virilio et de ceux qu’il a cités dans ses livres et ses articles. Il ne s’agit pas forcement des livres annotés par l’auteur mais d’exemplaires donnés ou achetés pour reconstituer le fonds initial. Lors de chaque présentation de la Bibliothèque qui suit les apparitions du Musée de l’Accident, chaque invité choisit un livre dans la première bibliothèque, en parle publiquement puis le replace dans la seconde, accompagné d’un second livre de son choix qui actualise le premier. L’intervention comprend évidement la présentation du second livre et du lien qu’il y voit. Ainsi, la seconde bibliothèque s’enrichit au fil des rencontres. Le dispositif peut être compris comme un réseau social lent et incarné. Lorsque la seconde bibliothèque sera remplie, la première, adjointe à une nouvelle, servira à recevoir le nouveau transfert et ainsi de suite.
La bibliothèque suppose une forme de mémoire et propose un récit qui est aussi un projet puisque la métabibliothèque que devient la Bibliothèque produit une œuvre collective. Elle précède en cela la construction du Musée lui-même.
Fait le 2 avril 2022 dans l’Eurostar par Jac Fol et Jean Richer
Pérégrine-Stochastique
Bibliothèque P-S, pièce maîtresse du Musée de l'Accident
Venu de Pérégrine-Stochastique, P-S signifie fréquemment Post-Scriptum, cet écrit d'ensuite que l'on ajoute après la signature d'une lettre lorsqu'on y a oublié quelque chose dans le corps du texte. Toute bibliothèque milite contre l'oubli, la Bibliothèque P-S milite intensément contre l'oubli du hasard, cet étrange facteur qui prétend si bien faire les choses.
Si l'impression de hasard peut être due à l'oubli, cuisant accident de mémoire, l'impression de l'oubli navre. La Bibliothèque P-S exerce la mémoire d'une oeuvre considérable, elle lutte contre l'amnésie référentielle qui caractérise notre sur-modernité.
Paul Virilio voyait l'accident, pensait l'accident. Il étudiait le temps d'une vitesse qui absorbait l'espace, l'effaçant dans l'instantanéisme qui ne cessait de s'étendre à toutes les formes d'existence. L'accélération, dont il s'inquiétait, ne laisse plus que le temps d'une étendue-en-superflux dans laquelle les existences se téléscopent en accident intégral ne cédant que l'émotion de leurs infinies dissipations. Devenus passagers révolus, les êtres ne sont plus promeneurs mais promenés, trans-plantés d'une boutique à l'autre, employés de l'ultra fluctuant marché du travail.
Paul Virilio désirait un Musée de l'Accident. Pensé par Hala Wardé, voici celui dont la première pierre (VVV (ViteVifVide) fût symboliquement immergée dans la baie de La Rochelle (grâce à la Société Nationale de Sauvetage en Mer, 046° 07' 20,8" N, 001° 13' 35,73 W)). Au delà de la première pierre et de deux bouteilles à la mer (lancées à La Rochelle et Venise), il fallait à cet édifice une première pièce, génératrice : cette Bibliothèque Pérégrine-Stochastique dont Hala Wardé a trouvé la forme.
Pérégrine parce que libre étrangère, elle voyage à découvert et peut-être aussi Pérégrine parce que celui (Caracella 188-217) qui accorda jadis la citoyenneté aux Pérégrins pourrait être le même qui détruisit étonnamment en 212 la fabuleuse collection d'Alexandrie, dont Hala a fait autrefois son projet de fin d'étude dirigé par Paul Virilio... Stochastique parce que livrée à elle-même, hasardante. P-S parce que libre étrangère hasardant le développement d'une oeuvre par celles qui s'y ajoutent, la défient et la complètent. Bravant le temps, les ouvrages qui la doublent peuvent être d'avant car le Post-Scriptum est aussi l'oublié d'avant la signature, cet étrange cachet d'auteur qui valide l'ouvrage et en marque le terme.
Sans que l'on soit fixé sur ce qu'il en est de l'accident du hasard, le hasard fait aussi heureusement les choses de l'accident !
Unité du vaste monde, composant de la bibliothèque, tout livre questionne l'accident, le passionne ou le récuse dans son ordonnance, quelle soit littéraire, comptable ou scientifique. "Ensemble de symboles et de procédés propres à un calcul " déjà, tout livre possède son algorithme. Chaque ouvrage se calcule.
Dans ce cas, chaque livre de la bibliothèque de Paul Virilio est, à chaque redécouverte, actualisé par un autre auquel son accordeur le combine (le-lit&le-lie) redoublant-ravivant la bibliothèque originelle.
Merci Paul / Merci Hala / Merci l'architecture / Merci les livres.
Conception par Hala Wardé
BIBLIOTHÈQUE STOCHASTIQUE 
L’univers (que d’autres appellent la Bibliothèque) se compose d’un nombre indéfini, et peut-être infini, de galeries hexagonales…
Pour ma part, je préfère rêver que ces surfaces polies sont là pour figurer l’infini et pour le promettre…
La Bibliothèque est illimitée et périodique. S’il y avait un voyageur éternel pour la traverser dans un sens quelconque, les siècles finiraient par lui apprendre que les mêmes volumes se répètent toujours dans le même désordre — qui, répété, deviendrait un ordre : l’Ordre. Ma solitude se console à cet élégant espoir.
Jorge Luis Borges, 1941
The Anatomy of Melancholy, part 2, sect. Il, mem. IV.
extrait de : Fictions

L’espace fractal de la Bibliothèque Stochastique est le miroir de l’Accident. Quelque aspect qu’il puisse prendre, il s’y reflétera, générant des accidents du regard, produisant des imaginaires en expansion.
Ce sera la première forme du Musée de l’Accident.
Les pièces de la Bibliothèque sont de forme hexagonale, elles se suivent de manière aléatoire. Leur succession temporelle et spatiale émane d’un processus stochastique (ω, t) → Xt(ω).
De chacune des pièces de la Bibliothèque, on communique vers une ou deux autres. Celles qui suivent sont imprévisibles quant à leur emplacement, ou leur contenu, ou leur configuration.
Cette bibliothèque stochastique signifie qu’elle est livrée à sa propre loi, qu’elle ne suit aucune règle prédictive, c’est donc un processus temporel qui parcourt l’espace, une sorte de croissance ou de marche naturelle du savoir…
Par ailleurs, de la même façon que pour remplir un espace, on peut tirer les points de manière aléatoire, on finit par remplir l’espace de manière homogène en moins de points qu’un pavage déterministe.
A chaque séquence de six itérations hexagonales dans le même sens, un vide se crée au centre du premier ensemble, l’antiforme, espace de lecture idéal, uniquement visible par une fente que le visiteur découvrira derrière un livre quelconque de son choix, mais non accessible, sauf par une traversée de l’autre côté du miroir dont il devra trouver le secret.
Demain : nature et ville ?
Colloque transdisciplinaire (scientifiques de toutes disciplines et praticiens) sur les relations futures entre la nature et la ville. Blois (École de la Nature et du Paysage, INSA CVL) du 20 au 22 juin 2022.
La bibliothèque de Paul Virilio
Le dispositif intitulé La Bibliothèque de Paul Virilio veut actualiser la bibliothèque initiale de l’auteur et, par-là, sa pensée. Cette nouvelle bibliothèque est convocable à chaque apparition du Musée de l’Accident et/ou exposée à la demande lorsqu’elle n’est pas dans son lieu d’attache (qui pourrait être la maison des écritures de La Rochelle). Au départ, il y a deux ensembles de mobilier. La première bibliothèque est pleine des livres de Paul Virilio et de ceux qu’il a cités dans ses livres et ses articles. Il ne s’agit pas forcément des livres annotés par l’auteur, mais d’exemplaires donnés ou achetés pour reconstituer le fonds initial. Lors de chaque présentation de la Bibliothèque qui suit les apparitions du musée de l’accident, chaque invité choisit un livre dans la première bibliothèque, en parle publiquement puis le replace dans la seconde, accompagné d’un second livre de son choix qui actualise le premier. L’intervention comprend évidemment la présentation du second livre et du lien qu’il y voit. Ainsi, la seconde bibliothèque s’enrichit au fil des rencontres. Le dispositif peut être compris comme un réseau social lent et incarné. Lorsque la seconde bibliothèque sera remplie, la première, adjointe à une nouvelle, servira à recevoir le nouveau transfert et ainsi de suite. La bibliothèque suppose une forme de mémoire et propose un récit qui est aussi un projet puisque la métabibliothèque que devient la Bibliothèque produit une œuvre collective. Elle précède en cela la construction du Musée lui-même.
Mode d’emploi
Recensement collectif et scientifique des livres de la bibliothèque de Paul Virilio (telle qu’elle est décrite par les références citées dans ses livres).
Constitution du fonds initial à partir d’exemplaires apporté par des particuliers (nous, d’autres, etc.) ou des libraires avec lesquels nous aurions un partenariat (Volume à Paris, Les saisons à La Rochelle, etc.)
Chaque livre possède une fiche d’identification (bibliographie classique, nom de celui qui l’a amené, mouvements dans la bibliothèque) régulièrement actualisée.
Un protocole (consultation, emprunt, livre d’or, etc..) Règle l’usage des livres.
La conception de ce mobilier muséographique sera faite Hala Wardé.
Il faudra valider un modèle définitif qui sera ensuite répliqué à l’identique au fur et à mesure que la bibliothèque s’agrandira.
Financement et fabrication des deux premiers éléments.
Premier essai du dispositif de présentation d’un livre de Paul Virilio et augmentation par un nouveau livre (sans le mobilier) le 21 juin à l’école du paysage de Blois.
« commencer par la fin »
Comment parler de nature, de ville et un peu de prospective en posant deux livres côte à côte pour entamer un dialogue susceptible de s’établir de lui-même. Annonçons d’emblée que les concepts décrivent ici une autre perspective paysagère la nature sera appelée grandeur-nature, c’est à dire grandeur réelle, l’écoulement du temps se lit indistinctement à l’endroit et à l’envers et l’observation devient un projet. Mon premier livre s’intitule Grey Ecology (Édition Atropos, 2010). Il relate un séminaire dont Paul Virilio était l’invité, en répondant à l’invitation du théoricien allemand de la photographie Hubertus von Amelunxen. Paul Virilio a alors 75 ans, est au faîte de sa carrière d’essayiste et va utiliser ce cycle de conférences pour préciser son concept d’écologie grise. Son intervention fut traduite par Drew Burk, aujourd’hui éditeur et directeur d’Univocal Publishing. Le second livre s’intitule Before and after. Documenting the architecture of disaster de Ines et Eyal Weizman (Stelka Press, 2015). Ce petit livre est une réflexion passionnante sur l’image photographique en interrogeant l’impossible captation du surgissement d’un évènement – qu’il s’agisse d’une bataille ou des effets du changement climatique. Il retrace l’histoire d’une méthode comparative, confrontant les images d’après avec celles d’avant, de ses origines dans le Paris du 19e siècle à la surveillance par satellite d’aujourd’hui. L’un de ses co-auteurs est l’architecte israélien Eyal Weizman, directeur de l’agence Forensic Architecture à Goldsmiths, Université de Londres tandis que l’autre est l’historienne de l’architecture Ines Weizman, fondatrice du Center for Documentary Architecture à Londres.
Paul Virilio est le créateur du néologisme associant les termes grecs de dromos (la course) et logos (la science). Or, dans Grey Ecology, il affirme qu’un dromologue est forcément un phénoménologue, en appelle au philosophe allemand Edmund Husserl (1859-1938), et cette question de la perception qui se retrouve au centre de l’objectivation photographique du livre Before and after. Le rapprochement de ces deux livres décrit trois actions possibles et juxtaposables qui intéressent le présent colloque : observer les atteintes à la grandeur-nature, faire de la finitude un projet et devenir archéologue de l’inframince.
La nature dont parle Paul Virilio n’est pas attachée à la biodiversité ou à l’environnement. Il propose une définition de la grandeur-nature qui englobe l’ensemble de la réalité matérielle que constitue le milieu artificiel de la ville et qui est notre principal milieu de vie. Son approche de la nature par l’accident, ou par l’atteinte portée aux choses, est une manière de définir toute chose en négatif, nous pourrions dire à l’envers. Dans ses livres antérieurs, il avait par exemple déploré l’extension de l’éclairage public au gaz des villes européennes au 19e siècle comme une atteinte à la grandeur de la nuit. Il voyait surtout dans les dernières avancées des technologies de la communication numériques une ubiquité de l’être qu’il jugeait déréalisante pour une bonne appréciation du présent vivant husserlien. Sa méthode d’analyse partait toujours de l’étude des vitesses – autrement dit du rapport entre les dimensions puisque la vitesse se rapporte à la distance et au temps –, et cela lui aura permis démontré comment les atteintes à la grandeur-nature la vitesse sont historiquement en accélération constante, aboutissant à ce qu’il appelait l’accident intégral comme il l’explique dans Grey Ecology : la contraction temporelle, réduit à rien ou presque, l’étendue même du globe de la géosphère habitable, du monde commun. […]  Quand on parle de la pollution, on parle souvent de la pollution matérielle. C’est tellement faux. C’est l’urbaniste et l’architecte qui le dit : il y a la pollution des distances de la grandeur-nature, il n’y a pas de grandeur sans dimension. Il n’y a pas d’objets sans proportion. Il n’y a pas d’homme sans dimension. C’est finalement le matérialisme, sans oublier la notion des échelles de grandeur, la notion d’échelle, et de proportion des choses dans l’espace et le temps des différentes substances. C’est tellement étonnant comme on lie facilement la nature à la culture, mais on oublie la grandeur.
Paul Virilio craint que l’accélération de la réalité due aux différentes technologies aboutisse à une forclusion du monde, beaucoup plus grave, selon lui, que la pollution des substances matérielles. L’écologie grise, celle de la vitesse, devient donc le pendant de l’écologie, au sens convenu du terme, où la pollution des distances de temps se cumule à celle des substances qui concernent moins la nature des éléments que la grandeur-nature, l’étendue du monde commun. Cette définition de la grandeur-nature se substitue ici à celle de la nature en décrivant les dimensions nécessaires à la vie humaine. L’étude de la dromosphère est celle de l’accélération du réel, cette contraction spatio-temporelle qui traduit l’accident du temps réel [...]
Le regard de reconnaissance
Jac Fol
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