Peur, panique
Les habitants des villes ressentent la peur. Délinquance et violences urbaines, catastrophe naturelle ou technologique, voir simplement peur de son voisin, sont des vecteurs de l’angoisse urbaine. La ville détruite ou saccagée est au cœur de nombreuses productions artistiques et d’un imaginaire urbain touffu, de Babylone, Jéricho à Tokyo détruit dans les mangas japonais.
1/ Mise en avant du principe des principes de précaution, de sécurité et de proximité pour se protéger des risques qui font peur. Ségrégation sociale et exclusion dans les quartiers populaires sont aujourd’hui les moteurs les plus puissants de la peur urbaine avec l’apparition des « casseurs » et des « sauvageons ». Peur de la pollution qui entraîne des maladies respiratoires et pires encore.
2/ La guerre des mondes, sur la question des violences urbaines, réécouter NTM « qu’est-ce qu’on attend pour foutre le feu ». L’angoisse du réel avec le film « la tour infernale ».
3/ Le sociologue Mike Davis travaille depuis de nombreuses années sur ce sujet. Voir ses livres tels que « Ecology of fears » ou récemment « Le pire des mondes possibles : de l’explosion urbaine au bidonville global ».
4/ Voir Gatted Cities, révolte urbaine, cataclysme, pollution.
1/ Mise en avant du principe des principes de précaution, de sécurité et de proximité pour se protéger des risques qui font peur. Ségrégation sociale et exclusion dans les quartiers populaires sont aujourd’hui les moteurs les plus puissants de la peur urbaine avec l’apparition des « casseurs » et des « sauvageons ». Peur de la pollution qui entraîne des maladies respiratoires et pires encore.
2/ La guerre des mondes, sur la question des violences urbaines, réécouter NTM « qu’est-ce qu’on attend pour foutre le feu ». L’angoisse du réel avec le film « la tour infernale ».
3/ Le sociologue Mike Davis travaille depuis de nombreuses années sur ce sujet. Voir ses livres tels que « Ecology of fears » ou récemment « Le pire des mondes possibles : de l’explosion urbaine au bidonville global ».
4/ Voir Gatted Cities, révolte urbaine, cataclysme, pollution.
Crise
Il est probable que les beaux jours soient derrière nous. La croissance dont on doutait depuis quelque temps nous fait maintenant faux-bond. Le financement des opérations d’aménagement sera certainement de plus en plus aléatoire. Hormis les projets phares des villes ou portés par de vigoureuses entreprises, il est à craindre qu’il faille bientôt nettement réviser nos ambitions en matière de dépenses.
Déjà si on ouvre les yeux sur l’ensemble du territoire européen, et c’est encore plus vrai à l’échelle mondiale, les disparités entre les territoires sont flagrantes. Ce qui est possible dans une métropole ne l’est déjà plus depuis longtemps dans une région reculée. Faut-il croire que les besoins sont différents et que la densité de population change les aspirations ? L’esquive de cette prétention dévoile une réalité crue : déjà dans de nombreuses régions du monde, nous n’avons plus (et les avons-nous déjà eus ?) les moyens de nos ambitions. Pourtant, le niveau d’exigence de l’architecture et de l’urbanisme actuel ne se satisfait pas facilement d’un manque de moyen. Nos bâtiments sont toujours très énergétivores pendant que les produits pétroliers inondent nos rues à différents degrés de raffinement.
Nous sommes restés sur une logique de croissance continue telle qu’elle fut théorisée par le mouvement moderne. Il faut désormais être aveugle pour croire que ce modèle tient toujours. Pouvons-nous laisser des pans entiers de territoire en sous-développement ? Le manque de moyen ne doit pas empêcher l’éthique et l’aménagement peut prendre d’autres formes que celui sous-tendu par un investissement financier majeur.
Si nous nous détournons de la matérialité pour nous en tenir à l’observation des usages, c’est-à-dire de l’utilisation par les individus de l’espace dans le temps, les données du problème changent alors. Il importe dans nos vies que le cadre qui les accueille soit suffisamment protecteur et ouvert pour leur permettre une expression libre et stimulée. La source de cette stimulation se trouve dans les symboles qui peuplent notre environnement et qui entretiennent l’imaginaire collectif. Comment maintenant générer ces moyens sans un investissement important ? C’est au prix de ce raisonnement que nous trouverons collectivement un moyen de sortir de la crise actuelle.
La réflexion peut commencer sur des notions simples. Il convient par exemple de rationaliser l’agenda des équipements. Aujourd’hui par manque de gestion, trop souvent les équipements sont monofonctionnels et sous-occupés. Il en résulte naturellement des frais d’investissement et de fonctionnement surprenant par rapport à leur utilisation réelle. Cela n’est qu’une question d’agenda et de gouvernance. Comment met-on d’accord tous les utilisateurs pour répartir au mieux le temps d’utilisation ? La concertation apparaît comme l’outil le plus simple.
Dans la même veine, nous pouvons rapprocher des fonctions apparemment éloignées et trouver dans leur rapprochement des économies de moyens. Les projets intergénérationnels peinent à se développer alors qu’ils sont le ferment d’une nouvelle solidarité. Regrouper une crèche et un foyer pour personnes âgées pourrait permettre des rencontres et pourquoi pas une interpénétration des fonctions. Par l’association, nous avons la possibilité de décupler les résultats d’un investissement et à resserrer autour d’un seul complexe les coûts de fonctionnement. Certains dispositifs techniques tels que les chaufferies bois nécessitent un seuil de rentabilité. L’association des fonctions peut y conduire.
On comprend bien à partir de là que la doctrine moderniste de la table rase n’est plus de mise et qu’il nous faut impérativement reconsidérer l’existant. L’effort du diagnostic qui consiste à bien prendre en compte les possibilités données par le présent n’est pas suffisamment poussé et nous continuons toujours selon la stratégie du mille-feuille : ajouter une couche est plus facile que de reconsidérer les couches déjà présentes. Agissons comme des gestionnaires du patrimoine existant en redonnant leur chance aux expériences passées. Une réactualisation des formes anciennes suffit parfois là où nous rebâtissons une nouvelle forme. Il en va du respect de nos propres actions : comment voulons-nous attirer le respect sur nos créations lorsque nous-mêmes ne regardons le passé que dans une posture contrite d’adoration sans recul.
De même il convient dès aujourd’hui de penser le futur. Nous admirons la flexibilité d’un bâtiment industriel du 19e siècle capable de s’adapter à un nouveau programme aujourd’hui sans être capable d’en tirer une leçon. Offrons-nous les moyens de prévoir l’avenir en créant des formes ouvertes à des adaptations inconnues de nous. Trop souvent nos bâtiments sont sourds à toute autre utilisation que leur destination initiale. Nous concevons des processus technologiques utiles à des tâches complexes, nous devrions donc être capables de résoudre ce simple problème.
Pensons à la durée des choses et investissons au plus juste les moyens nécessaires. Avant de solidifier un projet complexe dans une durée longue, ne serait-il pas utile de le tester ? Pour cela nous pouvons avoir recours à une structure provisoire dont le surcoût sera sans nul doute compensé par l’absence de restructuration à courte échéance du projet définitif. Nous avons dorénavant le devoir d’essayer nos actions et de les confronter à la réalité et aux usagers des lieux. Trop souvent un programme s’effectue au détriment de ses futurs usagers en s’enveloppant de la bonne conscience de faire bien pour les autres. Il ne faut pas croire à l’altruisme dans notre société. À cela, il est préférable d’envisager la confrontation directe des faits.
Pourquoi ne pas expérimenter une nouvelle rue piétonne, un nouveau pont, et pourquoi pas une nouvelle ligne de tramway en mettant en place un système spécifique de bus ? Nous avons aujourd’hui, plus qu’hier, le devoir d’investir au plus juste pour un résultat maximum. Combien d’aménagements lourds peuvent être remplacés délicatement par des aménagements plus légers et modifiables à souhait ? Soyons souples et pensons le temps plus que l’espace.
Forme incorporante
Au sens commun, la forme découle des dimensions spatiales que sont hauteur, largeur et profondeur. La forme y est alors un pur produit de l’espace, que l’on peut qualifier d’espace substantialité. Dans cette voie cartésienne, la forme apparaît comme un volume sans mystère que seule la profondeur anime. Mais la forme externe est seconde, dérivée, elle n’est pas ce qui fait qu’une chose prend forme, il faut briser cette coquille d’espace. La forme se donne comme puissance incorporante, relativement indépendante de son contenu. Dans un chapitre particulier intitulé « la forme urbaine » dans « Le droit à la ville », H. Lefebvre énonce une position reprise dans « La révolution urbaine » concernant l’idée de forme. En partant de la forme juridique, celle qui caractérise l’établissement contractuel de relation sociale, donc d’un rapport formalisé, il prend acte de sa capacité d’unification : d’autres contenus qu’elle reprend, elle les réunit en acte dans la totalité ou synthèse virtuelle, qu’il n’est pas besoin d’accomplir par la société, mais d’annoncer comme voie stratégique pour l’action. Cela ne semble pas étranger aux conceptions picturales de Merleau-Ponty : des formes pures qui ont la solidité de ce qui peut être défini par une loi de construction interne. Analysant l’art de Cézanne, en le rapprochant d’une certaine manière du mouvement cubiste, le philosophe fait ressortir cette musculature invisible, s’opposant à l’espace-enveloppe, se plaçant au cœur des choses.
Loin de l’analyse typomorphologique de la ville, qui se résout en analyse morphologique et typologique, en organisation de la circulation, Lefèbvre appelle à une idée supérieure de la forme urbaine comme lien d’unification. Pour lui, l’essentiel du phénomène urbain réside dans la centralité, donc dans le rapprochement, le rassemblement. Outre le rapprochement des moyens de création et de production, l’urbain se caractérise par le rapprochement des choses où les rapports sociaux se révèlent dans la négation (virtuelle) de la distance. Pour notre sujet, cette notion de forme urbaine sera centrale dans la réflexion, car nous nous intéressons aux politiques urbaines. Ceux qui sont en charge du devenir urbain, élus, décideurs publics ou privés, avant même d’employer les outils de l’urbanisme moderne, ont une opinion de la ville. Ils agissent pragmatiquement, mais avant l’action, leur réflexion se fait sur une forme urbaine supposée et non sur l’urbanisme. Ils pensent la ville d’abord comme une forme globale, comme une idée, souvent indépendante de ses réels contenus. En réaction à l’espace des flux, à l’inclusion de la ville dans la société des réseaux, nous allons justement nous interroger sur les choix de politiques urbaines mis en œuvre en réponse à cette transformation sociale et économique. Cette manipulation rejoint la formule d’Henri Lefèbvre, qui consiste à annoncer une voie stratégique pour l’action par une mise en visibilité, formalisée dans la ville par la construction ou la réhabilitation de quartiers phares. Si la forme urbaine se donne comme une image globale rassemblant les contenus de la ville, elle se manipule aussi.


Réalité mixée
Le point de départ de notre réflexion est la forme urbaine au sens où l’entend Henri Lefebvre : cumulative de tous les contenus, elle se relie d’un côté à la logique des formes et de l’autre à la dialectique des contenus. Espace et société y sont inextricablement liés.
Cette photographie est introductive à notre propos. Alors qu’un soir de mars 2003 le monde est suspendu à une éventuelle déclaration de guerre en Irak, G. Bush fait une allocution télévisée qui est retransmise par toutes les chaînes télévisées du monde et sur cet écran géant de Time Square. À côté des enseignes commerciales des grands magasins, des voitures circulent sur la voirie pendant que des piétons marchent dans la rue : cette juxtaposition de la vie urbaine régulière et de la logique de réseaux (technique, politique, médiatique) est particulièrement flagrante.
La ville s’était développée jusqu’à présent sur le principe de la contiguïté spatiale et temporelle. Si notre société s’articule dorénavant en flux de capitaux, d’informations, de technologie, d’interaction organisationnelle, d’images et de symboles, bref, si elle est entrée dans l’ère de l’information, il faut supposer que l’espace en tant que support matériel de la simultanéité sociale adopte une autre forme que la contiguïté physique.
Si l’étendue géographique parfois s’y contracte, transcendée par la vitesse quasi instantanée des communications, d’autrefois elle se dilate par l’intrusion d’une virtualité induite par la perception simultanée de plusieurs médias dans un même lieu : nous vivons dorénavant dans une réalité mixée entre localisation et délocalisations incessantes. Pour comprendre l’avènement de la société en réseau, il faut revenir au modernisme comme mouvement héroïque et hégémonique, à ses développements et à ses conséquences.
L’économie fordiste a accompagné le projet moral de la modernité au vingtième siècle jusqu’à son implosion. La fascination technique des modernes en sera le paradoxe puisque le développement des technologies avancées coïncida avec l’adoption d’une économie flexible dans le management par les acteurs économiques à vocation internationale : la société perdit alors un projet commun au profit d’une mise en réseau généralisable d’ambitions variées.
Pour illustrer ce propos, « Hot Shot East Bound at Leager » de O. WINSTON Link, 1956. La fascination de la machine s’y lit dans son accumulation au sein l’espace photographique : voitures, avion, machine à vapeur, pour un cinéma drive in, lieu de consommation culturel, avec au premier plan un couple enlacé…
Que l’on appelle la suite de l’élan moderne, postmodernité ou modernité avancée (selon les différents auteurs), force est de constater qu’il y a eu une rupture au cours des années soixante, accentuée dans les années quatre-vingt-dix par l’extension informatique et l’explosion de la mise en réseau du monde.
Selon Jonathan Raban, auteur de Soft City en 1974, la ville que l’on croyait victime de la rationalisation systématique liée à la production et à la consommation de masse, est en réalité un empire de styles, une production de styles et d’images. La ville possède une plasticité capable de s’adapter à tous les désirs, un théâtre à l’épreuve du chaos, où les signaux et les styles sont à la base de la communication.
Ce qui définissait le post-modernisme peut se rattacher aujourd’hui à une vision de la ville où coïncident la polysémie des discours et le maillage des réseaux. Les villes asiatiques fascinent depuis longtemps les observateurs occidentaux par leur accumulation de signes et signaux, leur intertextualité vibrante comme le montre la série de photographies « Times of the signs », pendant plastique de « L’empire des signes » de Roland Barthes.
Il est nécessaire de rappeler le phénomène technologique capital de ces quarante dernières années : celui de l’extension ininterrompue du numérique. Ce moment de la technique, inscrit l’écrit à l’intérieur d’un environnement élargi, et mixte, qui autorise un tissage de plus en plus fin de l’image, du son, de la vidéo et de la réalité. Cette fluidité entre régimes hétérogènes incorporés dans la réalité du monde urbain, constitue dans l’histoire des visibilités un évènement culturel majeur.
L’unité de lieu se démultiplie alors que l’unité de temps disparaît sous la rapidité des transmissions. La cité se métamorphose dans l’hétérogénéité des temporalités des technologies avancées où la mobilité humaine se double d’une mobilité des productions, aux surfaces structurelles, communicationnelles, perceptives nouvelles.
La seconde dimension du réseau, en relation avec sa signification territoriale moderne, est cinétique. Le réseau définit à la fois l’espace et le temps. Il établit entre eux un rapport fondé sur la circulation, le flux, la vitesse, tendant vers l’instantanéité, le temps réel. Les vitesses quasi instantanées de communications et les échanges mondialisés impliquent une contraction absolue de la géographie mondiale : une contraction du temps et de l’espace.
Les nouvelles technologies de la communication ne révolutionnent pas littéralement la logique globale des réseaux. Elles introduisent en revanche une nouvelle échelle, totale ou presque qui aboutit au phénomène de la mondialisation pour reprendre l’expression de Mac Luhan. L’économie internationale fonctionne maintenant en temps réel, comme un espace économique et financier unifié dont le jour est continu : les fuseaux horaires concomitants des bourses d’échange de valeurs sont les moteurs de ce « jour continu ». Répartition des communications pour le fournisseur UUnet (qui représente 27 % du marché total des communications) in GeoJournal 53, 2001. On observe une prédominance absolue des zones métropolisées, car le couple fondamental qui caractérise l’espace des flux est l’inclusion/exclusion.


