L’action de l’ANRU dans les grands ensembles depuis quelques années, et celle du PNRQAD aujourd’hui peuvent avoir un point commun : la prise en compte, dans des conditions sociales difficiles, d’un patrimoine multiple. Patrimoine humain, évidemment, avec une population jeune qui représente un vivier pour la société et l’économie de demain. Patrimoine économique avec le potentiel de création d’entreprises, de marché, de densité d’échanges qui ne demande qu’à être réveillé. Patrimoine urbain également, parfois difficile à voir, caché, mais tout de même là : grands ensembles et quartiers insalubres des centres anciens sont des réservoirs de densité intéressants à l’heure où l’étalement urbain et ses conséquences néfastes sur l’environnement sont remis en cause.
Tout cela peut se confondre dans ce que l’on pourrait appeler le patrimoine temporel, ou encore le capital-temps. Si l’on raisonne sur plusieurs générations, on s’aperçoit que les cycles de transformations urbaines sont relativement courts : la métamorphose d’un quartier, en bien ou en mal, peut aller très vite. Si l’on reprend l’exemple des grands ensembles, on s’aperçoit qu’en l’espace de quarante ans, on est passé de l’enthousiasme initial, porté par la notion de progrès de l’après-guerre et par une certaine mixité sociale, à la ghettoïsation d’aujourd’hui. Aujourd’hui, avec les travaux de l’ANRU, on s’efforce de reconnecter ces quartiers à la ville, de façonner leur forme urbaine, d’y introduire de nouvelles fonctionnalités. On est en droit de penser que l’effort d’aujourd’hui, conjugué à l’investissement colossal d’hier, et ce malgré ces travers, va constituer le futur de la ville.
Construire la ville sur la ville, penser durable, cela veut dire être capable de voir et de reconnaître ces gisements de densité, de potentialité, de devenirs : ce que nous appelons le capital temps. De génération en génération, la ville se façonne donc par corrections successives, par absorptions, rejets, extensions tel un fantastique organisme vivant. Mais la vie sociale, particulièrement dans des quartiers défavorisés, ne peut se faire à ce rythme. L’épineux problème des cités nous montre bien, quelle que soit la solution urbanistique trouvée, elle prend toujours trop de temps. Si les remèdes structuraux sont bons, ils doivent s’adjoindre des solutions plus immédiates pour améliorer la vie quotidienne. Il nous faut d’autres échelles de temps, et des outils adéquats pour les traiter.
Urbanismes et architecture provisoires, constructions éphémères peuvent y contribuer dans la mesure où ils peuvent donner à de rébarbatifs travaux un aspect festif, créatif ; donner à voir une ville en mouvement. Mais le cœur de la question réside à notre sens, dans une action sociale, elle aussi pensée dans le temps, visant à la fois à occuper l’instant et à préparer l’avenir, celui-là même qui prendra place dans la forme urbaine rénovée, dans les cités ou les centres denses. Actions éducatives et culturelles, aide à la création d’entreprise au moyen de pépinières ou de structures d’incitation et d’insertion, effort de communication intergénérationnel et interculturel, laboratoires écologiques : toutes ces solutions ont déjà été évoquées. Ce qu’il faut acquérir, c’est la faculté à travailler simultanément sur plusieurs échelles de temps : le temps long que l’on peut appeler structurel, et le temps court, essentiel et souvent négligé, pour commencer dès maintenant la transformation sociale et urbaine.
Bientôt la ville durable
Le MIPIM 2010 s’est tenu à Cannes le mois dernier. L’Asie et l’Orient tirent toujours l’urbanisme mondial malgré un marché immobilier prudent. Les pays asiatiques et orientaux présentaient d’imposants projets : 570 000 m pour le projet « Dream hub » de Séoul (signé Daniel Libeskind), 550 000 m pour le centre d’affaires « Stone Towers » du Caire (de Zaha Hadid) ou encore une île artificielle de 43 ha au Bahreïn (agence SOM). Le gigantisme des programmes mixtes — associant bureaux, commerces, logements et loisirs — et le recours à des stars de l’architecture démontrent que la crise immobilière de 2008-09 n’a pas refréné les grands investisseurs dans leur velléité de créer de toutes pièces des morceaux de ville. Nous sommes définitivement passés de l’immobilier spéculatif au projet urbain, fût-il porté par des investisseurs privés. Le quartier de la Défense y présentait aussi son plan de renouveau pour 2016. L’euphorie immobilière va y permettre l’édification de tours aux noms évocateurs tels que Ava (GCI-Benson Elliot), carpe diem (Aviva), Air 2 (Carlyle Group), Majunga et Phare (Unibail). La double tour Hermitage dépassera même les 300 m de hauteur alors que Jean Nouvel déclarait récemment forfait pour sa fameuse tour Signal. Dans un contexte spéculatif tendu, ces tours seront souvent issus de démolition – reconstruction et les signatures architecturales seront moins prestigieuses (hormis Normam Foster pour les tours Hermitage).
Dans un même temps se tenaient à Bordeaux, et sous l’égide du club Ville et Aménagement, les 6e entretiens sur l’aménagement. Autre sont de cloche ici puisque les préoccupations sociales et environnementales étaient au cœur des débats. En période de crise, la question de la mixité sociale prend une tout autre tournure avec la précarisation d’un grand nombre de foyers. Le programme national de renouvellement urbain fut abordé pour pointer la nécessité de mettre en place des stratégies urbaines englobant le logement, l’éducation, l’emploi et la culture. Les urbanistes sont donc sommés de s’éloigner des procédures classiques pour mettre au point des stratégies de territoire où les opérateurs immobiliers sont des partenaires importants.
D’un côté, les investisseurs se font urbanistes, de l’autre les aménageurs publics ouvrent la ville à une gouvernance plus large qui établit des projets de territoire associant l’ensemble de la société. Espérons que la ville durable naîtra un jour à la confluence de ces deux démarches.
Grand Paris suite
Comment devient-on une métropole ? Comment force-t-on son destin si besoin était ? Voilà ce que le projet de loi sur le Grand Paris devait faire, et voilà qui est fait avec la création d’un nouvel axe de transport périphérique de 130 km autour de la capitale.
De toutes les manières de construire une métropole, la France a toujours choisi la structuration par les transports en commun. Depuis le premier schéma directeur de l’Île-de-France de 1965, les acteurs de son aménagement se sont appuyé sur le développement des transports en commun pour innerver les territoires de vie de l’aire francilienne. Les transports ferroviaires (RER et trains), couplés au réseau autoroutier, ont été développés en même temps que les villes nouvelles et font partie intégrante du projet initial qui était de « mettre la ville à la campagne » tout en préservant un lien ombilical reliant ces villes satellites à Paris.
Le réseau de transport en commun est aujourd’hui très développé et étoilé, avec pour centre Paris, dans une région où les mouvements pendulaires domicile-travail sont importants et où les transports collectifs sont des alternatives crédibles à l’usage de la voiture.
Mais pourquoi créer un réseau de transport supplémentaire pour s’affirmer comme métropole ?
La prééminence accordée aux réseaux dans les échanges et contacts internationaux a bouleversé les notions traditionnelles de hiérarchie urbaine. Ce basculement dans l’espace des flux est à resituer dans un mouvement de tertiairisation de l’économie. Les nouvelles relations entre l’espace et le temps — la révolution logistique, le rôle des pôles urbains dans les « espaces glissants », la recherche de centralité offrant des atouts de localisation durables et des potentialités de diversification optimales — concernent inséparablement la production de biens et de services dans notre société. Les échanges financiers, de marchandises et d’informations se constituent en réseaux de flux qui dépassent largement les limites nationales.
D’accord pour les réseaux. Mais la consultation sur le Grand Paris — à laquelle ont répondu tant d’équipes d’architectes prestigieux, et pour laquelle tous les pôles universitaires franciliens ont contribué en amassant une masse énorme de savoirs — a dégagé une idée d’ensemble assez simple : une métropole est avant tout identitaire. Elle se fonde sur sa capacité à faire admettre son existence à l’ensemble de ses habitants et au monde entier en développant une image reconnaissable et communicable.
En fait, le Grand Paris existe déjà. Depuis les promenades rêveuses de Jean-Jacques Rousseau, il avait un début d’existence. L’ile de France était prête depuis bien longtemps, s’étant lentement constituée comme l’hinterland de la capitale. Alors pourquoi cette loi ? Pour résorber la congestion autoroutière qui chaque matin fige le périphérique ?
Ce n’est pas sérieux. Depuis les années 1960, le Grand Paris existe et le développement des villes nouvelles en fut le lancement opérationnel. Mais ce qui manque encore aujourd’hui, ce n’est pas les projets urbains qui sont légion dans une région où le foncier est cher, mais un projet politique volontaire qui déboucherait sur une véritable gouvernance métropolitaine. Voilà ce que sera la véritable évolution vers la métropolisation rayonnante et épanouie : une assemblée métropolitaine apte à prendre son destin en main.

Du projet
Pour paraphraser JANKELEVITCH, un projet apparait dans un espace public d'apparition en trois phases. Sa préfiguration, le récit qui précède le changement, sa configuration et sa refiguration qui est le temps de l'appopriation.
Un projet appartenait à un espace des possibles où un faisceau d'actions croise des fenêtres d'opportunité. Dans ce contexte, il apparaît comme une opération configurante où les échelles spatiales comme temporelles peuvent fusionner. L'invention consiste alors plus dans les processus que dans les formes. L'architecture, prise au sens global, doit intégrer le temps comme composante majeure. A côté des tendances lourdes liées aux temps longs, durables diraient certains, il faut faire la part belle à la sculpture sociale dont parlait Joseph BEUYS. Il y a là un enjeu de coproduction et de cogestion.
