
On s’est réveillé ce weekend (20 février 2010) en apprenant à la radio que des pluies torrentielles avaient provoqué des inondations et des glissements de terrain sur l’île portugaise de Madère en faisant au moins 42 morts et plusieurs centaines de blessés. La capitale de l’île, Funchal, a été plongée dans le chaos au dire des journalistes. Il est ironique de penser que dans ce genre de situation, le chaos est le mot dévolu pour indiquer la panique ou la désorganisation.
Cette petite île de 57 x 22 km, a subi pendant trente ans la politique du béton qui fait dire à certain que la catastrophe est due à une mauvaise planification urbaine. Les fonds structurels européens au titre de l’aide aux régions les plus pauvres ont permis la construction de voies rapides qui ceinturent l’île et de nombreux bâtiments publics. Funchal a subi une urbanisation désordonnée malgré sa localisation à flanc de colline et l’imperméabilisation massive a transformé les cours d’eau en « canons à eau » emportant ce vingt février ponts et constructions sur leur passage.
L’horreur climatique remet un pied sur le continent européen et nous nous indignons bourgeoisement au petit déjeuner que les règles de sécurité n’aient pas été respectées. Les principales constructions incriminées sont bien entendu celles que la pauvreté confrontée à la pression foncière a jetées là. Nous sommes prompts à émettre des jugements et à donner des subventions, donc des leçons, mais avant de condamner l’urbanisation chaotique et l’infamie du ciel, nous devrions réfléchir sur trois questions.
Devant un thé fumant, je me pose la première qui est celle de l’établissement de personnes en zone inondable ou sujette à des glissements de terrain. Dans la succession des actions, on oublie bien vite la planification urbaine, fût-elle vertueuse, au profit de la vie quotidienne et des petits arrangements particuliers qui font qu’un règlement se fane bien vite. Le droit doit rester vivant et s’adapter aux situations. Au lieu de pondre un plan, il conviendrait bien mieux d’organiser le suivi dans le temps des contraintes naturelles puisqu’un règlement n’a jamais arrêté un glissement de terrain. Prévoir en revanche la vulnérabilité et restituer au milieu ce qu’on lui prend de l’autre semblent plus opératoire. Comme certains interviewés l’ont expliqué, l’urbanisation proche des cours d’eau a été rendue possible par le laxisme des autorités locales qui ont préféré acheter la paix sociale. La question est donc de savoir comment le droit peut devenir une règle de bon sens. Il faut en finir avec l’empilement réglementaire pour se concentrer sur l’essentiel : la sécurité des biens et des personnes.
Sous la douche je repense à l’injustice commune qui consiste à pousser les populations fragiles à occuper des zones à risques. En d’autres termes, la répartition sociospatiale des classes sociales ne laisse rien au hasard et, sous toutes les latitudes, les riches vivent dans des endroits protégés et les pauvres dans des endroits exposés. Dans le cas de l’île de Madère, la densité de population pousse les plus pauvres à prendre des risques. D’autant que ces risques sont souvent minorés par les premiers intéressés quand bien même ils y auraient déjà été exposés. Ce phénomène est exacerbé par la métropolisation qui pousse des migrants intérieurs à s’entasser où ils peuvent en périphérie des villes. La deuxième question, sans réponse possible, serait de savoir si cette injustice perdurera encore longtemps ou si nous emploierons tous les moyens nécessaires pour y remédier en Europe.
Je sors sous une pluie fine qui me rappelle que je vis dans une ville qui a été longtemps sujette aux inondations. On a busé les fosses, redressé le cours de la rivière et érigé d’imposantes digues avant de construire un barrage en amont il y a quelques décennies. Par ailleurs nous venons de fêter le centenaire de la grande inondation de Paris. Tout cela nous remémore que l’eau peut être meurtrière et que nous avons passe des siècles à nous en défendre. Oui donc à une écologie de la mémoire et contre l’oubli : malgré les catastrophes passées et présentes, nous ne sommes toujours pas capables de rappeler la domination de la nature sur les établissements humains. Ce n’est donc pas la nature qu’il faut incriminer, mais notre incapacité à résoudre les questions sociales. Comment donner aujourd’hui des leçons sera donc ma troisième question ?
