
Il est difficile de définir le littoral hormis que dans son acception géographique de limite entre les milieux terrestres et aquatiques. Seuil large d’interface, le rivage doit être compris dans son épaisseur et ses liens de solidarités avec son arrière-pays
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Les enjeux spécifiques de cette marge géographiques sont très hétérogènes. Le littoral se caractérise surtout par des environnements naturels sensibles, qu’il s’agisse du milieu marin ou des zones humides terrestres. Une autre caractéristique est sociale avec une forte croissance démographique, un vieillissement accru de la population et de forts rythmes saisonniers de villégiature. L’urbanisation du rivage est variable le long des côtes françaises mais on observe une attractivité importante qui se traduit par des valeurs foncières et immobilières croissantes à l’approche de la mer. Les deux derniers siècles auront créé un objet urbain nouveau avec les stations balnéaires ponctuant les rivages les plus prisés. Paradoxalement, les arrières pays accusent souvent un retard de développement et sont à dominante rurale. L’économie du littoral fut marquée par le développement très important du tourisme au cours du siècle passé mais il ne faudrait surtout pas oublier des secteurs économiques très importants comme le commerce international avec les grands ports, les pêche hauturière, la conchyliculture ou encore le nautisme.
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La résilience du littoral concerne en premier lieu les risques naturels. Les cyclones et la submersion marine défraient la chronique régulièrement comme si nous avions oublié que l’occurrence des tempêtes marines était serrée et que nous avions très bien réussi à vivre avec jusqu’à présent. Ils affectent en particulier l’urbanisation littorale. À cela, il ne faudrait pas oublier les risques de débordement de cours d’eau car le littoral représente aussi l’exutoire des bassins-versants. En cela, il est sensible aux pollutions venues de l’amont qui provoque une non-qualité des eaux côtières et l’eutrophisation de certains milieux. L’eau potable y nécessite des adductions lointaines, et tant que les procédés de dessalinisation de l’eau saumâtre ne seront pas généralisés, la question de la ressource en eau se posera en période estivale avec des conflits importants entre usagers (faut-il remplir les piscines ou arroser les champs de maïs l’été ?). L’érosion côtière continue irrémédiablement de grignoter certaines côtes tandis que le transit sédimentaire fait voyager les wagons de sables et que des d’accrétion referment des estuaires. Nous sommes donc en présence d’un système complexe, profondément dynamique et perpétuellement changeant.
Les effets du changement climatique vont accentuer les risques actuels et en créer de nouveaux. L’élévation du niveau de la mer s’avère de plus en plus critique au vu des scientifiques et si les prévisions sont grosso modo entre 40 et 100 cm à l’horizon 2100, nous parlons bien de plusieurs mètres en quelques siècles. Le réchauffement global commence à induire un réchauffement des eaux côtières bien appréhendé par les conchyliculteurs français qui commencent à élever leurs huîtres en mer d’Irlande. La migration des cortèges d’espèces, tant maritimes que terrestres va considérablement changer notre environnement et certaines de nos pratiques, ne serait-ce que de pêche. L’autre conséquence du réchauffement est la recrudescence des vagues de chaleur telles que celles que nous avons commencé à subir cet été. Ces canicules vont redéfinir certaines de nos pratiques estivales et en particulier touristiques. Enfin, il convient de ne pas oublier le déport du biseau salé qui, associé au manque de précipitation, va entraîner une réduction des aquifères littoraux, renforçant ainsi le stress hydrique.
Ces risques doivent être complétés par la problématique sociale spécifique au littoral. L’attrait de la mer pour les jeunes retraités sera une bombe démographique dans quelques décennies avec une nécessité d’accompagnement dans le grand âge. Dès à présent, les valeurs immobilières élevées provoquent une exclusion sociale et les ménages aux faibles revenus sont obligés de s’établir dans les arrière-pays alors que l’emploi peu qualifié se concentre sur la côte. Enfin, la forte saisonnalité et la présence de nombreuses résidences secondaires provoquent une mort hivernale dans les communes littorales qui aspirent à une vie à l’année. Ce phénomène est compensé en partie par les arrivées des retraités
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On voit bien que ces problématiques s’entremêlent. Elles appellent bien souvent à une justice environnementale et sociale, ainsi qu’une équité temporelle et spatiale.
Dans la justice environnementale, il importe d’intégrer la préservation de la qualité des eaux marines et la disponibilité de l’eau potable ainsi que la préservation des zones humides littorales dont l’existence est menacée (et avec la forte biodiversité qu’elles abritent). La justice sociale comprend le droit d’accès au rivage, le droit de vivre là où on travaille mais aussi la garantie de la valeur de la propriété face à l’érosion et aux submersions définitives.
L’équité spatiale se pose par le coût de solutions à développer par les communes littorales face à des phénomènes naturels inouïs comme les submersions marines. Elle se pose aussi avec les pollutions provenant des bassins-versants pouvant toucher des secteurs identitaires de l’économie locale. Elle intègre aussi les questions d’exclusion sociales qui provoquent des mouvements pendulaires importants et une paupérisation des arrière-pays.
L’équité temporelle se pose à plusieurs échelles. À l’année bien sûr, sous l’impulsion du tourisme de masse et de la qualité de vie des communautés côtières le reste du temps. Mais elle prend tout son sens en observant les temporalités longues des phénomènes naturels à l’œuvre. L’élévation du niveau de la mer ne va pas se faire en un jour, pas plus que les dispositions de résilience ne vont se faire sur un seul mandat électif. Il s’agit bien d’entreprendre des actions à long terme en tenant compte des évolutions sociales.
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Comment tenir compte du caractère impermanent et évolutif de ces milieux spécifiques et quelles propositions pouvons nous faire ?
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La première proposition serait de tenir compte du « sentiment océanique » (pour reprendre le terme de Romain Rolland mais dans une acception plus prosaïque). Nous ne sommes pas « maîtres et possesseurs de la nature » comme l’affirmait Descartes. La puissance de l’élément marin nécessite une pensée à long terme et de permettre à des politiques publiques de se développer sur un temps long, parfois plus d’un demi-siècle, ce qui est absent aujourd’hui des dispositifs. Cela induit des financements qui ne soient pas court-termistes et qui préparent un avenir lointain. Au-delà du nécessaire courage politique, il nous faut créer des outils de portage à long terme qui par leur stabilité et leur « souplesse robuste » garde le cap des décisions.
Dans la prise en compte du « sentiment océanique » se cache aussi la reconnaissance de la puissance de la nature. Cela doit nous conduire à préférer des solutions fondées justement sur la nature et donc à mettre en avant des projets de paysages à grande échelle (par exemple celle d’une cellule hydro-sédimentaire).
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La seconde proposition repose sur les relations écosystémiques. Par approche écosystémique, il faut comprendre un environnement impliquant le vivant animal et végétal, la pédologie et la géologie, l’eau et la mer avec des interrelations constantes. À ce titre, le littoral propose des milieux d’interface très riches avec la pleine mer, la zone intertidale, le rivage, les terres proches du rivage et celles qui en sont éloignées mais qui participent à ce fonctionnement. L’intérêt de cet enchevêtrement d’interrelations est qu’il participe pleinement à la résilience des territoires et seuls les écosystèmes en bonne santé sont capables d’adaptation. Il est donc nécessaire d’établir des convergences d’approches entre les disciplines qui s’intéressent au littoral. Selon les problématiques territoriales, la création de conseils scientifiques interdisciplinaires permettrait de mieux conseiller les décideurs.
Par approche écosystémique, il faut entendre participation, coopération et collaboration. Pour le littoral, la coopération intercommunale n'est qu'un balbutiement car elle n'est qu'institutionnelle. Il importe de mettre en œuvre une coopération entre la recherche, la décision et l'action. La prise en compte de la parole des populations côtières est un autre enjeu. La gouvernance littorale doit donc s’enrichir d’une approche participative importante.
Par approche écosystémique enfin, il faut appréhender en ensemble d’écosystème de différentes tailles et de différentes teneurs qui entrent en relation. L’interconnexion à des échelles différentes doit nous pousser à innover dans les domaines scientifiques, politiques et sociaux. Plus que des approches sectorielles ou analytiques, le littoral a besoin d’une appréciation écosystèmique, pas forcement exhaustive, où les relations d’interdépendance et d’échelle sont prépondérantes. L’ajustement entre les choses (ce qui est la racine de l’adaptation), le lien donc, nous importe plus aujourd’hui que les choses elles-mêmes. Ramené à la question territoriale, ce sont les liens d’interdépendance entre les rivages et leur arrière-pays qui doivent être mis en avant dans les documents d’urbanisme.
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Enfin, on observe que les rythmes possèdent une importance cruciale sur le littoral. La saisonnalité touristique et les grandes marées d’équinoxe forment des rythmes annuels. L’occurrence de tempêtes présente un rythme irrégulier tandis que l’érosion et la submersion définitive sont des phénomènes à la fois rythmiques (cela se produit par à-coups) et continus (avec une aggravation constante). Ce constat doit nous conduire à quitter une vision fixiste, où une action conduit à un état achevé, pour une démarche ouverte en perpétuelle évolution. Or, l’outillage actuel du projet et de la planification n’est pas du tout adapté. Il nous faut expérimenter de nouvelles manières de faire, capitaliser ces expériences et faire des retours d’expérience utiles à tous.
Cette vision rythmique du littoral possède une autre vertu qui est de mettre en avant les usages et les pratiques qui sont, par essence, évolutifs et surtout très souples. Nous rêvons d’un rivage dégagé de la fixité du droit de propriété, ouvert à des usages impermanents. Ce changement de paradigme fait basculer le projet de l’urbanisme vers le design social.
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Pour le littoral, nous avons donc besoin de voir loin et de prendre du temps pour élaborer des projets solidarisant le rivage et l’arrière-pays. Nous pensons qu’est venu le temps de solutions fondées sur la nature croisant le design d’usages. L’urgence climatique est face à nous. Agissons avec sérénité mais commençons tout de suite.