Tables rondes alternatives Europan 15
28 avril 2020
Sites : Saint-Omer, Rochefort Océan, Pays de Dreux
Avec : Jean Richer (Architecte des bâtiments de France, UDAP de la Charente-Maritime) Jury : Marie-Hélène Badia (Présidente du jury Europan 15, architecte et enseignante chercheuse à l’ENSA Val de Seine) Iris Chervet auteure du projet « Hydro-productive Parks », lauréat, Saint-Omer Clara Loukkal et Benoît Barnoud auteurs du projet « L’escargot, la méduse et le bégonia », lauréat, Rochefort Océan Chloé Valadié et Gaëtan Brunet auteurs du projet « Ecological Magnets », mentionné, Pays de Dreux Raphaël Besson, modérateur.
l'Architecture d'Aujourd'hui / Hors-série Perspective
Propos recueillis par Jean-Philippe Hugron.
Qu’espèrent un Architecte des Bâtiments de France, Jean Richer, et un adjoint à l’urbanisme, en l’occurrence, celui de la ville de Rochefort, Thierry Lesauvage, d’Europan ? Des étincelles, des transgressions et, surtout, des projets-processus qui travaillent avec la nature et non contre elle.
L’Architecture d’Aujourd’hui : Pourquoi avoir pris la décision de participer à cette quinzième session d’Europan ?
Jean Richer : L’acte inaugural est simple. Nous élaborions le Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV) de Rochefort, nous étions en réunion publique et – chose que je ne devrais pas faire – j’ai consulté mon téléphone et vu une notification m’informant du lancement imminent d’Europan 15. Alors que nous nous prêtions à un exercice rigoureux – l’élaboration d’un document de gestion patrimoniale – Europan pouvait nous aider à voir les choses différemment. La ville de Saintes, à quelques kilomètres, avait participé à deux reprises à ce concours et nous avions pu constater l’intérêt de cette procédure. En outre, nous pressentions être dans un contexte favorable, entre nature et culture, pour développer un nouveau type de projets. Europan pouvait en être l'étincelle.
Thierry Lesauvage : J’attendais, dans le cadre d’Europan, que ce Plan de Sauvegarde devienne un objet de… transgressions. La manière dont l’État et les services de l’État regardent l’ensemble des Plans de Prévention est rigoureusement obsolète. Un concours européen nous semblait, par ailleurs, être le moyen indiqué pour nous livrer au regard international. Pour ma part, j’observe avec le plus grand intérêt les équipes néerlandaises qui, comme nous, se confrontent à des zones inondables mais qui, dans ces circonstances, maîtrisent voire utilisent le risque ; elles travaillent avec la nature et non contre elle.
Jean Richer : J’ajouterais enfin que l’Arsenal de Rochefort - le site qui était offert au concours Europan 15 - forme en ville un ensemble important, dont une partie comporte de nombreux monuments historiques dont la célèbre corderie royale et une autre reste dévolue aux activités industrielles, notamment à la fabrication de tronçons entiers d’avion de ligne. C’est donc un palimpseste, une accumulation d’histoires, un patrimoine qui se projette sans cesse vers l’avenir que nous voulons désormais marier avec le biotope particulièrement riche du marais présent sur l’autre rive de la Charente.
AA : Qu’avez-vous retenu des différents projets proposés ?
JR : Nous avons tout d’abord compris qu’il fallait aller davantage vers l’élaboration d’un « projet-processus » afin de nous inscrire dans une logique industrielle et économique. Ensuite, il était intéressant d’observer la manière dont chaque candidat a souhaité dépasser les limites du périmètre de projet ; beaucoup ont eu du mal à s’y tenir pour préférer aller bien au-delà, à l’échelle de l’estuaire. C’est donc presque « naturellement », que les projets proposés ont embrassé l’échelle de l’estuaire, celle du futur Grand site de France, qui était déjà celui de la candidature au patrimoine mondial de l’UNESCO.
TL : Étendre le périmètre signifiait, par ailleurs, prendre en compte un temps beaucoup plus long, un siècle par exemple, à l’image de la proposition intitulée « L’Escargot, la méduse et le bégonia ». Ce projet porte les termes d’une action globale dans une perspective de « grand site ». L’autre leçon de cette proposition est l’abandon pur et simple du zonage et, de nouveau, les documents d’urbanisme se montrent, en ce sens, trop contraignants.
AA : Qu’entendez-vous par « projets-processus » ? Quelle est la pertinence de cette approche ?
JR : Nous sommes dans un monde mouvant et les projets-processus permettent plus de liberté d’évolution en plus d’intégrer plus facilement de nouveaux acteurs. Le projet-processus est autrement plus inclusif. À Rochefort, les acteurs publics ne sont pas avares de projets mais il manque parfois la manière d’associer l’ensemble des forces présentes. En ce sens, Europan a été l’occasion d’attaquer des « totems » : l’entité close du port de commerce ou encore le fonctionnement en vase clos de l’entreprise Stelia Aerospace aux deux extrémités de l’Arsenal. L’organisation du concours ou encore les visites de sites nous ont permis de parler avec des acteurs que nous n’avions pas coutume de rencontrer. Europan est pour nous un moyen transactionnel, un projet commun qui permet de créer les conditions d’un dialogue renforcé.
TL : Figés, les outils de l’urbanisme – et le PLU plus particulièrement – ne sont plus adaptés. Il nous faut des documents ré-ajustables pour être à la fois en mesure de planifier mais aussi corriger, modifier, perfectionner. Apporter des modifications à un projet demeure aujourd’hui, une procédure bien trop lourde. Dans le contexte de projets-processus, des pistes intéressantes ont été soulevées notamment sur la notion de propriété ; n’est-elle pas un frein aujourd’hui pour redonner un espace à la nature ? Cette question soulève aussi d’autres interrogations sur notre capacité à déconstruire. Nous savons pertinemment, à Rochefort, que les ingénieurs aéronautiques qui travaillent à la conception d’un avion pensent parallèlement à son démantèlement. Il faudrait que le secteur de la construction s’empare, lui aussi, de cette logique. Europan nous a, pour ainsi dire, « décalaminé » le cerveau.
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