On a coutume de décomposer le coût total d’un bâtiment tertiaire à 5 % pour les études, 20 % pour la construction et 75 % pour la maintenance (pour environ 35 ans d’exploitation). Les démarches d’évaluation durable des constructions tendent de surcroit à intégrer des considérations environnementales plus larges et la taxe carbone en discussion aujourd’hui montre que notre sensibilité s’est ouverte à une appréciation globale de l’acte de construire incluant le fonctionnement de l’ouvrage projeté. Mais avons-nous changé nos méthodes de travail pour intégrer cette nouvelle donne ?

CYCLE DE VIE
La démarche en coût global s’est introduite dans nos réflexions depuis quelques dizaines d’années tout en se cantonnant à une approche comptable du fonctionnement d’un ouvrage faisant ressortir dès sa conception les futures consommations énergétiques et d’eau. De plus en plus d’études tendent à aller plus loin en faisant ressortir l’impact à terme de la qualité d’un édifice : toujours dans le cas d’un bâtiment tertiaire, il ressort que les gains économiques possibles se décomposent pour 11 % en économie d’énergie, 16 % pour l’entretien et la maintenance, et 70 % de gains de productivité des salariés dans un milieu de vie attractif (voir l’ouvrage collectif édité récemment par l’Afex « construire pour un développement durable »). La question qui se pose aux collectivités territoriales est donc de savoir s’il est possible de changer notre management de projet pour intégrer tout ou une partie de ces considérations sociales et environnementales. La réponse est complexe et nous voilà dans l’obligation d’établir des objectifs précis et d’évaluer le futur !
Un projet se caractérise dans nos métiers par une phase de faisabilité, une phase de programmation, une d’étude de conception, une de travaux, une autre de mise en service et de maintenance et une dernière, peu prise en compte à sa juste de valeur consistant à sa démolition (schéma ci-dessus). Or la décomposition des coûts liés aux différentes phases montre une lente montée en puissance tandis que la part relative des coûts déterminés par les décisions déjà prises monte en flèche dès les premières étapes pour plafonner à la fin des études. Autrement dit, les décisions prises dès le début influencent considérablement le cycle de vie d’un projet et engagent durablement la collectivité.
Un projet de bâtiment ou un ouvrage technique sont des productions. Or un produit s’envisage depuis longtemps dans l’industrie à partir de son cycle de vie allant de la prise en compte du besoin, de sa conception, de son utilisation jusqu’à son retrait. Deux normes AFNOR décrivent le management des systèmes y affairant : l’ingénierie intégrée (X50-415) et le soutien logistique intégré (X50-420).

INGENIERIE INTEGREE
« [L’ingénierie intégrée] est destinée à permettre aux développeurs de prendre en compte dès l’origine toutes les phases du cycle de vie du produit depuis sa conception jusqu’à son retrait, y compris la qualité, les coûts, les délais et les exigences de l’utilisateur. » Cette démarche est fondée sur cinq principes : la permanence et la compréhension du besoin du client, le travail en équipe pluridisciplinaire, l’anticipation et la prise en compte globale de toutes les contraintes, l’unicité et la cohérence de l’information et le recours aux modèles de représentation. Appliquée à notre travail de programmation, l’ingénierie intégrée sous-entend un effort d’analyse des données du projet par une équipe aux compétences multiples allant si besoin de la sociologie aux techniques de maintenance.
Le soutien logistique intégré permet d’associer à la conception du produit les éléments nécessaires à sa maintenance en recherchant un optimum économique. Après analyses et évaluations des solutions possibles, l’ensemble des actions nécessaires à la mise en œuvre de ce soutien est rassemblé dans un « plan de soutien logistique intégré » comprenant un calendrier général et l’allocation des moyens. Un des modes d’organisation reconnus consiste à rapprocher les équipes de conception des équipes de soutien logistique pour que chacun valide les résultats obtenus par l’autre filière. Dans les collectivités, ce rapprochement se fait hélas trop rarement et l’analyse de l’ensemble du cycle de vie de l’ouvrage par une équipe mixte encore moins.

COUT GLOBAL EN QUESTION
Ce tour trop bref dans le monde de l’industrie devrait être approfondi, mais il nous enseigne déjà quelques éléments essentiels. L’article 2 de la loi MOP rappelle les obligations du maitre de l’ouvrage : s’assurer de l’opportunité et de la faisabilité de l’opération envisagée, définir le programme et déterminer l’enveloppe financière prévisionnelle. Si nous pouvons déléguer en partie cette responsabilité, il n’en demeure pas moins que la constitution d’une équipe projet en interne est indispensable et qu’elle doit avoir des compétences élargies, multifonctionnelles, en associant si possible les équipes de maintenance, et en mettant en place des outils de compréhension commune et d’information. Tout est ici une question d’organisation pour marier les savoirs et les compétences lors des phases de faisabilité et de programmation afin de faire les choix stratégiques qui orienteront définitivement le projet sur toute sa durée de vie.
L’anticipation des coûts différés est au cœur de l’ouvrage de la MICQ « ouvrage public & coût global ». On y différencie le coût global élémentaire, prenant en compte l’exploitation et la maintenance ; le coût global élargi prenant en compte des facteurs supplémentaires tels que l’incidence des choix architecturaux sur les risques sanitaires et sur la « productivité » des utilisateurs ; le coût global partagé, enfin, incluant de l’impact du bâtiment sur l’environnement au cours de son cycle de vie. Il convient donc de bien identifier dès le départ les objectifs que l’on désire atteindre.
Il peut apparaître surprenant d’adopter une logique purement budgétaire comme base d’évaluation de l’impact d’une construction. Néanmoins, cela permet d’initier clairement la démarche d’évaluation du futur. Commençons par ce qui est simple. Déjà des outils existent pour accompagner les maitres d’ouvrage dans cette démarche. le CSTB a mis au point un outil de sensibilisation au coût global s’appuyant sur la norme ISO 15686-5 pour traduire économiquement l’efficacité environnementale. L’outil est accessible sur le site Internet du MEEDDAT, permettant de comparer différents scénarios au stade de la faisabilité avant d’aller plus loin (http://www-coutglobal-developpement-durable-gouv-fr.aw.atosorigin.com/).
La démarche en coût global se heurte malheureusement au cloisonnement comptable séparant les amortissements du plan comptable d’investissement du bilan du budget de fonctionnement. Néanmoins, une première étape pourrait être franchie en se rapprochant des méthodes de l’industrie, en particulier de l’ingénierie intégrée, pour créer de véritables équipes projet interdisciplinaires aptes à élaborer ensemble la complexité d’un projet. Réfléchir de la même manière à un plan de soutien logistique intégré dès la conception peut être une manière pragmatique d’initier cette démarche de fond. Peu importe d’embrasser d’un seul coup la question, mieux vaut le faire pas à pas et durablement.
L’évaluation globale du processus immobilier
La question de l’évaluation en architecture est cruciale et dépasse celle de la certification. Si les actes d’aménager et de construire sont des processus temporels autant que spatiaux, entrer dans l’évaluation par la question du temps permet un changement de paradigme. Le cheminement d’un projet de construction est long et sinueux au point d’échapper à toute modélisation. Ce cheminement épouse un vaste champ composé de situations et d’acteurs différents allant de la décision de faire jusqu’à la décontraction de l’ouvrage en fin de vie.
Le processus immobilier
Nous examinons rarement la genèse d’une décision : comment naît l’idée de faire une nouvelle construction ? Il est surprenant de découvrir chez les maîtres d’ouvrage privés et publics des projets longtemps en suspens dont tout le monde parle et qui un beau jour « sortent du chapeau ». D’autres fois, ce sera une fulgurance. S’il s’agit souvent de l’expression d’un besoin, il ne faut pas soustraire à cette phase son caractère parfois irrationnel en prise avec les passions humaines. Lorsque l’hypothèse paraît sérieuse, elle fait l’objet d’une première étude de faisabilité en interne qui se limite souvent à une prospective financière et une étude d’opportunité foncière. S’en suivent de nombreux débats, des revirements dus à des luttes d’influence, voire des tentatives de sabotage. Après une maturation plus ou moins longue qui correspond à un délai d’acceptation collective du nouveau projet, l’idée passe généralement par une instance de décision, conseil d’administration ou municipal pour un premier arbitrage. À ce stade le projet se limite à de grandes lignes que des études de faisabilité et de programmation vont venir étayer.
La phase suivante est celle de la programmation. Si cette phase est rendue obligatoire par la loi MOP pour les constructions publiques, force est de constater qu’elle est souvent bâclée, car, dès que la décision de mise à l’étude est prise, le projet entre dans un stress temporel qui veut sa réalisation rapide. Pourtant il s’agit d’une très belle phase de questionnement qui inclut une introspection de l’organisation sur ses pratiques, son projet éthique d’évolution, ses forces et ses faiblesses. La programmation se caractérise aussi par le choix définitif d’un site qui aura des répercussions déterminantes sur la suite du projet tant de manière intrinsèque (la configuration géométrique du site) que contextuelle (en termes de déplacements et plus généralement d’insertion territoriale).
Les éventuelles études complémentaires laisseront place à la consultation de la maîtrise d’œuvre. Cette phase se développe par une conception architecturale assistée de plusieurs compétences techniques en ingénierie de la construction et de l’environnement. Le maître d’ouvrage qui a déjà perdu beaucoup de temps à tergiverser sur l’opportunité de son opération aura naturellement tendance à réduire cette phase sans se soucier de la non-qualité que son exigence représente. De plus, au stress temporel s’ajoute vite un stress financier pour rentrer dans l’enveloppe financière prédéterminée. 
S’en suivra le chantier qui est source de malfaçons et de désordres futurs en tout genre. Le stress temporel d’une fin de chantier planifiée et le stress financier du respect du budget initial n’auront de cesse de grandir jusqu’à la réception des travaux. Une fois le chantier terminé, l’emménagement passé et les quelques bricoles techniques résolues, la vie du bâtiment ne fera que commencer entre les mains de son gestionnaire et surtout de ses utilisateurs. L’usage prendra le pas sur la projection des bonnes pratiques et la gestion sera plus ou moins bien conduite en fonction de l’intelligence mise dans la conception de l’installation technique. Des travaux de maintenance, puis des réparations de plus en plus lourdes porteront le bâtiment jusqu’à la fin de son existence qui aujourd’hui s’estime à une quarantaine d’années. Une réhabilitation lourde ou une déconstruction viendra clore le cycle.
Ce rappel n’a d’autre but que d’insister sur l’enchaînement des phases qui constituent le processus immobilier. Or il faut nous attacher à montrer en quoi seule l’appréhension du processus global peut être source de qualité environnementale.
Pour une évaluation globale
De nos jours, chaque intervenant de ce long processus est impliqué dans une politique environnementale. Le maître d’ouvrage développe une politique de développement durable en parallèle de sa responsabilité sociale (RSE). Il commande à un programmiste et une équipe de maîtrises d’œuvre des orientations environnementales qui font écho à de réels engagements éthiques de la part de ces prestataires. Bon gré mal gré, les entreprises se sont pliées à ce mouvement de société. Le commanditaire ou l’affectataire feront leur possible pour exploiter convenablement le bâtiment et les usagers seront sensibilisés pour une utilisation écoresponsable de celui-ci. Or dans la pratique, cet enchaînement vertueux est rarement réalisé. Certaines étapes se trouvent être plus faibles, moins regardantes sur les objectifs environnementaux. Le propos est dès lors le suivant : si un des maillons manque d’ambition ou de rigueur, c’est tout le processus qui est remis en cause. Comme dans toute chaîne de production, ce n’est pas la méticulosité ou l’efficacité de quelques intervenants qui feront la qualité, mais bien l’exécution de l’ensemble du processus. Rien ne sert d’être spécialement vertueux lors d’une phase si par ailleurs un autre maillon du processus déconstruit le tout. Nous observons le développement de pratiques extrêmement vertueuses en matière environnementale avec des référentiels complexes qui s’appliquent de la conception de l’ouvrage à sa réception. Est-ce la bonne réponse ? Dans l’optique d’une acculturation d’un milieu professionnel à une problématique émergente de développement durable, la réponse est positive. Mais si nous regardons l’ensemble du processus, nous constatons que ces référentiels n’épousent qu’une partie du processus alors même que seule la revue du processus dans son ensemble peut garantir une qualité environnementale. Il apparaît souhaitable de tenir quelques engagements environnementaux, choisis stratégiquement, et d’espérer les porter durant tout le processus.
Dans cette optique de revue du processus immobilier, l’évaluation possède une place de choix. Si nous nous focalisons sur une seule phase — le chantier par exemple — il va sans dire que l’évaluation devra se satisfaire de mesures en fin de chantier pouvant déboucher sur des actions correctives. Si maintenant nous observons le processus dans son ensemble, l’évaluation change soudain de posture puisqu’elle interroge les objectifs initiaux dans le fonctionnement de l’édifice et son rapport avec ses usagers. On dit avec amusement que les architectes ne reviennent dans leurs œuvres en fonctionnement que pour constater les sinistres. C’est un peu vrai, car nous n’avons pas une culture de l’évaluation des situations de vie en encore moins des processus globaux. Le propos ne consiste certainement pas à bannir les référentiels environnementaux et les démarches entreprises en cours de conception ou de réalisation. Ils ont toute leur place et les améliorations qu’ils produisent sont notables. Mais une attention renouvelée doit être portée sur l’ensemble du processus.
Des promesses
Après avoir examiné le processus immobilier, nous pouvons en déduire qu’il est essentiellement orienté vers l’avenir. Cela commence chez le maître d’ouvrage qui projette la réalisation de l’ouvrage. Celui-ci n’a pas encore de forme, mais il correspond à une image partagée d’un produit fini à venir. Le choix d’un site — qui ne fait malheureusement que trop peu partie des paramètres examinés lors de la programmation — correspond au premier ancrage dans le réel du projet. À ce stade l’édifice à venir n’est qu’une promesse. Les scénarios de la préprogrammation vont faire basculer le projet dans une recherche d’un avenir souhaitable en proposant plusieurs métaformes au projet. L’image d’un futur possible va peu à peu s’ancrer dans un site et son abstraction n’empêche nullement une projection de chaque acteur. Bien au contraire, elle permet la superposition d’une multiplicité de représentation. Ainsi, le chef de projet, le financier, les futurs utilisateurs, le conseil d’administration auront tous une vision divergente du futur équipement qui s’inscrira pourtant dans la métaforme du plan masse.
Le concours de maîtrise d’œuvre apportera la première image ferme du futur. L’architecte possède la capacité de donner une forme au futur par la conception architecturale. Dresser un plan revient à préfigurer l’espace physique par des intentions en termes de position, de volumes et d’apparence. La promesse initiale devient dès lors plus précise et sa virtualité augmente. Le projet d’architecture porte en lui-même son avenir et l’architecte vit dans un univers de projections. Le chantier apportera l’éclosion de l’objet physique produit peu à peu. Sa lenteur permet d’ailleurs à l’image virtuelle de s’effacer peu à peu pour laisser place à l’appréhension kinesthésique des lieux.
Pourtant, le genuis locci n’existe pas encore, car son sens ne sera conféré que par l’appropriation des usagers. Un édifice, comme tout organisme, s’anime avec son usage. La virtualité du projet s’arrête pour laisser définitivement place à un présent continu. Dans cette première partie du processus immobilier, nous observons une expansion puis une réduction de l’horizon temporel du projet. L’expansion correspond à l’initialisation du projet qui ouvre un champ ouvert de projections, puis au fur et à mesure de la conception du projet et de sa réalisation, l’horizon temporel va se rapprocher par la réduction des possibles jusqu’à la livraison d’un unique objet. Il est important de constater que les acteurs du projet sont donc poussés dans une projection dans le futur et que cela façonne leur manière de voir le monde et de se positionner.
La nécessité de l’évaluation
Nous l’avons vu, l’analyse d’un processus nécessite son évaluation. Or, si nous examinons ce mouvement, nous constatons qu’il s’agit d’un retour en arrière s’effectuant sur un objet fini. Il s’agit donc d’un mouvement inverse à celui décrit précédemment. L’hypothèse que je pose est celle de l’inadéquation entre les cultures professionnelles des différents acteurs habitués à penser le futur et le travail rétrospectif de l’évaluation. Or il est bien évident que ces cultures doivent évoluées pour s’ouvrir à l’évaluation. 
L’évaluation environnementale — inscrite au code de l’urbanisme et de l’environnement pour les plans et les projets d’une certaine importance — possède la spécificité de se projeter dans le futur. Il s’agit d’évaluer l’impact du projet à partir de l’état initial de l’environnement et de proposer des améliorations ou des compensations pour limiter les impacts à venir. Cette évaluation s’inscrit dans une projection. Elle nécessite par ailleurs une évaluation après mise en application du document de planification, ou réalisation du projet, pour confirmer la bonne prise en compte des impacts sur l’environnement. Nous remarquerons que cette évaluation est partielle puisqu’elle se concentre sur des questions purement environnementales liées à la qualité de l’eau, des milieux et à la biodiversité. D’autre part, cette évaluation est demandée par l’autorité environnementale qui se positionne au-dessus des préoccupations des maîtres d’ouvrage et des maîtres d’œuvre. De fait, il n’est pas sûr que les résultats de cette évaluation soient appropriés par les acteurs du projet qui la vivent plutôt comme une contrainte réglementaire.
Les référentiels de management de qualité environnementale proposent des systèmes complets d’évaluation qui prend en compte l’organisation de l’opération en sus de l’évaluation de cibles environnementales. Ces référentiels proposent une analyse à la carte comprenant des cibles obligatoires et d’autres facultatives. Leur force principale réside dans la certification et l’organisation humaine qu’ils proposent pour assurer avec rigueur le suivi des opérations. Ces référentiels agissent avant tout comme des instances de légitimation des démarches entreprises par les acteurs de la construction, de l’exploitation et de l’aménagement. Ils sont donc censés valoriser les opérations en leur apportant une distinction. Vues depuis notre problématique temporelle, nous pouvons qualifier ces démarches de garantie des engagements pris. Le suivi méticuleux des organismes certificateurs agit comme un guide dont l’évaluation finale n’est que la conclusion. S’attachant à l’opération, elle ne contient pas en elle-même d’introspection sur le processus et encore moins d’enseignement pour l’avenir.
En parallèle de ces référentiels commerciaux se développent des référentiels territoriaux qui semblent riches de promesses. De par leur essence publique, ils échappent au vice du marketing. De plus, ils se positionnent à l’articulation des ambitions environnementales d’une collectivité — portées très largement par les agendas 21 — et les opérations qui sont censées être l’incarnation de l’esprit général. L’élaboration de ces référentiels territoriaux agrège souvent un grand nombre d’acteurs et permet de créer une culture locale de développement durable. En cela, ils sont l’expression d’un territoire. Leurs applications pratiques par opération filtrent les phases de conception et de réalisation dans un dialogue — parfois difficile — entre la collectivité porteuse du référentiel et l’opérateur. Ces référentiels contiennent en eux-mêmes une évaluation en continu des opérations. Nous pouvons donc les qualifier de proactifs.
Un dernier type d’évaluation est d’ordre technique. Il s’agit des tests réalisés en fin de phase technique pour évaluer la bonne réalisation des prestations. Tests d’étanchéité à l’air, tests de mises en service des installations techniques… Leur rôle consiste à valider la mise en œuvre des matériaux et matériels et de provoquer des interventions correctives si nécessaire. Mais selon l’hypothèse retenue ici, ils ne constituent qu’une petite partie de l’évaluation globale et leurs précisions ne doivent pas faire oublier les défaillances de l’évaluation globale.
Un type d’évaluation méconnue est l’évaluation comportementale, pourtant prisée aux États-Unis. Elle consiste à mesurer l’activité d’un bâtiment après sa mise en service. Il s’agit d’évaluer l’influence que le bâtiment peut avoir sur les comportements de ses occupants, mais aussi l’influence des occupants sur les performances techniques du bâtiment. Si ce dernier point est de plus en plus pratiqué dans le cadre des bâtiments à très basse consommation énergétique — dont la performance est soumise aux pratiques des occupants — l’évaluation des comportements induits ne l’est pas. Pourtant les phases d’initialisation, de programmation et de conception se fondent sur la compréhension de besoins futurs et leurs satisfactions par des dispositifs spatiaux autant que techniques. Pourquoi ne pas évaluer cela ? Tout ce passe comme si les demandes de réaménagement des lieux après quelques mois ou années de fonctionnement étaient normales alors que la prévision a failli. Ce type d’évaluation s’apparente à un retour en arrière puisqu’il s’agit — à partir du constat du présent — de comprendre ce qui n’a pas été pris en compte dans le passé.
Cette tentative de typologie de l’évaluation est imparfaite et nécessiterait des approfondissements. Le propos n’était pas à l’exhaustivité, mais se concentrait sur deux points. D’une part, il faut prendre conscience que l’évaluation est un mouvement inverse à celui de la conception dans la mesure où elle n’est pas projection mais introspection. Elle demande donc un changement de culture professionnelle de la part des acteurs de la construction. N’oublions pas que nous vivons dans une époque où l’accélération du temps social domine. L’horizon temporel de nos actions se réduit de plus en plus et les décisions se prennent dans l’affolement sans que le temps de la réflexion ne soit pas valorisé. Il suffit d’observer la compression des plannings opérationnels et le manque de planification à long terme des donneurs d’ordre. Les schémas immobiliers qui prospèrent actuellement donnent le plus souvent la vision panoptique d’un patrimoine, mais qu’il est difficile d’en tirer une stratégie. Or cette stratégie doit servir à donner un sens au processus immobilier dont nous avons parlé précédemment. L’évaluation permet d’opérer une concordance des temps. Combien de fois a-t-on entendu les acteurs dirent qu’ils n’ont pas eu le temps de tirer le bilan d’une opération hormis en termes financiers. L’évaluation permet d’habiter un présent équilibré entre le passé et le futur.
Le deuxième point de cette petite démonstration concerne l’analyse du processus dans son ensemble. Nous avons vu comment l’enchaînement des phases créait une interdépendance et que tout manquement a l’une d’entre elles pouvait nuire à la qualité d’ensemble. Ce constat est amer. L’avenir sera certainement dans une démarche globale et intégrée permettant d’articuler les certifications ponctuelles et les diverses évaluations. Nous postulons que si le développement durable possède intrinsèquement une dimension temporelle — puisqu’il s’agit de penser les actions d’aujourd’hui sans remettre en cause les conditions de vie des générations futures — nous ne pouvons plus faire l’économie d’une réflexion temporelle sur le processus immobilier. Nous devons réévaluer nos pratiques à dimension de ce processus global.
Retour au début