
Passant les Alpes par le col du mont Cenis, on croise cette étrange forteresse. Un panneau d’information explique qu’elle fut édifiée par l’armée française pour protéger la passe rocheuse d’une incursion italienne. Aujourd’hui cette sentinelle désœuvrée n’est plus que le témoin de tensions européennes anachroniques.
L’édifice militaire marque une frontière, ancien arrangement des hommes, que les monts et les vallées ne connaissent pas. Au pourtour du royaume, il devait y avoir des centaines de passes avantageuses à l’avancement de l’ennemi et à chaque fois une de ces forteresses. Celle-ci aura-t-elle connue des combats ? Sera-t-elle passée de main en main ? Fut-elle obsolète au jeu des traités diplomatiques ? Une seule chose est sure : la garnison devait s’y ennuyer ferme par temps de paix.
Cette forteresse appartient à son paysage. Elle s’y fond par l’emploi de la pierre équarrie posée sur le rocher brut. Son profil est volontairement râblé. Elle tient à sa fonction militaire : position, angle de tir et de défense. Mais elle appartient aussi à un réseau géographique national nettement plus vaste duquel elle tire son sens et sa fonction.
Paysage et pays sont ici également vrais.

L’estacade d’Ostende s’élance droite dans la mer du Nord. Dans cette ville bizarre et surannée, on ne sait plus quel rôle donné à ce ponton : promenade estivale pour familles bruxelloises ou rade pour ferry et bateaux de pêche revenant du large ? Il faut connaître Ostende, ses villas décaties, sa longue promenade couverte pour protéger les peaux pâles du siècles dernier, son port marchand, ses bars à dames et ses nuits chaudes pour comprendre l’effervescence et la solitude de cette ville.
L’estacade en témoigne à sa manière. Elle est une longue digue supportée à quelques mètres de hauteur par de rudes poteaux de bois. Elle aboutit après une sorte de pont-levis à une plate-forme servant de tour de contrôle et de lieu de pèche à des retraités hardis. Sentinelle, elle surveille l’arrivée des bateaux. Belvédère, les promeneurs viennent y observer la ligne tendue de l’horizon. L’ivresse ressentie lorsque l’on marche sur cette passerelle est-elle due à son élévation ou à cette mer faussement calme qui vient lécher ses piliers ?
L’estacade participe directement au paysage. La marche pratiquée sur la centaine de mètres permet de mesurer l’immensité de l’étendue aquatique. Arrivé au bout du ponton, là où la marche finie, le paysage commence. C’est à cette mutation intérieure que préparait l’ivresse de marcher sur les eaux.