
Les métiers techniques s’appuient de plus en plus sur Internet et le déploiement des smartphones laisse entrevoir de nouvelles possibilités. J’ai testé pour vous l’application mobile « DansMaRue » de la Ville de Paris qui permet aux citoyens de signaler des anomalies à l’attention des services de propreté et de maintenance. L’emploi de cet outil révèle vite une dimension passionnante en matière de gestion urbaine.
Nouveaux services numériques à la population
De nouveaux services à la population ont émergé avec Internet, liés à l’information sur l’action publique, l’interaction en continu entre élus et citoyens, la consultation et la concertation du public. Instantanés et fiables, ces nouveaux modes redéfinissent le débat public et les modes d’interpellation. Le déploiement des smartphones dans la population fait aujourd’hui naître des usages simples, basés sur la capacité de ces appareils à se géolocaliser, à photographier et à se connecter à Internet. Cela stimule les développeurs qui proposent aujourd’hui des applications de signalement des anomalies et de la malpropreté dans l’espace public. Le service arrive en France après avoir été testé avec succès dans plusieurs pays européens avec des applications comme « BuitenBeter » aux Pays-Bas ou « FixMyStreet » en Angleterre. La ville de Paris a mis à disposition des Parisiens une application intitulée « DansMaRue » depuis juin 2013 qui permet de signaler aux services de la Ville de Paris les anomalies constatées sur l’espace public et dans les jardins municipaux.
D’un usage aisé, l’application parisienne propose de qualifier une anomalie par famille, de prendre une photographie et de la géolocaliser. Elle vient renforcer un dispositif d’interpellation plus classique par courrier, site Internet municipal et téléphone. L’intérêt de cette application est qu’elle transforme une discussion téléphonique de cinq minutes, avec parfois des imprécisions, en une saisie nécessitant quelques manipulations (moins d’une minute à l’expérience). Je l’ai testé dans le jardin du Trocadéro en signalant cinq « anomalies » dont deux liées à la propreté urbaine. Le service offre à son utilisateur une facilité d’interpellation, une légitimité dans sa demande (il apporte la preuve par l’image) et une traçabilité. S’il faut pointer la ségrégation technologique et la déshumanisation de la relation avec l’administration, la démarche invente une nouvelle forme de relation de proximité et d’implication pour les habitants. L’instantanéité de l’interpellation possède néanmoins son revers : dans mon expérience, la semaine de délai dans la réponse des services de la Ville de Paris m’a semblé longue, sensation que je n’aurais pas eue en envoyant un courrier.
Bâtir un service de proximité et adapter les modes d’intervention
Développée par la société marseillaise C4M à partir d’un appel à projets lancé du ministère de la Recherche, l’application « DansMaRue » a été adaptée aux besoins de la Ville de Paris avec un co-pilotage en interne des services de l’espace public et de l’informatique. L’application fut testée dès septembre 2012 auprès d’un panel de conseillers de quartier avant d’être étendue à l’ensemble des Parisiens. Si elle reste encore expérimentale, le service monte en puissance. En fonction du type et de la localisation de l’anomalie, l’information est envoyée au service gestionnaire de proximité pour analyse et programmation de l’intervention corrective. L’intérêt du dispositif réside dans la traçabilité de la demande et l’information du demandeur sur le traitement de l’anomalie. Dans la plupart des cas, l’action corrective fait partie des procédures courantes des services. Dans le cas où l’intervention nécessite des travaux, l’utilisateur est tenu au courant des suites données en matière de programmation.
Ce type de service permet d’augmenter la réactivité des services gestionnaires vis-à-vis des habitants. Il améliore la qualité de leurs prestations par une plus grande proximité et une meilleure connaissance des attentes des bénéficiaires du service. L’initiative de la Ville de Paris est très intéressante même si les critiques — il n’y a qu’à lire certains avis de l’Apple store — sont parfois féroces : « les anomalies signalées sont marquées comme traitées alors qu’absolument rien n’a été fait dans le monde réel ». Si le dispositif couvre tous les arrondissements de Paris, le service enregistre les anomalies sur les espaces qui n’appartiennent pas à la ville (comme les parvis des gares et les esplanades privées) et promet de les transmettre aux gestionnaires concernés. Les frontières spatiales et administratives n’étant pas perçues par les citoyens/usagers, ce nouveau type de service doit nécessairement conduire à terme à des structures de gestion multiacteurs qui ne se posent d’autres frontières que celle de la ville elle-même. D’autre part, le fonctionnement des services de maintenance et de propreté urbaine voit affluer des demandes de multiples origines et par différents canaux. Rares sont aujourd’hui les logiciels-métiers capables d’assurer l’interopérabilité entre toutes ces entrées. Il reste donc un vaste chantier à ouvrir dans l’organisation de l’information.
Aller vers la gestion urbaine et la co-gestion
Le développement d’une telle application est riche de promesses. Outre la facilité d’interpellation et de réponse au demandeur, elle permet d’aller vers une gestion urbaine de proximité : adaptation de l’organisation interne des services de la collectivité, coopération entre les différents acteurs de la ville, mise en œuvre de projets de gestion et de plans d’action pluriannuels. De plus, abonder automatiquement une banque de données peut permettre une analyse et l’adaptation des niveaux de service en fonction des quartiers et des saisons.
C’est dans l’action entreprise que ce type d’outil dévoile son être, renvoyé à autre chose qu’à lui-même pour reprendre les termes du philosophe M. Heidegger. Dernièrement, l’université d’Helsinki a développé un algorithme permettant de déterminer à partir de l’accéléromètre — contenu dans les Smartphones d’usagers volontaires — le mode de transport qu’ils utilisent tandis que la ville de Boston aux USA teste depuis 2011 une application nommée « Street bump » pour repérer les nids-de-poule sur ses voies à partir des téléphones de conducteurs eux aussi volontaires. L’interpellation pourrait laisser place à une collaboration plus large des citoyens permettant une observation diffuse du domaine public et une cartographie en temps réel des anomalies. Les applications numériques n’ont pas d’influence directe sur la qualité de service de nos administrations, mais elles vont de plus en plus concourir à faire émerger une démarche de co-gestion de l’espace public avec les usagers. Le développement de ce type d’outil est symptomatique d’un changement de paradigme : nous passons de la ville providentielle où tout était anticipé par les pouvoirs publics pour satisfaire l’usager à une ville co-gérée où le niveau de service est négocié directement avec les citoyens.
Pour aller plus loin :
L’application de la Ville de Paris « DansMaRue » est disponible gratuitement sur l’Apple Store, le Google Play Store et le WindowsPhone Store
La Ville de Boston a développé plusieurs applications innovantes à destination des citoyens qui sont à retrouver sur la page Citizens connect : http://www.cityofboston.gov/doit/apps/citizensconnect.asp
Le site Internet « Innov’ in the City » informe régulièrement des innovations en matière de gestion urbaine et de déplacement : http://www.innovcity.fr
Les codes sources de l’application mobile « DansMaRue », ainsi que le code du dispositif de gestion utilisé par les services de la Ville des Paris, sont en open source et peuvent donc être réutilisés et adaptés librement par d’autres collectivités.
Publié dans Technicité, mars 2014

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Vidéosurveillance
La sécurité passera par la vidéosurveillance : le contexte de crise actuel n’a fait qu’aggraver une situation déjà problématique. La montée inexorable de la violence et de la délinquance appelle depuis plusieurs années déjà des solutions drastiques que le gouvernement veut résoudre en développant un système qui a fait ses preuves, la vidéo protection des espaces publics. L’objectif ambitieux est de tripler le nombre de caméras de surveillance, actuellement de 20 000 dans les deux ans qui viennent.
Il est dommage de penser que des investissements importants en réseaux de surveillance résoudront la question des incivilités.
Premièrement parce que les caméras ne font que déplacer les problèmes. Les trafics et dégradations trouveront alors des terrains plus propices à leur efflorescence.
Deuxièmement parce que ces systèmes techniques n’opèrent une surveillance en temps réel pour le moment. Les faits sont enregistrés pour être visionnés en cas de faits avérés. Nous voilà donc sur une action corrective à posteriori. Les systèmes de reconnaissance numériques en temps réel ne sont pas encore suffisamment sensibles pour donner une réponse immédiate quant à mettre un contrôleur devant chaque écran, n’y pensons même pas au titre des libertés publiques.
Troisièmement, car la réponse est maintenant connue pour répondre aux questions d’insécurité et elle s’appelle la gestion urbaine de proximité. Il s’agit avant tout de comprendre les attentes réelles des usagers d’un lieu pour entreprendre les aménagements et la gestion au quotidien nécessaires. Des expériences ont montré leur efficacité : la gestion du jardin de la Villette montre bien qu’une approche psychologique est souvent plus payante qu’une réponse toute faite.
Une fois de plus on plaque une réponse générique à des maux contextuels. La postmodernité décrit depuis vingt ans l’analyse locale au détriment des réponses générale. Il faut appliquer maintenant ce principe : en finir avec le tout investissement et réfléchir au cas par cas à la gestion des espaces au quotidien.
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Approche corrective
La gestion urbaine s’intègre dans la notion européenne d’intérêt général allant au-delà des services publics. Son efficacité repose sur la capacité à repérer les éléments d’une démarche stratégique : qu’est-ce qui est important dans la vie quotidienne des habitants ? Qu’est-ce qui est mobilisateur ?
S’appliquant à un territoire vécu par les habitants, elle nécessite de bien intégrer leur demande par des enquêtes et des investigations. Elle stimule les ressources locales des quartiers. Il faut aussi rappeler qu’un des piliers du développement durable est la gouvernance qui consiste à amener les populations à une expression.
La gestion urbaine est une approche corrective du penchant des politiques urbaines au soutien privilégié à l’investissement en même temps qu’une garantie possible contre la séparation sans cesse reproduite entre l’urbanisme, l’économie et le social.
Enfin c’est un travail de décentralisation de l’organisation des services municipaux qui s’appuie sur une culture de la confiance pour développer une organisation horizontale.