Et si, dans un monde gouverné par les flux, l’architecture et l’urbanisme avaient aujourd’hui plus à voir avec le temps qu’avec l’espace ? 
Pour y répondre, le chrono-urbanisme articule l’utilisation des technologies en matière d’analyse de données massives, de représentation cartographique, de démarche de planification territoriales et des actions concrètes.

France métropolitaine (Pierre Deville, 2007)
Pour bien expliquer la prégnance des questions temporelles, voici deux cartes dynamiques à partir de données de téléphonie mobile. Elles représentent la différence de densité de population en France entre le lundi 14 Mai 2007 (période de travail) et le lundi 13 août 2007 (période de vacances). Il est important de bien comprendre que ces cartes ne représentent pas des densités mais bien des écarts de densités pour chaque position par rapport à une moyenne (temporelle) de densité de cette même position (pour la seconde carte, le blanc dans Paris ne signifie pas que Paris s’est complètement vidée mais qu’il y a moins de monde qu’habituellement). D’autres cartes du même type différencient les jours de la semaine du weekend. Elles expriment la fluctuation rythmique de l’occupation de l’espace.
Qu’est-ce que le chrono-urbanisme ?
Appelé aussi urbanisme temporel, il réunit les démarches urbaines qui intègrent le temps. L’approche temporelle propose des outils spécifiques d’analyse pour des temporalités particulières (nuit, dimanches, saisons) et des modes de vie (prise en compte des différents âges avec une attention portée au vieillissement). De même, la lecture d’un territoire par les temps d’accès aux différentes aménités reflète le territoire vécu par les habitants et invite à repenser les vitesses et les proximités. En ce sens, l’approche temporelle trouve une place privilégiée dans la programmation et la planification urbaine. Cette approche renouvèle aussi les outils de diagnostic et d’actions sur l’espace public pour plus de mixités fonctionnelle et temporelle. La polyfonctionnalité et l’adaptabilité du bâti y trouvent des réponses aux différents usages à court, moyen et long terme. Enfin, l’approche temporelle propose de reconsidérer le temps même du projet pour habiter « le temps d’attente » et en renouveler sa conduite par des méthodes de travail innovantes. Enfin, les aménagements temporaires, issus de l’urbanisme tactique, interrogent les usages d’un lieu.
Trame noire de Rennes, un exemple parmis tous ceux du guide.
Les Schémas directeur d’aménagement lumière (SDAL) ont pris de l’importance ces dernières années avec les enjeux environnementaux dans le cadre d’une démarche de développement durable (préservation des milieux naturels, limite des dépenses énergétiques, préservation de la nuit). La "trame noire", terminologie introduite par Roger Narboni pour le SDAL de Rennes, s’inspire des trames vertes et bleues (inscrites dans le Grenelle de l’environnement) pour l’articulation entre l’éclairage et l’obscurité. Son principe est de créer une trame volontairement non éclairée afin de produire une coupure dans la nuit et de préserver des milieux de l’éclairage public (par exemple les grands espaces naturels). La trame noire délimite des zones d’obscurité, partielles ou temporaires, et précise le mode d’éclairage de leurs liens et franchissements.
Le guide
Publication en décembre 2016 du premier « guide pratique de la prise en compte le temps dans l’aménagement » (suivre le lien pour télécharger le guide) avec des exemples français de réussite et de tendance (association Tempo Territoriale, auteurs collectifs dont Jean Richer).
Rappelons tout d’abord que le développement durable, qui « qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins » [Rapport Brundtland, 1987], est intrinsèquement temporel. Nous devons résoudre une question épineuse : chaque décision doit désormais être pensée dans un temps long alors que l’horizon temporel de nos actions se réduit dans une accélération des temporalités politiques. La solution est a rechercher dans l’articulation des temps courts et des temps longs. Par extension, il s’agit bien de porter une attention toute particulière aux rythmes de la ville - ce qui a été largement développé par les bureaux des temps - et d’inscrire dans un aller-retour cette attention de chaque instant dans une perspective temporelle longue qui est celle de l’urbanisme.

Le temps comme « quatrième dimension » de la planification et de l’aménagement opérationnel serait-il simplement un complément à la réflexion et des études supplémentaires à mener dans des agendas opérationnels déjà bien chargés ? Il n’en est rien. Ce guide - comme les autres productions de l’association Tempo Territoriale - entend montrer qu’une autre posture est possible qui consiste à entrer dans les problématiques urbaines non plus par l’espace mais par le temps. Il ne s’agit donc pas d’une dimension complémentaire mais d’une interrogation en profondeur des pratiques habituelles employées dans le domaine de l’urbanisme.
Ouvertures
En guise de conclusion provisoire et d’ouverture, j’en appelle à une planification qui s’inscrive dans le continuum du temps ou plutôt dans une simultanéité. Cette planification-là s’intéresse à la fois au passé, aux présents et aux futurs possibles. Elle prend de l’autonomie par rapport à la simple règlementation et perce ainsi un horizon temporel trop réduit.

La prise en compte du futur est ce à quoi le projet territorial s’attache sur un pas de temps relativement court (de 10 ans pour les PLU à 20 à 30 pour les SCoT). C’est très court et il n’est pas exclu de regarder loin en avant même lorsque l’on fait un PLU. La prospective est faite pour ça ! Parlant de temps, nous savons avec certitude que le climat va changer et il apparait indispensable de penser l’évolution de la ville sur un temps long pour s’adapter peu à peu à ces grandes modifications.

La prise en compte du passé ne doit pas se limiter à voir la ville comme un stock immobilier ou à quelques monuments. Elle doit s’attacher à la forme urbaine héritée prise comme une trajectoire et à l’ethos latent fondé sur notre relation quotidienne à l’histoire (ne serait-ce que par le nom des rues qui rappellent des personnes disparues). La recherche historique donne aussi des clés de compréhension du futur.

Enfin, nous nous sommes attachés au travers de ce guide à mettre en lumière les rythmes quotidiens et une certaine impermanence du présent contemporain.

Ces trois approches - "devant, derrière et maintenant" en quelque sorte - sont non seulement compatibles mais appartiennent à un même mouvement : faire un document de planification dans l’épaisseur du temps en le sortant de son tropisme purement spatial. Nous sommes un certain nombre à penser que la dimension temporelle est la clé d’explication de bon nombre de questions contemporaines. Je plaide ici pour un art de l’aménagement du temps qui en fusionnerait toutes ses dimensions : passé, présent et futur y seraient remplacés par un présent étendu, conscient d’où il vient et accueillant son futur
Territoires 2040 (DATAR, 2012)
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