Parcourir les voies routières qui partent de Niort (préfecture du département des Deux-Sèvres) permet de découvrir d’étonnants programmes architecturaux : un tripode blanc pour la MACIF, la salle du conseil d’administration de la MAAF aux vitrages dorés surplombant un bassin ou l’ensemble monumental formant le siège de la MAIF. Si ces noms de mutuelles sont connus de tous, leur formalisation architecturale mérite d’être appréciée tant elle retrace une histoire urbaine récente qui apparaît comme un unicum à l’échelle nationale, d’autant que derrière ces trois mutuelles se cachent sur ce territoire d’autres implantations mutualistes et bancaires ainsi qu’un chapelet de sous-traitants qui forment un tissu économique vivace.
L’histoire retracée ici est d’abord celle des hommes avec la rencontre des fondateurs — Edmond Proust, Fernand Braud et bien d’autres — qui décidèrent au cours du XXe siècle de créer ces sociétés mutualistes. Ne recherchons aucun essentialisme du territoire dans l’implantation des mutuelles à Niort, hormis la préexistence de la coopération agricole dans la région et le terreau de solidarité né à la suite de la crise du phylloxéra. Tout ceci n’est dû qu’à des hommes visionnaires qui se sont associés pour adapter le besoin de protection individuelle à l’échelle d’une nation en créant des entreprises à la fois modernes et solidaires faisant naître ici une épopée architecturale et la production d’un corpus tertiaire cohérent. Précisons qu’il ne s’agit pas d’une planification publique d’ensemble, mais d’initiatives entrepreneuriales croisées d’acteurs privés ayant été accompagnées par les municipalités de Niort, Chauray ou plus récemment Bessines.
Depuis la création de la Mutuelle d’assurance automobile des instituteurs de France en 1934 (ancêtre de la MAIF), cette épopée architecturale comporte un caractère endogène et expérimental, puisque ces entreprises commencèrent souvent au domicile de leurs fondateurs, dans leur séjour, s’installèrent ensuite dans une maison, un premier immeuble, puis de plus en plus gros, jusqu’aux complexes immobiliers que nous connaissons aujourd’hui. Les bâtiments trop petits étaient réemployés par les jeunes pousses et ainsi de suite, de manière à ce que l’ensemble constitue un écosystème économique solidaire, les entreprises les plus anciennes cooptaient souvent les nouvelles, et dynamiques.
Une spécificité du mutualisme niortais est son rapport fondamental à l’automobile. Au-delà même du produit d’assurance propre à leur objet, ces mutuelles ont très vite compris l’importance de se positionner sur des axes routiers pour être mieux desservies et trouver du foncier avantageux à leurs projets immobiliers d’expansion. En cela, l’agglomération niortaise a suivi les principes du développement urbain des trente glorieuses. Mais ici plus qu’ailleurs, la relation à l’automobile est une marque de fabrique urbaine : le bassin d’apparat soutenant le conseil d’administration de la MAAF n’est-il pas serti de deux voies circulaires donnant l’accès à un parking souterrain ? À chaque fois que nous croyons le saisir, ce terrain échappe à la simplification. Les années 1960 avaient vu des constructions autour de la place de la Brèche (la place centrale de Niort), avant que les programmes immobiliers s’éloignent du centre-ville pour s’étoffer à la fin de cette même décennie. Ce développement ne suit pourtant pas un chemin univoque du centre vers la périphérie, car nous assistons à une sorte de mouvement brownien au fil des opportunités et des décisions stratégiques de ces entreprises dans la constitution autoadaptative d’un pôle tertiaire et financier de dimension nationale dans une ville moyenne. Des programmes d’accompagnement ont aussi contribué à façonner l’agglomération avec des établissements de soins, de formation, et des programmes de logements liés à ce gisement d’emploi.
Il ne faut pas rechercher ici une grande œuvre architecturale au caractère démiurgique, mais un ouvrage collectif né de l’attention conjointe de commanditaires visionnaires et d’architectes à l’intelligence programmatique. Une originalité de cette production architecturale vient des relations de confiance qui lient les mutuelles à leurs architectes au point de former ce qu’il serait possible de nommer une lignée d’architectes mutualistes — Gaston Dévillette, Gaston Sené, Raphaël Barbarit, les frères Le Sauter, etc. — qui se retrouve encore aujourd’hui dans les agences d’architecture niortaises qui cultivent un savoir-faire en matière d’écoute des besoins spécifiques et d’innovations puisque l’immobilier mutualiste est loin de se résumer à des plateaux de bureaux. L’informatisation précoce de ces entreprises a pu par exemple donner des formes architecturales spécifiques, tout comme le fort taux d’emploi qualifié féminin a pu introduire très tôt des éléments programmatiques tels que des crèches et autres conciergeries.
Formellement, l’épopée mutualiste retrace les avancées de l’après seconde Guerre Mondiale avec tout d’abord une architecture de transition, emprunte de régionalisme tout en employant le béton armé, suivi d’une architecture moderniste introduite par les Frères Le Sauter avec des structures aériennes en acier, bientôt remplacée par un futurisme monumental lors de la conception du siège de la MAIF par Jean-Paul le Covec, l’irruption d’une architecture post-moderne dans les années 1980 suivis à partir des années 2000 d’une production plus générique qui n’est pas toujours dénuée de qualité.
Dans ce corpus tertiaire, nous avons retenu une liste resserrée de bâtiments emblématiques :
La Caisse régionale du Crédit Agricole mutuel*, 50 rue du 14-juillet à Niort — Raphaël Barbarit architecte, 1953.
La Mutualité sociale agricole*, 12 avenue Bujault à Niort — Raphaël Barbarit architecte, 1956.
La MACIF, 224 avenue de La Rochelle à Niort — Les frères Le Sauter architectes, 1966, dont :
— le club du personnel* — Les frères Le Sauter et Jean-Michel Dresse architectes, 1969,
— le bâtiment administratif de direction « Le Château » — Jean Boutillon architecte, 1977.
La CAMIF, à Chauray, ensemble (les bureaux, le bâtiment du gardien, le restaurant), Chauray – Les frères Le Sauter architectes, 1971.
La MAAF, ensemble, à Chauray – Hindré, Royer et Sené architectes, 1971, dont :
— le bâtiment de direction* — Hindré, Royer et Sené architectes,
— le restaurant — Hindré, Royer, Sené et Chevallereau architecte, 1971 puis 2001,
— la halte-garderie — François Chevallereau architecte, 1984.
La Caisse régionale du Crédit Agricole mutuel*, avenue de La Rochelle à Niort — Durand & Ménard architectes, 1976.
La MAIF*, Boulevard de l’Atlantique à Niort, ensemble (les bâtiments Y, le bâtiment de direction, le bâtiment informatique, le restaurant d’entreprise) — Claude Perrotte architecte, 1979.
La SMATI*, à Chauray — François Chevallereau architecte, 1981.
Groupama, centre informatique*, à Chauray — François Chevallereau architecte, 1986.
Mutavie*, à Bessines — Lancereau, Meyniel, Renaud, Dresse et Dollfus architectes, 2002 puis 2011.

* Ces bâtiments sont repérés pour leur exemplarité dans le corpus et leur conservation actuelle dans leur état d’authenticité. Ils sont susceptibles d’être proposés au label Architecture contemporaine remarquable (ACR) du ministère de la Culture.

Cet inventaire mené par la SCOP Atemporelle pour le compte de la DRAC Nouvelle-Aquitaine peut être considéré comme une archéologie récente du secours mutualiste et la révélation d’un patrimoine bâti en mouvement. Il se focalise sur les constructions principales et devrait être complété par une tout autre forme architecturale : celle d’un réseau d’agences nationales doublé d’une visibilité donnée par la publicité qui fait que l’image médiatique l’emporte désormais sur la corporalité architecturale. Cela pourrait donner lieu à une archéologie des médias cette fois, ce qui place l’épopée mutualiste retracée ici dans le chronotope spécifique de la seconde moitié du XXe siècle à Niort, lorsque la matérialité architecturale témoignait encore d’une ambition collective et solidaire.

Jean Richer, architecte des bâtiments de France

Présentation de l'étude à l'Université populaire du Niortais (19 septembre 2023). Stéphanie Tézière, autrice de l'étude, et Jean Richer, architecte des bâtiments de France.

Visite du site de la MAIF dans le cadre de la French Design Week, le 28 septembre 2023.

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