Le recours à l'itinérance, éléments de méthode
En partant de la méthode des itinéraires
Le protocole imaginé se fonde sur une idée très simple : employer la méthode dite des itinéraires pour faire naitre un dialogue interdisciplinaire. Il s’agit d’entretiens non directifs et d’un dispositif fondé sur un rapport de confiance qui s’établit lors des rencontres successives.
La méthode des itinéraires développée par le sociologue Jean-Yves Petiteau consiste à suivre une personne dans l’espace urbain pendant qu’il raconte son territoire tout en déambulant. Suite à ce parcours, les accompagnants construisent ensemble une sorte de « roman-photographique » qui témoigne du récit de la personne.
Les signes du paysage et de la pensée
Dans le cadre d’une recomposition spatiale, un travail sur les signes du paysage peut-être très opérationnel. Il faut mieux définir ce que veut dire signe.
Cela dépasse aussi le savoir tel que capitalisé par des instances légitimes. Les signes de notre époque.

❝ Signes […], en amour, sont incomparablement plus attractifs, efficaces et valables que paroles. ❞
François Rabelais, Tiers Livre chap. 19

Nous nous sommes rapprochés du photographe Bernard Renoux qui était associé Jean-Yves Petiteau dans la réalisation de nombreuses itinérances. Il a réalisé notre première itinérance à Chaillé les Marais. Deux autres photographes, Camille Hervouët et Grégory Valton ont poursuivi ce travail à Soulac sur Mer et Brouage : il importe que chaque itinérance possède un regard singulier. Les photographes mettent en résonance le site et le regard d’un scientifique.

L’index des rivages
Comment rendre compte des effets réels du changement climatique qui s’imposent comme la modification environnementale majeure de ces deux derniers siècles ? Des changements semblables ont eu lieu dans le passé (même si l’origine anthropique des modifications actuelles est inédite). Nous voulions montrer par l’image photographique la trace de certains de ces anciens changements et « mettre à portée » les discours scientifiques les explicitant.
L’expérience des itinéraires littoraux
« En attendant la mer » est une médiation culturelle sur les paysages littoraux sous l’effet du changement climatique. Le 10 février 2010, l’événement Xynthia a durement frappé la côte atlantique métropolitaine. En reprenant la portion de façade la plus touchée par la submersion, nous remarquons les traces d’anciens rivages, parfois loin dans les terres, preuve de la mobilité du trait de côte. Trois scientifiques, Éric Chaumillon, Frédérique Eynaud et Thierry Sauzeau, ont accepté d’éclairer ce sujet à la lueur de leur discipline : la géologie, l’environnement et l’histoire.
Comme dans les romans de William Faulkner, où le site se sédimente dans les personnages, nous avons mis le corps des scientifiques au cœur du dispositif photographique en adaptant le protocole ethnographique dit des itinéraires. Cette méthode développée par Jean-Yves Petiteau consiste à suivre une personne dans un site pendant qu’il raconte son territoire. Suite à ce parcours, un roman-photo est construit pour témoigner de ce récit. Nous nous sommes rapprochés du photographe Bernard Renoux qui avait suivi Jean-Yves Petiteau dans la réalisation de nombreux itinéraires. Il a réalisé le premier itinéraire à Chaillé les Marais. Deux autres photographes, Camille Hervouët et Grégory Valton ont poursuivi ce travail à Soulac sur Mer et Brouage.
Ce que révèlent les sites arpentés
Le premier itinéraire a été réalisé sur une ancienne île du golfe des Pictons, à Chaillé les Marais, qui présente tous les attributs d’une île. Il a permis un retour en arrière de 195 millions d’années qui éclaire paradoxalement l’avenir du Marais poitevin. Sur la plage de l’Amélie à Soulac sur Mer, l’itinéraire a montré l’émergence progressive de formations sédimentaires fossiles renfermant à la fois les traces d’occupations humaines et des indicateurs paléoenvironnementaux plurimillénaires permettant de documenter l’évolution conjointe du climat, du trait de côte et du peuplement. Le troisième itinéraire a été réalisé sur la citadelle de Brouage. Ce port qui était l’un des plus importants d’Europe au XIVe siècle a décliné au XVIIe siècle du fait de la baisse du niveau de la mer.
Ces trois itinéraires sont des chronotopes qui, au couple habituel lieu et instant, associent une seconde temporalité qui est celle de l’étude de ces trois anciens rivages. Ce fut à chaque fois un voyage dans le temps : moins 200 millions d’années, moins 6 000 ans et moins cinq cents ans. Dans ce contexte, l’image photographique dévoile à la fois le moment présent et unique de l’itinérance mais aussi celui des temporalités sous-jacentes.
Montrer l’invisible par l’image
La méthode des itinéraires veut exaucer le signe de Gilles Deleuze. L’image photographique prend alors place aux côtés de la retranscription des propos des scientifiques sans les illustrer. Faisant référence au Land Art, Rosalind E. Krauss a parlé d’une « logique de l’index » : ce type de signes qui émergent comme la manifestation physique d’une cause dont participent les traces et les empreintes. En tant qu’index, la photographie agit ici dans un rapport de continuité physique entre le signe et son référent. La photographie apparaît comme la mémoire des itinéraires qui restent des moments uniques mais aussi comme partie intégrante du projet au sens où elle révèle la stratification des autres temporalités présentes.
L’image photographique qui ressort des trois itinéraires interroge l’instant précis de la réalisation des itinéraires et produit paradoxalement un saut hors du temps commun qui, par renversement, permet d’articuler les connaissances du passé avec les projections sur l’avenir qui sont si importantes lorsqu’il s’agit d’appréhender les effets à venir du changement climatique.
Pour présenter ces trois itinéraires, le graphiste Samuel Jan a imaginé une interface numérique qui reproduit les itinéraires sous la forme de cercles discontinus. Un double récit s’engage alors puisque la lecture peut se faire en suivant le cheminement du texte ou celui des images avec une possibilité constante de passer de l’un à l’autre.
Itinérance #1. Chaillé les Marais (Vendée)
17 février 2017
Itinérance sur une ancienne ile du golfe des Pictons, à Chaillé les marais. Une visite dans le temps de 195 millions d’années en arrière mais aussi tournée vers demain.
Avec :
Eric Chaumillon, géologue, professeur à l’Université de La Rochelle
Bernard Renoux, photographe auteur
Valérian Dénéchaud, « Vous êtes ici », éducation à l'environnement urbain et sensibilisation à l'architecture, à la ville et aux territoires
Stéphanie Barbon, programmatrice en art contemporain
Jean Richer, architecte géographe

Contexte
❝ Si la côte de la France semble plus particulièrement, dans les convulsions permanentes de notre planète, en proie aux modifications lentes ou rapides, celle du Poitou et de Saintonge offrent incontestablement le témoignage de l’instabilité des rivages. ❞
❝ Bientôt, il ne restera pus de l’ancien golfe du Poitou qu’un vague souvenir, à moins qu’une nouvelle crise ne détruise à nouveau le travail des siècles et des hommes. ❞
Articles d'Auguste Pawlowski parus dans le Bulletin de géographie historique et descriptive entre 1901 et 1908.
❝ Quelle que soit la cause qui fait empiéter en plusieurs endroits la terre sur les eaux, la superficie des espaces que se disputent les deux éléments est fort considérable et ne cesse de se modifier de siècle en siècle, surtout depuis que l’homme s’est mis par son travail au nombre des agents géologiques. ❞
Élysée Reclus, Nouvelle géographie universelle, Tome II - la France, Librairie Hachette et Cie, 1877

Avec Éric Chaumillon, géologue
Professeur à l’Université de La Rochelle depuis 2014, maître de Conférences à l’Université de La Rochelle de 1998 à 2014, directeur du Département des Sciences de la Terre (2016-2019).
Ses thèmes et activités de recherche sont la stratigraphie sismique, les évolutions morphologiques et l’architecture des vallées incisées, des estuaires, des embouchures tidales et des bancs de sables. Ils passent par l’enregistrement des changements environnementaux (niveau de la mer, changements climatiques, tempêtes et submersions marines et impacts des activités humaines) dans les sédiments littoraux.
Bernard Renoux, photographe
Photographe indépendant, il intervient, sur la ville, l'urbanisme et l’architecture, le paysage et l'espace rural, les espaces scénographiés et les objets de musée, les mises en scène d'expositions d’art contemporain et les installations, le reportage, le spectacle vivant…
Dans son travail d'artiste auteur, il explore le rapport que chacun entretient aux espaces intimes ou collectifs. Parfois ce travail est augmenté de l'enregistrement de la parole d'une personne sur un territoire. L'un et l'autre sont associés sous une forme photographies/récit ; cette expérience individuelle dessine un parcours tout aussi singulier qu'emblématique d'un territoire dans son acception géographique et humaine.

Itinérance #2. Soulac sur Mer (Gironde)
10 juin 2017
Itinérance sur la plage de l'Amélie où le sol révèle une paléo-forêt, des traces d'occupation humaine vieillent de 6 000 ans et où les blockhaus font une baignade forcée du fait du recul du trait de côte.
Avec :
Frédérique Eynaud, paléoenvironnnementaliste, professeure à l’Université de La Rochelle
Sébastien Zaragosi, géologue, professeur à l’Université de Bordeaux
Camille Hervouet, photographe
Patricia Cartereau, plasticienne
Stéphanie Barbon, programmatrice en art contemporain
Jean Richer, architecte géographe
Frédérique Eynaud, paléoenvironnnementaliste
Frédérique Eynaud est maître de Conférences depuis 2000 à l’Université Bordeaux (Collège Sciences & Technologies, UF Sciences de la Terre & Environnement), Laboratoire EPOC (Environnement et Paléoenvironnement Océanique et Continentaux) UMR 5805.
Ses recherches ciblent l’évolution des conditions de surface de l’océan au cours des derniers milliers d’années. Elle s’intéresse à la variabilité climatique naturelle rapide et aux liens entre océan – atmosphère – biosphère. Elle a été Coordinatrice du projet FAST – LITAQ et copilote du projet LITAQ axés sur l’évolution du secteur atlantique européen.
Camille Hervouet, photographe
Basées sur la trilogie nature, architecture, habitant, les photographies de Camille Hervouet questionnent les frottements sensibles au sein d’un territoire, qu’il soit tangible ou non. Par une mise à distance physique et mentale, elle souligne la tension latente des images, la dualité entre le réel et le fantasme.
Elle s’appuie sur un protocole rigoureux induit par la technique de la photographie argentique qui impose une temporalité longue et lente.
Patricia Cartereau, plasticienne
Le travail de cette artiste est fait de strates et d’empilements. S’établissent des liens fictionnels et subjectifs entre les différents motifs, qu’ils soient minéraux, humains, animaux, végétaux. Il s’agit d’entrouvrir les paysages vus en les mêlant à des éléments intimes et imaginaires.

Itinérance #3. Hiers-Brouage (Charente-Maritime)
Le 26 juillet 2017
Cette itinérance nous a fait remonter de quelques siècles en arrière, du temps où le commerce du sel était florissant et où Brouage avait un rôle militaire avant que la mer ne s'éloigne définitivement.
Avec :
Thierry Sauzeau, historien, professeur à l’Université de Poitiers
Grégory Valton, photographe
Valérian Dénéchaud, « Vous êtes ici », éducation à l'environnement urbain et sensibilisation à l'architecture, à la ville et aux territoires
Aurélie Berger, inspectrice des sites de la DREAL Nouvelle Aquitaine
Stéphanie Barbon, programmatrice en art contemporain
Jean Richer, architecte géographe
Thierry Sauzeau, historien
Docteur en histoire de l’Université de Poitiers, Thierry Sauzeau est membre fondateur du groupement d’intérêt scientifique GiS Histoire maritime (2005).
Responsable du groupe de recherches Xynthia soutenu par la Région Poitou-Charentes (2010-2011), Thierry Sauzeau est aussi président co-fondateur de l’Université populaire du littoral charentais (2011). Dans ce cadre, il dirige le programme Risque littoral et gestion participative (Fondation de France / 2012-2015) qui vise à mobiliser les connaissances pluridisciplinaires sur les territoires littoraux, afin de restaurer la mémoire du risque en contexte littoral.
Grégory Valton, photographe
Mis en mouvement par le décès de sa mère, Grégory Valton a beaucoup voyagé. Ses cheminements l’ont amené à donner une approche introspective à ses projets, habités par la question de la trace déposée dans le paysage. Ses recherches le poussent à retourner dans le village natal de sa mère et à enquêter sur son histoire familiale. Privilégiant différentes techniques photographiques comme autant de processus, il mêle paysages intérieurs et extérieurs.
Son approche de l’espace s’inscrit dans une dimension physique de la prise de vue, où la mise à l’épreuve du corps est nécessaire.

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