Quelle est la place des centres anciens dans la métropolisation ? La réponse majoritairement donnée aujourd’hui est celle de l’exploitation du patrimoine comme moteur culturel et touristique. Jetés dans cette spécialisation, les centres anciens permettent aux métropoles d’affirmer une identité territoriale dans un contexte de rivalité interurbaine. Mais ce faisant, ils perdent les qualités attachées à leurs territoires de vie. La définition même de centre ancien nécessiterait d’être précisée. Centre-ville, centre historique, quartier ancien, autant de réalités multiformes dont la simplification à un terme générique tend à les condamner a être considéré comme des réserves indiennes, un ennui à éviter, ce je ne sais quoi qu’on préfère oublier, lui préférant les grands espaces de la métropolisation, ce nouveau Farwest.
De la métropolisation
En premier lieu vient l’explosion du modèle diffus. À côté des centres historiques compacts s’est développée en moins d’un siècle, une architecture territoriale diffuse, selon un modèle polycentrique, d’archipel, formant un réseau à partir de noyaux denses et de surfaces plus étales.
Emergement de nouvelles polarités donc, chaque centre tendant vers la polyfonctionnalité pour intégrer le maximum d’activités et de services. Zonage et ségrégation aussi. Car la dissociation entre l’emploi et l’habitat ne fut jamais plus grande. Et le mythe de la mobilité s’en trouve accru avec la croissance des flux et la congestion pour finalité. De l’étalement des villes dérive la diffusion des centralités et leur hiérarchisation. La concurrence territoriale intramétropolitaine impose hiérarchisation et spécialisation d’autant que l’économie est devenue hétérogène et discontinue, de moins en moins liée à l’économie régionale, car rattachée à la mondialisation des activités, à la financiarisation et la tertiairisation. 
Des centres anciens
Le caractère de centralité se fonde sur un certain nombre de propriétés : la géométrie de l’espace en premier lieu, l’antériorité historique et les représentations symboliques. Elles sont liées généralement au marché du travail et à la régulation des échanges économiques, ainsi bien sur qu’aux pouvoirs.  Les centres anciens constituent pour la plupart le lieu traditionnel de l’exercice du pouvoir bien que les fonctions directrices y soient en voie d’affaiblissement. L’économie mondialisée possède ses propres référentiels spatiaux et les centres anciens ne sont plus en mesure de porter les fonctions métropolitaines en termes d’usage et d’équipement. Ils sont passés en moins d’un siècle d’une centralité de mobilité à celle de figure figée. Partout ou presque c’est un constat de fragilisation et de gentrification qui domine dans les centres anciens lorsque ce n’est pas une spécialisation dans le tourisme et la culture.
Ce qui constitue à coup sûr la centralité historique est peut-être à rechercher dans la signification grandement collective des évènements qui s’y déroulent, faisant la part belle à l’espace public comme lieu d’apparition. Or nous vivons depuis une décennie l’émergence de la ville ludique et festive (la festivalisation), de l’évènementiel et du « fun shopping ». Autant de nouvelles pratiques de centralité réécrivant la ville sur elle-même en survalorisant le patrimoine existant ou requalifiant des friches et des quartiers dégradés. L’effet vitrine est recherché par une économie métropolitaine dont l’ingénierie culturelle transforme le patrimoine en objet de consommation. Le patrimoine, comme récit fondateur d’un lieu, en vient aujourd’hui à rechercher la validité que lui donnera l’affluence touristique. Or la fréquentation touristique provoque des conflits d’usage de l’espace ainsi qu’une pression foncière et immobilière tandis que la protection du patrimoine est vécue comme un obstacle à l’amélioration des conditions de vie.
D’une fusion ?
Tournant le dos à l’opposition centre-périphérie, les centres anciens doivent être pensés comme partie prenante d’un territoire plus vaste. Surinvestis aujourd’hui pour leur valeur d’image, ils font l’objet d’un traitement singulier par des politiques spécifiques. Or dans le phénomène de métropolisation, la distinction centre/périphérie est de moins en moins opératoire à l’heure de la mobilité généralisée. Penser la métropole vertueuse post Kyoto veut dire penser un système avec des solutions de continuité entre centres anciens et territoire métropolisé ou les mesures de protection des premiers seraient partie prenante dans les projets du second.
Il faut dès lors nous poser trois questions :
L’identité patrimoniale donne du sens à un territoire plus vaste soit, mais comment organiser et faire percoler les flux nécessaires à l’inscription des centres anciens dans la vie des territoires métropolisés ?
Un centre ancien peut-il encore remplir des fonctions métropolitaines ? Et lesquelles ?
Les dispositifs de protection des centres anciens sont-ils favorables à une mise à niveau métropolitaine de ceux-ci ?
Crise de centralité
Beaucoup de villes européennes vivent une crise de centralité après avoir vécu la suburbanisation. La spéculation immobilière, le vieillissement de la population, la décohabitation, l’érosion commerciale, ou encore l’émergence d’une nouvelle économie sont autant d’éléments qui ébranlent leurs quartiers centraux. Paradoxalement, les quartiers anciens, pourtant riches d’un patrimoine architectural et urbain, possèdent souvent une forte concentration de logements indignes. Ce n’est pas un hasard si l’ANRU, après son action dans les quartiers d’habitat collectif, s’attache maintenant à la question de la requalification des quartiers anciens dégradés avec le PNRQAD.
Il s’agit souvent de quartiers qui furent jadis animés et attractifs, mais dont le positionnement et la morphologie spécifique ont empêché toute évolution. Pour ne prendre que l’exemple de la désertification commerciale, l’évolution de la réglementation sanitaire des commerces de bouches empêche la poursuite de ces activités dans des locaux trop exigus et largement inadaptés.
Le fort taux d’inactifs que l’on rencontre dans ces quartiers comme le profil d’une large frange de ses habitants renvoient à un ensemble de pratiques qui contribuent à la stigmatisation de ces zones. La corrélation du bâti ancien et dégradé se traduit par des logements à loyers faibles ou loués à des populations exclues du circuit classique des logements HLM et plus encore des critères des agences immobilières. Or la dichotomie résidentielle entre logement subi et choisi peut trouver une voie de sortie par des la requalification des logements et les l’implantation d’équipements  et de services attractifs. L’enjeu est de passer d’une mixité des difficultés sociales à une mixité sociale choisie.
Plus encore que la requalification des quartiers d’habitat dense, l’action sur les quartiers anciens relève d’une science du temps. Quels sont les leviers et le phasage des actions les plus efficaces ? Ne doit-on pas entreprendre des interventions qui s’emboîtent pour rythmer le temps du projet ? Ne faut-il pas rechercher la flexibilité de ces formes anciennes et la revaloriser ? C’est à ce prix que nous pourrons prétendre à une action sociale en profondeur. Il faut développer des projets analogiques et des programmes hybrides. L’idée que nous développons est durable et elle passe par une réflexion poussée sur le temps des projets.
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