
Je ne sais, ce lundi de juin, ce que je cherchais. La Laigne en Charente-Maritime. Nom curieux d’ici, venant du latin limes désignant la limite d’une colonie romaine ou l’orée d’une forêt. Les deux se confondent. La forêt de Bénon s’est bien réduite depuis. Revenons à a aujourd’hui. Deux ans, exactement, jour pour jour, heure pour heure après le séisme. Depuis, l’attente longue, ou courte, c’est selon, la détresse de ceux qui l’on vécut.
Seize heures passées. Le soleil tape fort. Trop tôt pour la saison. Une fournaise. Village fantôme. Quelques ouvriers. Là. Et là. J’ai marché, lentement, patiemment, dans les rues. La voiture restée à l’entrée du village, face à l’école préfabriquée. Derrière, des bungalows, des familles sinistrées, toujours là.
La rue principale. Des stigmates visibles partout. Murs lézardés, rebouchés, ou encore consolidés pour certains par des étaiements d’urgence. L’attente de travaux. Peut-être. Quelques maisons cossues, pimpantes, tout juste refaites. À quelques mètres, des ruines dont on ne voit plus que les murs, au mieux. J’imagine le paysage pire maintenant que dans les heures qui ont suivi les secousses. Maisons expertisées, démolies pour les moins stables.
La rue principale. Une alternance. Un pas. Et puis l’autre. Une maison refaite, une maison détruite, une maison étayée. Ainsi de suite. Partout des chantiers en cours ou abandonnés momentanément. Partout des ruines. L’ancienne mairie lézardée et toujours désaffectée. Larges fissures par endroits.
Je me souviens les premiers jours. Après la catastrophe, du nom qu’on lui donne de naturelle. J’étais là. Déconcerté. Des fissures en étoiles au centre des murs. Comme si les maçonneries n’avaient pas su faire avec le va-et-vient de la terre. Disloquées de l’intérieur. D’ordinaire les fissures suivent un chemin. Tassement. Pression. Diagonales, bielles, lignes de faiblesse. Mais là, chahutées en tous sens.
Deux ans plus tard. Ces constructions, les mêmes. Certaines démolies. D’autres, restaurées, lourdement. Il en reste en l’état où le séisme les a laissés. Ou là où les hommes les ont laissées. Pourtant, très vite après la catastrophe, de nouvelles constructions. Fruits de l’expertise et de l’indemnisation. Démolir et reconstruire sur la même parcelle. Plus rien à voir avec le tissu du petit village de l’Aunis. Des pavillons de lotissement. Posés là, au hasard des secousses de la terre. Deux ans pour reconstruire, c’est court. L’expertise. L’indemnisation. Le projet. La reconstruction. Et moi, surpris de voir, des nouvelles constructions, déjà habitées. Pas le temps de réfléchir. La vie quotidienne l’emporte toujours. Un chez-soi au plus vite. Sans se soucier de l’architecture.
Plus j’avançais dans le village, plus je constatais ces nouvelles constructions. Leur blancheur. Une écriture d’aujourd’hui assise sur de la construction banale. On sort des règles de composition traditionnelle. Mais aussi de la musicalité de la phrase urbaine qui fait la cohérence des lieux. Comment lire l’espace avec autant de discontinuités et de petites incohérences qui empêchent de saisir le tout ? Je tente pour m’en convaincre d’écrire avec de mêmes discontinuités.
Bien sûr que je ressens sur place la détresse des familles touchées. Le sinistre. Tout ce qu’elles ont dû endurer. Juste après la catastrophe. Retrouver un semblant de vie. Puis reconstituer un lieu pour vivre.
Un lotissement plus récent a étonnamment moins souffert. Hormis quelques constructions. Une à étage. Les pansements sur les fissures interpellent comme une écriture inconnue. Façades. Lignes anguleuses. Cassures. Lignes sombres sur façades claires.
De l’autre côté du cimetière, l’église. Passer par l’ancienne école désormais abandonnée. Cour vide. Et l’église. Le pauvre monument toujours étayé. Tout tordu. Pas une grande architecture. Fruit d’une histoire sûrement compliquée. Maintenant un infirme de pierre.
Je reviens à ma voiture. Une maison en bois antérieure au séisme que ne semble pas avoir souffert. Arrivé sur le parking, je suis attiré par le va-et-vient, derrière les préfabriqués. Une cour d’école, improvisée, provisoire en tout. Des enfants crient et jouent. La vie. Tout de même, La Laigne, une leçon, et notre hâte, toujours.
La détresse de ceux qui ont vécu la catastrophe. Mais tout de même. On aurait pu mieux faire la reconstruction. Dans ce village, inventer de nouvelles formes architecturales. Prolonger une histoire déjà très ancienne. À la place, des pavillons tout blancs, posés. Cela renforce ma conviction que la catastrophe n’est pas là où on l’attend. Le séisme, un événement naturel, rien d’accidentel. Ensuite, des décisions hâtives qui n’offrent pas le temps à la réflexion. J’avais déjà vécu cela à La Faute-sur-Mer, après la tempête Xynthia de 2010. La réflexion urbaine sur les modes de vie jamais posée. Là-bas, des quartiers submergés occupés maintenant par des golfeurs détendus. Sous le gazon, quinze ans avant, des morts. Comme si l’oubli de la catastrophe était une priorité.
À La Laigne, deux ans après le séisme, je retrouve le même empressement. La même volonté d’oublier au plus vite. De ne pas tenir compte de l’opportunité de changer les modes de vie. Ne pas appeler à la récidive. Ne pas s’exciter inutilement. Face au terrible, nous aurions pu réinventer quelque chose. Au lieu de cela, chaque habitant s’est débrouillé avec son indemnisation. La faillite d’une pensée collective de ce que peut être le village comme récit collectif.
J’en étais là de mes réflexions, alors que mon regard tombait sur les hébergements d’urgence. Les mêmes, exactement, que ceux des campings estivaux. La différence, ici, est d’y vivre à l’année. Ces bungalows nous laissent intranquilles à l’époque de l’urgence climatique. Face à notre Incapacité de penser le temps long, les accidents prévisibles. Alors les imprévisibles, n’en parlons pas. Un habitat provisoire comme la vie se pose en alternative. Des maisons enracinées, une secousse et les voilà ruines. Voilà la leçon de La Laigne : tenter désespérément de construire un monde factice, avec du parpaing bon marché, ne résoudra pas ce qui nous attend.
















☙❦❧
2023, Quelques jours après le séisme.
















Les 5 moments post-séisme pour le bâti ancien suite aux secousses sismiques des 16 et 17 juin 2023 en Charente-Maritime et dans les Deux-Sèvres
1— la mise en sécurité des personnes puis des biens
Selon la gravité des désordres, il doit être procédé à la mise en sécurité immédiate des lieux par l’évacuation des constructions dangereuses et/ou la mise en place d’un périmètre de sécurité en tenant compte des éclats qui peuvent voler sur plusieurs mètres lors d’effondrement.
Les réseaux d’électricité et de gaz doivent être coupés pour éviter tout départ de feu ou fuite.
2— le diagnostic
Il est déconseillé d’établir son propre diagnostic sur la gravité des désordres. Si le bâti ancien est réputé résilient (il a connu potentiellement de tels événements par le passé), expertiser la stabilité de la structure requiert des compétences que seuls possèdent les pompiers du SDIS et les experts en bâtiment (dont celui de votre assureur). Ce sont ces professionnels qui pourront vous conseiller au mieux.
Néanmoins, vous pouvez faire un premier constat en auscultant différents points : les façades, les toitures et les combles (dont les éléments de charpente) des constructions. De même, il faut surveiller les arbres, poteaux, et autres structures en surplomb qui pourraient s’abattre sur les constructions habitées.
3— la stabilisation
Dans le cas où la sécurité des ouvriers est strictement assurée, il est conseillé de stabiliser les ouvrages endommagés en bâchant les toitures, en étayant les murs fragilisés ou encore en sanglant les cheminées déstabilisées.
Ces travaux peu coûteux peuvent souvent éviter des dommages bien plus importants par la suite.
4— le conseil
Faites venir des experts pour mieux vous aider à comprendre ce qu’il faut faire. Des femmes et des hommes de l’art peuvent intervenir s’ils sont formés à ce type de risque.
Faites aussi des reportages photographiques les plus complets possibles qui permettront à des experts de donner des conseils à distance et de renseigner au mieux votre assureur.
Vous pouvez utilement poser des témoins sur les fissures de manière à objectiver leur évolution (de simple témoin de plâtre peuvent suffire, mais il existe aussi des témoins plus précis qui permettent de mesurer les déformations, et n’oubliez pas d’inscrire la date à côté de chaque témoin).
5— les travaux de consolidation
N’oubliez pas que votre construction représente souvent un patrimoine valorisant. La suppression hâtive d’une cheminée ou la démolition d’une grange peuvent être une perte pour vous comme pour le paysage urbain et ces interventions ne sont pas toujours autorisées. En dehors des arrêtés de péril, vous devrez déposer une autorisation d’urbanisme avant d’entreprendre des travaux et vous devez vous renseigner auprès de votre mairie. Il convient de vérifier la conformité de votre projet avec les règles d’urbanisme du plan local et les règles patrimoniales et paysagères (dans le cas d’un site patrimonial remarquable ou du site classé).
Pour donner un exemple, les cheminées font partie de l’équilibre architectural d’un bâtiment et leur suppression n’est pas toujours autorisée.
Les services instructeurs, dont l’unité départementale de l’architecture et du patrimoine (UDAP), se tiennent aussi à votre disposition et seront là pour vous accompagner.
La Fondation du patrimoine peut aussi vous accompagner.
Un mois plus tard, à La Laigne.





