Relevé dans la Mesure du Monde de Zumthor :
« Je ne puis concevoir ma relation avec mon frère, mon ami, mon concitoyen, que comme présence simultanée, c’est à dire spatialement : à la fois dans l’espace où, sur la terre réelle, se déploie l’action collective ; dans celui (pas toujours identique) où se projette l’organisation du groupe ; dans celui des activités symboliques et de ses jeux : dans toutes les parties de ce que depuis quelques années on nomme l’ » espace social », où se tracent les parcours discursifs le long desquels le groupe se parle lui-même et à lui-même. »
« Le corps est manifestation. Il extériorise l’invisible, l’offre à la perception sensorielle et par là l’intègre à l’expérience collective… Mon corps ainsi s’objective, s’écarte fictivement de moi, se donne en modèle, à moi et aux autres. D’où peut être l’irrésistible besoin de parure, le fard, l’ornement, le masque, tout ce qui me décorporise au profit de ma fonction sociale... »
« Sans doute ces fluctuations tiennent-elles à la nature problématique de ce que désigne le mot d’espace et ce à quoi réfère l’idée correspondante : réalité ambiguë, idée complexe, terme qui ne cesse de dériver en métaphores. Peut-être faudrait-il compter autant d’espaces que de découpages possibles de la “réalité”. L’historien des cultures ne peut donc le saisir que comme une catégorie irrationnelle, relative à la condition de l’homme sur son fragment d’univers : grâce à elle, l’homme déchiffre celui-ci tandis que, dans cet acte même, il se crée un environnement symbolique, en rapport instable de complémentarité ou de contradiction avec la nature ainsi pensée. C’est pourquoi sans doute le seul discours efficace sur l’espace est un récit, comme il pourrait l’être sur les lèvres d’un enfant : un mythe, au sens originel du mot. »
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Disparition
Nous en avons plein nos albums de famille. De ces images qui s’en vont. A force, les visages s’oublient et les liens disparaissent. Tu te souviens de qui est-ce ? Non, peut-être la tante Adélaïde. Non c’est Marthe ou Josette. Ces photographies palissent dans des prénoms à la mode oubliée. Non je ne m’en souviens pas. Non je ne sais que qui c’est. J’ai honte d’oublier. Qui est donc cette femme dont le visage disparaît.
La maison, quelle maison ? On imagine un regard qui traverse la baie pour embrasser un paysage qui s’enfuit. Sommes nous à Paris ou dans un pavillon de banlieue, dans une ferme cossue peut-être… Le paysage imaginaire qui nous ne connaîtrons plus, l’intérieur de la maison non plus. Seul la nostalgie qui emporte nos cœurs. Seule la couleur blanche qui peu à peu envahit l’image. Et soudain je partage le même songe que cet ancêtre disparu.
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