Produire la ville
21 mars 2012
Produire la ville impose d’interroger les règles d’urbanisme qui ne correspondent plus toujours aux enjeux contemporains. La substitution du monde clos des villes par l’urbain généralisé et la flexibilité des modes de vie nous oblige à rechercher un urbanisme sur mesure, adapté aux situations et aux territoires. Cette recherche s’intègre bien entendu dans celle d’une nouvelle gouvernance flexible des territoires.

L’échelle de la gouvernance n’est que rarement celle des administrations institutionnelles actuelles. Or jusqu’à présent, les plans locaux d’urbanisme sont majoritairement portés par les communes alors que les habitants vivent une multiappartenance et que les territoires de vie et de travail se sont étendus. Il nous faut dorénavant inventer un urbanisme sur mesure allant d’actions locales à des orientations stratégiques territoriales. Si la charpente des schémas de cohérence territoriale commence à s’imposer, le périmètre des intercommunalités doit être interrogé pour coller au plus près des réalités géographiques et sociales. C’est dorénavant à l’échelle du grand territoire que les documents d’urbanisme doivent s’élever pour être porteurs, et plus seulement compatibles, des politiques de l’habitat et des transports. Il faut réaffirmer l’importance de la planification à grande échelle. La fusion des plans locaux intercommunaux avec les politiques de l’habitat permettra une grande cohérence d’action en offrant une place de choix à la politique foncière aujourd’hui trop peu développée. Et à plus petite échelle ? Ce sera le lieu privilégié d’un urbanisme négocié sur la base de la planification stratégique évoquée plus haut. Ce sera l’espace de la gouvernance flexible où les acteurs définiront les échelles pertinentes d’intervention, tantôt se sera un îlot, tantôt un ensemble de quartiers. Cette logique de projet fait la part belle au temps en considérant une ville en mouvement où les échelles d’intervention fusionnent.

Que dire des règles d’urbanisme qui sont tant décriées. Nous suivons tous avec intérêt l’urbanisme de projet que les prochains décrets du Grenelle 2 devraient mettre en place. Faut-il une simplification ou une libéralisation de ces règles ? Rien n’est moins sur. Pour participer à l’instruction de projets d’aménagement ou de particuliers, je suis toujours stupéfait de constater combien la règle est interprétée différemment, « particularisée » pour ainsi dire. D’autre part, je suis souvent surpris par la faiblesse conceptuelle des projets présentés par des maîtres d’œuvre formatés aux préoccupations de leurs clients. Il manque certainement au niveau de la programmation et de l’esquisse, là où le projet se joue, un manque flagrant de discussion et de prise en compte de l’intérêt général. L’urbanisme sur meusre ne pourra se faire qu’à la condition expresse que la nouvelle gouvernance implique tous les acteurs du projet en amont. Avec la culture toujours plus prégnante du développement durable, pourquoi ne pas imaginer que les orientations environnementales soient discutées au début de l’élaboration d’un projet ? Allons vers une gouvernance flexible au service de projets négociés où la règle doit devenir stratégique et non plus fermée. Derrière cela, il existe le risque de déstructurer des quartiers et de laisser commettre des crimes architecturaux. Fort de cette crainte, à nous d’être intelligents.
Grand prix de l'urbanisme
31 décembre 2012
Quels enseignements tirer de la cérémonie de remise du grand prix de l’urbanisme qui s’est déroulée le 20 décembre 2012 à la cité universitaire de Paris ? Rien de vraiment nouveau, mais plus que jamais le projet est mis en avant comme processus, la règle est remise en question et la gouvernance devient fondamentale comme l’ont montré les discussions des trois ateliers qui se sont succédés au cours de l’après-midi.
De la règle
L’urbaniste François Grether était le grand prix de l’urbanisme 2012. Son passé à l’Apur a façonné sa pensée et il dit entretiennir un rapport décomplexé à la règle en militant pour sa simplification. Il a rappelé à ce titre qu’au XIXe siècle la règle d’urbanisme ne dépassait pas quelques pages (cela mériterait d’être vérifié) alors qu’aujourd’hui elle s’écrit dans d’épais documents. La question est de savoir comment la règle issue de la planification urbaine peut produire de la qualité et pourquoi une règle simple serait libératrice ? Si la règle joue un rôle de régulation, la thèse défendue par François Grether était que la règle se doit d’être aussi fédératrice pour produire de la valeur. L’exemple donné par le paysagiste Loïc Maréchal (agence PHYTOLAB) est éclairant sur la question de ce changement de tendance : lors de la révision du secteur sauvegardé du 7e arrondissement menée par A.U.P., les nombreux espaces boisés classés — nés parfois d’un manque d’entretien ayant laissé pousser une végétation autochtone — ont été remplacés par l’obligation de maintenir ces espaces en pleine terre. La contrainte laisse donc place à une mesure conservatrice. Les intervenants ont clamé la main sur le cœur que le copier-coller et le recours à des stéréotypes réglementaires furent néfastes à la planification urbaine et qu’il convenait dorénavant de mettre en avant la notion de projet allant au-delà des procédures. On assigne donc dorénavant au projet la maîtrise de la grande échelle en lieu et place de la planification.
L’innovation ne peut venir ni des règlements ni des benchmarks. L’appel à projets, comme dans le cas de la Ville de Paris sur le mobilier urbain du futur, incite les créateurs à faire des réponses sur mesure.
Du projet et de la gouvernance
Les discussions des trois ateliers ont à chaque fois dévié sur la gouvernance. Premièrement, la gouvernance vue au cœur même des projets et de leur conception. François Grether rappela comment l’opération de Clichy-Batignolles avait donné lieu à des macro-lots d’aménagement et des « groupes  projet » agissant comme des ateliers communs de conception pour faire converger les différents projets architecturaux. Ensuite, l’exemple de la rénovation urbaine fut pris pour démontrer qu’il était pertinent de réunir les acteurs techniques et institutionnels d’un territoire au sein d’une gouvernance unique pour se porter efficacement au chevet des quartiers dégradés. Enfin, le rôle de la population a bien entendu été abordé avec l’exemple de la reconquête des bords de la Maine à Angers. La population a été longuement concertée pour façonner un projet fédérateur. D’autres fois, ce sont les élus qui sont réunis en groupes projet, comme dans le cas de l’agglomération nantaise, pour forger des positions communes sur des thématiques telles que la forme urbaine et ces dispositifs donnent lieu à l’élaboration de chartes ou de guides sans portée réglementaire, mais devant être pris comme recommandations. L’enjeu ici n’est pas d’imposer, mais d’accompagner et de stimuler.
Le Grand Paris a naturellement été un sujet polémique, Mireille Ferri (conseillère régionale d’Île-de-France, Vice-présidente de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région d’Île-de-France) théorisant la communauté d’actions au-delà des limites administratives en mobilisant les forces sociales du territoire. Pour elle, on peut agir sans gouvernance, à savoir sans nouvelle institution, en créant des expérimentations à partir d’une démocratie de projets. Tous les intervenants semblaient d’accord avec l’idée que le projet partagé, co-construit avec les citoyens, surmonte les clivages politiques, institutionnels et réglementaires. Le modèle fédéral des pays nordiques a été mis en avant comme antidote aux dysfonctionnements d’une vision hiérarchisée où seules les grandes villes auraient leur mot à dire. Cela parait terriblement naïf, mais l’urbaniste a le cœur pur.
Le géographe Marcel Roncayolo, invité d’honneur, a alors posé une question essentielle en s’étonnant de la différence observable entre les intentions et les actions des urbanistes. Pour illustrer son propos, il a repris l’exemple des grands ensembles projetés initialement à partir du modèle des cités-jardins pour un résultat bien différent. Cet engouement pétri de bon sentiment pour le projet et son caractère fédérateur, qui vaut la déchéance de la règle, tiendra-t-il longtemps ?
Et l’État dans tout cela ? Il a parfaitement joué son rôle de stratège, feignant de ne pas y toucher, annonçant qu’il n’était que l’organisateur de l’événement alors qu’en fait il travaillait à bras le corps l’urbanisme de projet. Faites croire à autrui qu’il est l’auteur de la solution que vous lui tendez et vous maitriserez l’art de la persuasion.
30 % de plus à construire
4 mars 2012
Le projet de loi a été voté en quelques semaines alors que les décrets d’application du Grenelle 2 relatifs aux Plan local d’urbanisme et aux SCoT sont toujours attendus. Il faut voir dans cette substitution des priorités un premier pas vers la déréglementation des règles d’urbanisme telle qu’elle est attendue dans l’urbanisme de projet.
La volonté de densification n’est pas une surprise puisqu’elle était déjà souhaitée par la loi Solidarité et renouvellement urbain de 2000 et la loi portant Engagement national pour l’environnement de 2010. Les 30 % semblent plus précisément issus de la réflexion sur le Grand Paris où plusieurs équipes avaient travaillé sur la possibilité de densifier la ville diffuse autour des points modaux de transports en commun. Ces mêmes équipes avaient aussi préconisé d’utiliser les toits dans la ville dense. La question est de savoir comment une réflexion régionale qui a fait son chemin a pu donner lieu à une règle nationale? Ce déplacement d’objet, qui est aussi un changement d’échelle, est particulièrement éclairant sur 4 problématiques : la géographie nationale, l’attente des Français en matière de logement, la typologie et enfin l’avenir de la planification urbaine.
Cette nouvelle disposition nationale pose clairement une question d’aménagement du territoire. Considérer de la même manière les métropoles et les territoires moins tendus du reste de la France relève d’un défaut d’analyse. Les problématiques s’expriment de manières contradictoires entre des territoires en déprise démographiques qui nécessitent de maintenir une certaine vitalité urbaine et ceux qui sont en expansion. Dans ce dernier cas, le contrôle de la consommation de l’espace pourrait imposer une certaine densification. Mais on ne nous fera pas croire qu’une règle à la parcelle répond à une problématique géographique. On pourrait imaginer par exemple une politique interrégionale visant à équilibrer les territoires de vie en créant des pôles d’équilibre allant de pair avec un développement économique polycentrique. La nouvelle règle semble dire que l’on peut continuer d’entasser des logements sur des territoires sans se soucier de la saturation des réseaux existants. Une telle disposition aurait pu être assortie de conditions telles la proximité d’une offre de mobilité ou la capacité suffisante des réseaux techniques urbains. En schématisant à trop grands traits, cette loi consiste à densifier des territoires déjà contraints alors qu’une grande partie du territoire demande une reconquête.
Ensuite, il serait bon de confronter les politiques publiques à l’aspiration des Français. S’il est évident qu’il y a crise du logement dans les zones tendues, il faut aussi voir d’autres évidences. Si aujourd’hui la moitié de la population française vit dans une commune de moins de 10 000 habitants et que la rurbanité devient un phénomène de société, c’est par un attrait profond des foyers pour un espace résidentiel privatif plus vaste. Le développement des mobilités physiques et virtuelles fait que le lieu de résidence devient un choix de vie plus qu’une contrainte liée à la proximité du travail. Bien loin l’idée de promouvoir la typologie pavillonnaire née de la pauvreté conceptuelle de constructeurs malhabiles. Des typologies nouvelles ont déjà fait leurs preuves pour habiter les cœurs d’îlots trop vastes ou de petites parcelles. C’est bien sur l’équilibre entre densité nécessaire et aspiration à des espaces libres privatifs que doit porter notre effort. La nouvelle loi ne répond pas à cette question.
Lors de la consultation du Grand Paris, des études fiables ont été faites sur la mutabilité des parcelles par densification ou encore sur la possibilité « d’habiter » les toits existants avec de nouvelles fonctions. Ces réponses typologiques permettent de plus l’autoconstruction très dans l’air du temps. Après une phase historique de rationalisme hygiéniste, nous voici a promouvoir la filière courte de renouvellement urbain à la parcelle. Le projet de recherche BIMBY, pour « Build in My Back Yard » est à ce titre éloquent et peut être vu sur http://bimby.fr/. Il s’y agit de faire émerger la « Ville Durable des quartiers pavillonnaires existants. » On se souvient aussi des propositions toniques de Jean Nouvel proposant « d’habiter » les toits des grands ensembles pour y installer des bars, restaurants et autres serres bioclimatiques abritant des jardins collectifs. Ces recherches doivent continuer à être menées sur de nouvelles typologies s’appliquant à un parcellaire plus petit et les + 30 % sous-tendent bien entendu ce type de travaux. Fallait-il une loi spécifique pour y arriver alors que la densification intègre les plans d’urbanisme au fur et à mesure de leur révision ?
Enfin, de plus en plus le projet précède la règle. Comme l’indique le site du ministère du Développement durable, la démarche lancée en juin 2010 pour un urbanisme de projet a pour objectif « de faciliter la vie à tous ceux qui concourent à la réalisation de projets d’urbanisme, d’aménagement et de construction. » Cette vision d’un urbanisme ouvert a forcément inspiré cette loi majorant de 30 % les droits à construire pendant trois ans. N’oublions pas que les règles opposables des documents d’urbanisme sont issues d’une traduction réglementaire d’un projet de politique urbaine. Elles fixent de manière homogène la densité admissible par zones ainsi qu’une hauteur maximum. S’il est possible de reprocher le caractère arbitraire de règles parfois inadaptées au contexte précis d’une construction, la tentation de déréguler la planification urbaine doit être murement réfléchie. Quels sont les arguments pour décider d’augmenter de 30 % la hauteur d’un bâtiment en crevant le vélum naturel d’un quartier ?
Si en 1919 sont créés les plans d’aménagement, d’embellissement et d’extension, ancêtres des documents d’urbanisme, en réalité bien peu de communes s’en étaient doté. Le droit de l’urbanisme est codifié en France depuis 1954, mais il a fallu sa réforme en 1973 pour connaître le code sous sa forme actuelle. De même les plans locaux d’urbanisme sont nés de la loi SRU de 2000. Ce rapide rappel historique tend à démontrer que le droit de l’urbanisme est encore une discipline jeune. Il en va de même dans la planification urbaine et nous pouvons compter dans les prochaines années sur des évolutions importées en la matière. Il faut certainement revoir nos règles pour une meilleure insertion contextuelle des projets. Mais il faut faire attention, car Françoise Choay a très bien montré l’opposition entre la règle et le modèle ; où le modèle contraint à la rigidité d’une urbanisation planifiée alors qu’un système de règles permet de répondre par des solutions originales à la diversité des contextes physiques et socioculturels. Le danger serait que le projet urbain devienne un modèle mortifère qui empêcherait la recherche de véritables solutions aux questionnements contemporains.
En conclusion et à lire la presse, tous les commentateurs s’attachent à dire que cette loi est prématurée et ne répondra que partiellement à l’objectif de résorption de la crise du logement. Mais il convient impérativement d’y voir le signal d’un nouveau virage du droit de l’urbanisme et par là une nouvelle manière de voir la planification urbaine. Il faut dès lors faire attention à ne pas imposer des modèles fermés, mais bien de créer des règles suffisamment réfléchit pour accueillir la création de nouvelles formes urbaines tout en préservant la richesse du patrimoine existant.
De l’intelligence des projets
Dans un intéressant commentaire laissé par Serge Renaudie à l’article +30 %, il conclut sur l’intelligence des projets. La récente loi sur la majoration des surfaces constructibles a l’intérêt d’ouvrir un débat bien plus large sur l’avenir de l’urbanisme français. L’avis général des commentateurs consiste à dire « moins de règles et plus de bon sens ». Cela revient effectivement à poser la question de l’intelligence des projets et de la règlementation de l’urbanisme. Considérerons le premier article du code de l’urbanisme, le fameux L110 dont l’analyse des évolutions successives pourrait à elle seule faire une très belle histoire de l’urbanisme français de ces dernières décennies.
« Le territoire français est le patrimoine commun de la nation. Chaque collectivité publique en est le gestionnaire et le garant dans le cadre de ses compétences. Afin d’aménager le cadre de vie, d’assurer sans discrimination aux populations résidentes et futures des conditions d’habitat, d’emploi, de services et de transports répondant à la diversité de ses besoins et de ses ressources, de gérer le sol de façon économe, de réduire les émissions de gaz à effet de serre, de réduire les consommations d’énergie, d’économiser les ressources fossiles d’assurer la protection des milieux naturels et des paysages, la préservation de la biodiversité notamment par la conservation, la restauration et la création de continuités écologiques, ainsi que la sécurité et la salubrité publiques et de promouvoir l’équilibre entre les populations résidant dans les zones urbaines et rurales et de rationaliser la demande de déplacements, les collectivités publiques harmonisent, dans le respect réciproque de leur autonomie, leurs prévisions et leurs décisions d’utilisation de l’espace… »
Au-delà du charcutage opéré par la loi ENE (le Grenelle 2) et de la médaille de la phrase la plus longue du monde, on observe l’art du compromis d’un tel article qui fait reposer sur les collectivités compétentes la mise en compatibilité d’objectifs tant sociaux qu’environnementaux. Comment obtient-on ce compromis ? La première réponse est d’ordre juridique et est massivement employée. La rédaction des articles du PLU tient compte de la mise en compatibilité des lois nationales et des documents supra-communaux appliqués à un contexte déterminé. L’intelligence des projets est laissée à leurs seuls promoteurs et maitres d’œuvre. 
Il existe une autre solution pour servir l’intelligence relationnelle des projets et maintenir l’intérêt urbain avec l’intervention d’un conseil extérieur. Il peut s’agir d’une commission consultative ou d’un architecte-conseil. Urbanews a écrit sur ce dernier sujet un article intéressant (http://m1p.fr/dLj). Ce n’est que lorsque cette culture du conseil associée à des modes de gouvernance plus étendus que l’on pourra tenter de dérèglementer l’urbanisme. On pourrait imaginer des règles d’urbanisme de bon sens en faveur de l’intérêt général qui donne un cadre général et ce conseil permettant de les adapter en fonction de chaque projet. Pour paraphraser Adolph Loos, ce n’est que lorsqu’elles seront revenues dans nos cœurs que nous n’aurons plus besoin d’écrire les règles.
ÉcoQuartiers, réinventons l’existant
Mardi 6 juin 2017 aux Grands Voisins - Paris 14e
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