15 février 2012
Chaque jour voit l’apparition d’une nouvelle expression ; ville fertile, ville nuage, ville frugale depuis peu… rendant quasi canonique la ville durable d’ailleurs rejetée majoritairement par tous les auteurs d’aphorismes urbains. Nous voici donc avec la ville quelque chose, et il ne s’agit plus de la ville neuve ou de la ville franche, mais d’une ville conceptuelle et nébuleuse.
Loin d’une refondation du fait urbain, ces expressions témoignent d’une incapacité à appréhender la ville comme système hétérogène. Peut-être s’agit-il tout bonnement de la fin d’un modèle idéologique dont les fondations ne seraient plus qu’administratives et fiscales. Si nous considérons notre expérience quotidienne de l’urbain, nos déplacements physiques et nos mobilités virtuelles, nos perceptions nous font ressentir un espace discontinu aux limites géographiques peu définies. Le sentiment d’appartenance se fonde désormais sur nos expériences individuelles et nous recombinons pour nous même une ville en propre, sans équivalent chez nos voisins de palier, profondément autre. La ville laisse donc place à des villes multiples, se superposant rarement sur des territoires de vie distendus.
L’abandon des grands récits doit aujourd’hui nous faire réfléchir sur notre objet d’étude et la première des choses à faire est de cesser de vouloir le qualifier et y plaquer des principes abstraits dont peu passent le cap de l’expérimentation. Nous avons besoin de projets. Nous avons aussi besoin de conceptualisation, mais la raison pousse à proposer des actions pragmatiques, volontairement sectorielles, tout en développant une conscience qui les rattache au système urbain complexe de la ville d’aujourd’hui.
Partager l’espace public
30 décembre 2011
L’espace public est une notion peu définie. Il englobe dans le domaine public non bâti la voirie et les espaces libres tels les places. Or le débat sur l’espace public est souvent centré sur la voirie avec la mise en avant de la fonction circulatoire. Si les projets urbains traitent de la qualification des espaces libres, force est de constater que les réunions publiques tournent presque exclusivement autour de la circulation et du stationnement.
La prédominance de la voirie dans le débat public est historique. Sans remonter très loin dans le temps et pour prendre l’exemple de Paris, la seconde partie du 20e siècle a vu des politiques urbaines tournées vers la création d’infrastructures telles le périphérique ou les voies sur berge. Le regard sur l’espace public a commencé à changer à la fin des années 1970 et peu à peu la place de l’automobile a été reconsidérée avec des chaussées remodelées et des places publiques dégagées du stationnement. Cela a donné lieu à des réaménagements emblématiques comme la reconquête de l’avenue des Champs-Élysées, le réaménagement de la place Vendôme ou l’aménagement des berges du canal Saint-Martin. Le principe en vogue à l’époque était une certaine neutralité de l’aménagement permettant d’accueillir de nouveaux usages, suivant en cela la mode de la polyvalence (et l’héritage des salles polyvalentes à travers la France). Pour habiter ces espaces, les pouvoirs publics ont eu l’idée de créer des manifestations ponctuelles, certaines de renommée internationale, comme des expositions de sculptures sur le domaine public (Botero ou Ousman Sow), ou encore la mise en place d’opérations annuelles comme la patinoire de l’hôtel de ville.
Les années 1980 ont vu le retour du tramway sonnant comme une reconquête de l’espace public pour les transports en commun. L’attention s’est peu à peu déplacée sur les circulations piétonnes et l’idée que la voirie devait être partagée. Ensuite les années 2000 ont apporté une rupture dans le découpage de l’espace par la prise en compte des modes doux de déplacement et une spécialisation de la voirie (couloir de bus, bandes cyclables…). Parallèlement, l’espace public était reconsidéré avec des opérations symboliques comme Paris-plage ou le piéton venait habiter l’infrastructure des voies sur berge. Cette évolution des politiques urbaines vers un meilleur partage de la voirie donne aujourd’hui lieu à la mise en place de « zones » — zones 30, zones de rencontre, zones piétonnes — où les pouvoirs publics tentent de pacifier la coexistence des modes de transport en reconnaissant la prédominance de l’accessibilité piétonne.
En revanche peu d’avancées ont été faites sur l’usage des espaces libres. Si les usages classiques demeurent — marché, vente ambulante, rencontre, flânerie, repos, jeu — il faut reconnaître les modes de vie ont évolués en développant une autre appréciation de l’espace public. Utiliser l’espace public pour faire du sport (Feng shui dans les parcs, jogging dans les rues), prendre le soleil comme à la plage et bien d’autres sont des usages contemporains qu’il faut dorénavant prendre en compte. L’aménagement neutre — au sens de non programmé — des espaces publics répond en partie à ces nouveaux usages, mais il faut se demander si une certaine forme de programmation n’est pas nécessaire. Certains espaces publics vivent par eux-mêmes de par leur localisation (comme le parvis du centre George Pompidou) ou leur consistance (comme le parc des Buttes Chaumont), mais qu’en est-il d’espaces moins privilégiés qui souffrent d’un défaut d’attractivité ? Il convient plus particulièrement de se pencher sur ces derniers.
Dans les années 1950, Walt Disney invente une discipline architecturale promise à un grand succès : l’immagineering. Pour produire une forte expérience chez le visiteur devenu spectateur, l’architecture et la technique sont inféodées à « l’imagination » de l’effet dont l’unique but est de provoquer du spectaculaire dans la perception des lieux. Cette thématisation des parcs d’attractions est devenue la règle avant d’infiltrer d’autres domaines de la vie tels les centres commerciaux. D’une certaine manière, elle arrive maintenant dans l’espace public et il faut s’interroger sur l’intérêt que cela représente pour l’urbanisme. Parallèlement, le storytelling impose ses procédés narratifs en marketing et en politique selon la trilogie : capter l’attention/stimuler le désir de changement/et emporter la conviction (Steve Denning). L’utilisation d’histoires et de formules symboliques est entrée dans la vie quotidienne et il faut se demander si de nos jours la désaffection de certains espaces publics n’est pas due à leur absence de contenu symbolique propice à séduire leurs utilisateurs.
D’autre part, l’individualisation des modes de vie et la désynchronisation des rythmes rendent le partage de l’espace plus problématique. Alors que les espaces publics étaient dimensionnés en fonction des flux des mouvements pendulaires, il se pose maintenant la question du partage du temps de ces mêmes espaces qui vivent différemment dans la journée et au fil des jours. Il s’agit donc pour nous d’imaginer des espaces publics attractifs et évolutifs. Il faut reconsidérer la polyvalence de l’espace public en apportant un complément programmatique apte à polariser par moment les usages. Pour cela, il convient d’ajouter une interface entre l’urbain et le social sous la forme d’une régie technique capable d’animer nos espaces publics sous couvert de narrations spécifiques.
L’enjeu est bien de stimuler le corps social et de reconquérir l’espace public.
Kissing time




Zone Atlantis, Nantes, le 1e janvier 2017.