
Une lecture (trop) rapide du PNACC3
Quel drôle d’objet technoadministratif que ce nouveau plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC3), le troisième du nom, millésime 2025, nous préparant à une France à +4 °C en 2100. Cinquante-deux mesures déclinées en de nombreuses nouvelles actions tout terrain, montagnes, forêts, champs, rivages et villes, tout y passe. Ici place aux phénomènes de vitesse et aux rythmes, une première analyse bien trop succincte, à approfondir, dont la vocation est d’ouvrir un débat.
Le lecteur découvrant les 388 pages décèle vite les contributions variables des différents ministères, chacun avec sa culture et sa sensibilité face au climat. Après, lire le plan, s’arrêter sur les mots les plus significatifs, leurs sens, tenter de le saisir dans son ensemble, loin de l’énumération des mesures et des nouvelles actions, une approche d’ensemble, touchant à tous les aspects de la société et du territoire français. Dans l’état des lieux, puis pour les différentes mesures, le changement climatique occupe une place centrale, le réchauffement climatique aussi, la prémonition scientifique des +4 °C, la trajectoire de réchauffement, etc. Les risques s’imposent tout autant, avec les inondations, les fortes chaleurs, la sécheresse et les incendies en tenant compte de la spécificité des territoires, notamment l’outre-mer, reflétant la diversité des enjeux.
Si nous comptons, la troncature mobilis* apparaît 190 fois (mobiliser, mobilisation, etc.), renforce*, 191 fois (renforcer, renforcement, etc.), développ*, 333 fois, le terme stratégie revient 187 fois et planification, 68 fois. Ces récurrences nous mettent sur la voie d’un vocabulaire volontariste, pour ne pas dire militariste.


De la mobilisation
Une brève analyse sémantique fait ressortir les termes de stratégie, de mobilisation, mais aussi de protection et de défense, avec un vocabulaire tourné vers l’opérationnalité, un militarisme métaphorique se retrouvant aussi dans les termes de territoires, trait de côte, défense, surveillance. Bien entendu, le PNACC3 n’est pas un texte militaire, mais certains termes employés évoquent un champ lexical martial associé à la défense et à la stratégie, ces termes centraux dans la planification militaire, tout comme ils le sont dans la planification de l’adaptation au changement climatique. La nécessité de se prémunir contre une menace, renforcer sa capacité à y faire face, la capacité à encaisser un choc et à se rétablir, la notion de territoire à défendre, de lignes de front à tenir, et le contrôle de l’espace, etc., autant d’actions concrètes à mener, des moyens à mettre en place, des capacités à augmenter. Une attitude défensive, voire offensive, face aux effets du changement climatique, comme s’il s’agissait de la mobilisation d’une partie des forces vives de la nation pour entamer la lutte. Ah, notre vieille marotte cartésienne de vouloir lutter contre la nature, au motif de la défense de l’humanité. La volonté s’affirme ici pour démontrer la mise en œuvre d’un programme d’action fort et structuré, à l’image d’une stratégie de défense.
L’autre connotation militaire du PNACC3 vient de son organisation même, rangée méthodiquement en silos thématiques sans liaison entre les actions. Les 52 mesures du document se présentent comme des bataillons bien alignés pour monter à l’assaut du climat.


L’eurythmie prépondérante
Concentrons-nous maintenant sur une analyse sémantique mettant en évidence les rythmes et les phénomènes de vitesse. Une lecture interprétative cherchant à déceler les nuances liées au temps : le rythme des actions, la trajectoire de réchauffement impliquant une évolution progressive, le rythme de changement, les horizons 2030, 2050, 2100, etc. Viennent ensuite la cadence des objectifs et des mesures, les échéances régulières, la réévaluation périodique, l’ajustement de la vitesse des actions, mais aussi les disparités saisonnières, les variations des phénomènes climatiques, la fluctuation des modes de vie, l’adaptation des cycles de production et des activités.
L’analyse par les phénomènes de vitesse (voir en annexe) ne démontre pas de priorité donnée à l’accélération, pratiques pourtant courantes dans les politiques publiques contemporaines. Non, il s’agit ici d’être vigilant, de surveiller, d’évaluer ou encore de se projeter par l’intermédiaire d’études de nouveaux plans adossés à ce premier plan, comme des poupées russes qui prévoient des actions à venir. Le climat est cyclique. Il est aussi accidentel lorsque les éléments se fâchent. Il embrasse simultanément des multiphénomènes qui se fécondent entre eux. Or, nous ne pouvons que constater que ce plan-là ne présente que des actions disparates sans qu’il ne soit réfléchi à l’interpénétration des unes dans les autres alors même que pour répondre à un phénomène complexe, il faudrait entamer des processus tout aussi complexes.
L’idée de temporalité et de rythme est sous-jacente dans de nombreux passages du plan. Néanmoins, on ne peut qu’être frappé l’eurythmie des actions, qu’elles soient linéaires ou cycliques n’y change rien, pas plus que les deux principaux phénomènes de vitesse à l’œuvre, la vigilance et la simulation, des différentes procédures de surveillance et d’évaluation, aux nombreuses études proposées pour accroître la connaissance. L’eurythmie s’impose pour pratiquement toutes les actions, linéairement qui plus est, trop d’actions cycliques d’ailleurs, et vraiment très peu d’actions polyrythmiques : l’isolement de chaque mesure, l’isolement de chaque action au sein d’une même mesure. L’inexistence d’interrelations interpelle alors que le changement climatique bouleverse les équilibres naturels et sociaux, poussant l’adaptation dans une compréhension fine des rythmes où la rythmanalyse offre un cadre théorique précieux.


Synchroniser l’humanité avec les nouveaux rythmes de la Terre
La rythmanalyse étudie les rythmes qui structurent l’espace et le temps, Henri Lefebvre soulignant que ces rythmes s’entrelacent pour former une « polyrythmie », où harmonie et dissonance influencent la résilience des systèmes. Le changement climatique apparaît là comme un dérèglement des polyrythmies, avec des cycles naturels altérés, des rythmes biologiques bouleversés, des ruptures sociales importantes. Toutes ces perturbations forment des arythmies. L’adaptation doit rétablir des harmonies, l’apprentissage d’une danse sur de nouvelles mélodies, la rythmanalyse offrant la possibilité de nouvelles harmonies des rythmes humains.
Entre la rythmanalyse et l’adaptation aux effets du changement climatique se joue :
La possibilité d’une analyse des nouveaux rythmes environnementaux tel le rythme naturel des saisons perturbé par le changement climatique, aidant à concevoir des stratégies d’adaptation respectant ces cycles.
La réorganisation nécessaire des pratiques sociales en étudiant les rythmes sociaux (travail, mobilité) pour guider l’ajustement des modes de vie face aux nouvelles contraintes climatiques.
La poétique de la résilience puisque la rythmanalyse propose une approche expérimentale pour réinventer l’espace urbain, en prenant en compte des impacts climatiques, favorisant ainsi une nouvelle esthétique.
Le PNACC3 insiste sur le fait que le changement climatique n’est pas un événement ponctuel, mais un processus continu. Il adapte ses actions en conséquence. Mais ce plan ne s’empare pas des effets cumulatifs, chaque action répondant à un phénomène climatique précis. Comment prendre en compte ces phénomènes conjugués ? L’adaptation au changement climatique implique de modifier nos rythmes de vie, de travail, de production, de trouver de nouveaux équilibres, et pour cela il est primordial d’éviter les actions isolées face à des phénomènes cumulatifs. Le PNACC3 aurait gagné à embrasser la polyrythmie des actions, et à explorer l’arythmie des troubles. Comprenons-nous, ce plan d’action se présente sous la forme d’une mer calme alors que règne la tempête. Les vagues arrivent sur le rivage, l’une après l’autre, porteuses des différentes choses auxquelles il faudrait penser ou qu’il faudrait faire.
Notre atelier travaille sérieusement sur l’adaptation au changement climatique depuis plus de dix ans. Et nous ne pouvons que nous réjouir d’un nouveau plan national, troisième du nom, quand partout ailleurs, les politiques environnementales régressent. Ce que nous dénonçons, en revanche, c’est la militarisation sotte du discours. Il n’est pas nécessaire d’adopter un ton martial pour modifier les modes de vie, sans s’en donner les moyens parce que la réponse est plus dans la danse que dans la marche au pas. Nous sommes juste un peu tristes, non d’un manque d’ambition, mais d’un manque d’interrelations qui pourrait laisser croire que ce plan national n’a pas réellement compris la complexité des phénomènes qui se déroulent pourtant sous nos yeux depuis maintenant plusieurs décennies.
Les images de ce dossiers ont été générées par Gemini Pro (Google Ltd). Elles expriment la polyrythmie en revisitant l'histoire de l'art à l'aune du changement climatique.
Annexes
Une première approche théorique sur la vitesse et les rythmes
L'analyse se fonde sur les recherches précédentes de l'Atelier, à particulier à la lecture de Paul Virilio et d'Henri Leflebvre pour déterminer les phénomènes de vitesse et les rythmes à l'œuvre. Écoutant Steve Reich en travaillant, le déphasage s'est invité dans l'analyse rythmique.
Parmi les phénomènes relationnels de vitesse :
Les modulations
Accélération (Virilio), ralentissement et retardement (Virilio) et vigilance (de l’attente à la surveillance, Virilio).
Les transformations
Transfert (passage concret d’un état à un autre, Virilio), simulation (projection, Virilio), disparition ou suppression (Virilio).
Pour ce qui est des processus rythmiques :
L'Eurythmie
Linéarité (Lefebvre), répétition et cycles (Lefebvre).
La polyrythmie
Simultanéité dans la linéarité ou la répétation (Virilio), déphasage de la polyrythmie (Reich).
L'arythmie
Accident de l’eurytmie (Virilio), accident de la polyrythmie (Virilio).
Classification du plan d'action
Classification des 52 mesures du PNACC3 :

Les sous-actions de la mesure 9 (pour approfondissement) :

Les actions du PNACC3 qui concernent l'architecture et l'urbain
Les nouvelles actions du plan qui concernent plus spécifiquement l'urbanisme :

Les nouvelles actions du plan qui concernent plus spécifiquement l'architecture :
