Trois débats sur l’avenir de la région parisienne animent l’actualité. Ils décrivent aussi une réalité plus large. Tandis que les premiers projets de tours font leur apparition dans le paysage parisien, des écoquartiers sont imaginés en banlieues et la mise en place du grand Paris n’en finit pas de déchirer les différents protagonistes de son développement.  Ces trois débats décrivent trois échelles traditionnelles de l’urbanisme : l’objet architectural, le quartier et l’aire urbaine. Outre l’intérêt individuel de ces sujets, ces trois questions se croisent, s’associent et s’opposent.
Il n’est pas anodin que ces sujets soient apparus simultanément alors que les programmes de rénovation urbaine ANRU battent leur plein. La requalification des quartiers d’habitation périphériques des années 1950 à 1970 correspondait à l’urgence d’en finir avec l’expression brutale du mouvement moderne portée en France par une poussée constructive sans précédent. Cette question du passé hâtivement close, comme l’avait été précédemment celle de la sauvegarde des quartiers anciens, restait le champ ouvert du futur de la ville. Les trois sujets — tours/écoquartiers/grand Paris — apparaissent dans un contexte qui voit dans le monde exploser les métropoles et pour la France l’adoption d’une conscience environnementale. Ils se rattachent à des questions contemporaines plus générales ; Quel est le juste équilibre entre la liberté du marché et la nécessité de réglementer le développement urbain ? Quelles sont les priorités pour remédier l’étalement urbain ? Comment remédier aux effets du changement climatique pour les « îles de chaleur » que constituent les métropoles ? Comment tenir compte des intérêts de chacun, quelles que soient leur origine ethnique et leur classe sociale ? Quel est le niveau géographique le plus pertinent pour la planification urbaine ?
Avant la crise, plus de vingt projets de tours étaient annoncés à Paris et dans sa proche banlieue. Depuis que la ville de Paris à modifier son plan local d’urbanisme à grand renfort de concertation pour ouvrir la voie à la construction en hauteur à l’intérieur du périphérique, l’objet architectural du vingtième siècle fascine : ses promoteurs y voient la possibilité d’édifier des quartiers verticaux avec une maîtrise énergétique parfaite. Même le quartier de la Défense, longtemps honni comme inhumain, est aujourd’hui montré comme un modèle de mixité de fonctions. La tour, d’abord chantée pour son économie spatiale, se voit maintenant louée pour sa capacité à densifier les échanges et à accélérer la mixité (encore faudrait-il nous expliquer comment s’y prendre ?).
Les écoquartiers font eu écho à la périurbanisation. Selon leurs promoteurs, et suivant les modèles développés en Allemagne et en Europe du Nord, il faut maintenant développer de nouveaux quartiers respectueux de l’environnement, donc à énergie zéro (où la consommation d’énergie équivaut localement à sa production). Mais plus encore, les écoquartiers doivent pousser la diversité sociale et fonctionnelle en promouvant un modèle social proche des utopies des sixties. En théorie, ils suivent l’exemple des quartiers les plus en avance en la matière, en Allemagne ou ailleurs, où le choix de résidence s’accompagne d’un certain nombre d’acceptations tacites de règles de vie, comme les mobilités douces (piétonne et vélo) ou la diminution de déchets ménagers. Relayé par les promoteurs classiques, les écoquartiers se rapprochent malheureusement plus de l’idéologie des cités-jardins en densifiant les constructions. Cette réactivation d’une forme urbaine historique fait écho à son origine anglaise au début du vingtième siècle où il s’agissait de créer des villages satellitaires aux villes industrielles. Aujourd’hui, par manque de foncier, l’écoquartier tend à s’accommoder des friches industrielles et militaires pour prospérer selon les termes de la loi SRU en refaisant la ville sur elle-même.
La dernière idée, celle du grand Paris, prospère actuellement plus sur les divisions pour y arriver que sur sa légitimité. Il faut dire en la matière que l’Île-de-France possède depuis maintenant presque un demi-siècle un schéma d’aménagement cohérent qui, réactualisé de proche en proche, a permis le développement des villes nouvelles et le déploiement d’un réseau routier et de transport ferré (RER). Bassins de vie et d’emplois, et équipements structurants, tels que les aéroports et les pôles universitaires, maillent ce territoire. Mais jusqu’ici, tout semblait s’arrêter aux portes du périphérique. Le syndicat mixte de Paris métropole semble vouloir effacer cette dernière frontière tandis qu’une vaste réflexion est menée par l’état sur le thème de « la métropole durable du XXIe siècle ». La planification étatique d’autant a laissé place au concert des collectivités territoriales, mais avec un volontarisme accru de l’état… à en perdre son latin. Néanmoins, la constitution d’une véritable métropole parisienne semble être un mouvement inéluctable pour répondre à la compétition économique que se livrent les grandes métropoles européennes afin d’attirer les sièges sociaux et les activités à forte valeur ajoutée.
Maintenant si on observe les termes deux à deux : Tours et écoquartiers, tours et grand Paris, écoquartiers et grand-Paris. On observe là une préoccupation environnementale bien qu’on puisse penser qu’il s’agit là d’un leitmotiv savamment distillé plus que d’un socle commun. Au-delà des différences d’échelle, il semble flagrant que ces trois propositions cherchent une issue pour l’avenir urbain.
Les tours s’opposent naturellement aux écoquartiers puisque ces deux formes prônent un usage radicalement différent de l’espace. Tandis que les tours partent à la conquête de la verticalité, les écoquartiers agencent bâtiments et fonctions au sein d’un grand jardin où la circulation serait apaisée. On distingue là deux modes de vie : celui profondément urbain et moderne de tours et celui post-moderne, d’inspiration ruraliste, de ceux qui veulent dorénavant vivre différemment en ville. La localisation même de ces programmes s’exclut mutuellement. Les tours se destinent à la ville dense tandis que les écoquartiers fleurissent dans les quartiers à la marge, en bordure de Seine si possible.
Les tours semblent franchir paresseusement le périphérique. L’exception du quartier de la Défense mis de côté, on s’aperçoit que le débat s’est déroulé presque totalement à Paris même si aujourd’hui quelques projets tentent leur chance à quelques jets de pierre de périphérique. Le surcoût de ce type de construction ne peut s’envisager que dans un contexte où le foncier est hors de prix. Mais que dire alors de la tour en construction sur le port de Marseille ou les « tourettes » sur la gare TGV de Lille, sinon que ce type d’édifice sert aisément d’étendards à des ambitions métropolitaines. Construire une tour consiste donc à s’affirmer. Dans le grand Paris multipolaire de demain, nul doute que ce genre de geste va se développer. En marge du projet commun, les ambitions individuelles des communes riveraines vont fatalement s’exprimer par des gestes aussi coûteux.
Les projets d’écoquartiers voient le jour au rythme des projets urbains des communes riveraines de Paris et sans concertation. Si le phénomène des cités-jardins était lié à un aménagement concerté d’un territoire métropolitain, les écoquartiers apparaissent comme des opportunités localisées. Le rêve collectif d’une métropole parisienne donnera-t-il naissance à une région compacte, une agglomération multicentrée ou une métropole douce fondant une nouvelle relation entre la ville et le paysage ? De cette réponse dépend la place des écoquartiers et surtout leur légitimité. Suivant une planification des moyens de transport et un rééquilibrage des bassins de vie et de travail, les écoquartiers pourraient prendre toute leur dimension. Sinon, il est à craindre qu’ils ne soient que des quartiers bourgeois savamment paysagés.
Des trois items du départ, on pourrait entrevoir un monstre mutant : un grand jardin vertical qui assurerait une connexion par les réseaux de transports au reste de la métropole. Cet objet improbable aurait une double dimension, à la fois locale et métropolitaine. En oubliant ce scénario de science-fiction, constatons que ces trois questions interrogent le devenir de l’aire métropolitaine et que loin d’être séparées, elles forment un débat complexe qui traite de toutes les échelles de l’aménagement à la fois, de la vie quotidienne à l’avenir commun de plusieurs millions de personnes.
Ce débat possède quelque chose de vivifiant. Même s’il n’use pas les envolées lyriques qui ont façonné les orientations urbaines de la seconde moitié du vingtième siècle, il possède une pragmatique qui impose des réponses claires et durables qui vont au-delà des objets de départ et qui peut-être poseront les bases du Paris de demain.
(chronique publiée dans la rubrique opinions du monde.fr)
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L'axe interrompu du Louvre à Nanterre
Fin de l'axe historique Louvre - arche de la Défense
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