C’est en temps de crise qu’on éprouve la crise du temps. On a beaucoup dit et écrit ces dernières semaines à propos du passage meurtrier de Xynthia le 28 février sur la côte atlantique. L’émoi s’estompera avec le temps et les déclarations va-t-en guerre d’interdiction de construire dans les zones inondables s’oublieront aussi vite. La mémoire du risque est ainsi : émotive et évanescente.

Après les inondations aux Philippines en septembre 2009, la dévastation d’Haïti le 12 janvier et les inondations de Madère le 21 février, le littoral français a subit à son tour un phénomène naturel grave tandis que le Chili vivait un séisme d’une rare violence. Dans tous ces événements, la vulnérabilité de l’urbanisation est en jeu. La proximité géographique de Xynthia a accentué sa couverture médiatique. Le bilan humain est important - 53 morts - et les 1.000 maisons sinistrées démontrent la violence de la tempête. Rappelons que Katrina avait fait 1.500 morts à la Nouvelle Orléans en 2005 et que 1,5 millions d’édifices ont été détruits au Chili. Sans polémiquer, il convient d’observer que ces catastrophes naturelles sont devenues à plusieurs égards des faits sociaux.

Revenons sur les événements de l’Aiguillon et de la Faute-sur-Mer. Pour avoir participé aux opérations de nettoyage après le pompage des quartiers submergés dans les deux communes vendéennes les plus touchées, j’ai pu constater que le drame avait frappé quelques quartiers de part et d’autre de l’estuaire du Lay. C’est peu, mais les dégâts étaient importants. Après évacuation des habitants et pompage, il a fallu déblayer les débris jonchant les voies publiques – monceaux de matériaux et d’algues – avant d’évacuer le contenu entier des habitations devenues inhabitables.

Après quelques jours, les rues boueuses se sont remplies du contenu des maisons sorti en tas par un effet d’inversion du dedans et du dehors ; les meubles et les choses maculés de vase et gorgés d’eau salée. Cela prodiguait une atmosphère proche de l’univers de Samuel Beckett, terreux et vain. Elles devaient être bien coquettes ces petites maisons à l’architecture apparentée à un style vernaculaire vendéen, bousculé souvent par des constructeurs plus enclin à l’enduit monocouche et à la tuile mécanique. Du côté de l’Aiguillon, cela tenait du genre « sam’ suffit » tandis que les constructions plus tardives de la Faute-sur-mer s’inséraient sans retenue dans les compositions étriquées de lotissements spéculatifs. Il y a encore 50 ans, ces quartiers n’étaient que des communaux ou des conches laissés à l’aviculture ou au maraichage. Les habitants résidaient préférentiellement sur les points hauts car les inondations dues aux vimers remontant l’estuaire du Lay étaient connues de longue date.

Le littoral métropolitain concerne 4,4% du territoire national et il y réside constamment 10% de sa population (sans compter le tourisme). La pression foncière y fait rage et chaque possibilité d’extension urbaine était jusqu’à présent vécue comme un développement positif, bien que gênée par la loi littorale, et les risques d’inondation n’effrayaient personne. La proximité des élus locaux et des demandeurs d’autorisation de construire rendait délicat en pratique tout refus et la concussion avérée aujourd’hui entre certains élus et la promotion immobilière fini de brosser le tableau de la cupidité ordinaire.

La rhétorique de la tragédie est connue. Au mieux le risque est éludé. Au pire c’est un déni qui appelle à l’irrationnel pour expliquer l’imprévisible ou évoquer l’inconscience de ceux qui le subissent. Or aujourd’hui, les risques naturels sont connus et nos systèmes de vigilance les rendent prévisibles. Tandis que l’on ressort en Vendée un rapport accablant de l’Equipement, on dénonce la politique du béton au Portugal, on pointe du doigt l’immobilisme des autorités au Chili et on se souvient de la négligence dans la consolidation des digues protégeant la Nouvelle Orléans. La myopie qui nous accable est inconcevable. Notre gestion des risques s’apparente avant tout à une mauvaise gestion du temps. En Charente Maritime et en Vendée, les premières digues ont été commandées par Colbert et ce réseau de plusieurs centaines de kilomètres est vieillissant. Or il semble que nous soyons incapables de tenir dans le temps la réalisation et l’entretien de ce patrimoine défensif. Les conséquences de cette tempête sont un fait social car elles révèlent, mieux que n’importe quelle autre démonstration, les carences et les faiblesses de notre société. Les victimes sont issues de quartiers pavillonnaires, symbole par excellence de l’intimité domestique et du droit populaire à la quiétude. Notre déni du risque à conduit à ce sacrifice païen. Au-delà du drame des pertes humaines, c’est la domesticité qui est en jeu, avec ces innombrables foyers touchés sur toute la côte atlantique, et l’invasion des eaux dans des intérieurs dont le pacte urbain nous garantissait l’inviolabilité.

Que va-t-il maintenant se passer à l’Aiguillon et à la Faute ? La carte des zones noires est dévoilée et elle ne concerne pas toutes les zones à risque. En dehors, les assureurs vont indemniser les sinistrés sur le mobilier et éventuellement l’immobilier dont les réels dégâts n’apparaitront qu’à la décompression des sols. Dans ces deux communes, le coût du foncier était jusqu’à présent très important. Le pécule ne permettra donc pas aux habitants de réinvestir sur place. De nombreuses personnes avaient vu dans cet achat l’investissement de toute une vie et le moyen de passer leur retraite en bord de mer. Il est peu probable qu’ils trouvent les ressources nécessaires à un déménagement. L’état promet d’indemniser dans les zones promises à la destruction. Attendons les recours pour voir ce plan taillé en pièces.

Alors que faire ? La mise en accusation de l’urbanisme est bien entendu le réflexe d’hommes politiques qui se défaussent de leurs propres errements sur le symptôme au lieu de soigner le mal. Au lieu de faire de l’urbanisme un jouet politique comme dans le cas du Grand Paris, il est urgent de réhabiliter cette discipline, non uniquement comme outil d’aménagement de l’espace mais aussi comme science du temps. L’urbanisme possède les moyens conceptuels d’articuler des temps contradictoires dans un emboîtement d’échelles temporelles allant de l’instantané au séculaire. Les plans de prévention des risques appartiennent à cette mécanique car ils établissent la vulnérabilité et débouchent sur des plans communaux de sauvegarde mettant en place des systèmes d’alerte et d’évacuation de des populations à risque. Plus de 16.000 communes françaises sont en zone inondables. L’article 44 de la loi Grenelle 1, à la suite de nombreux textes législatifs, rappelle qu’il faut maîtriser l’urbanisation dans ces zones. Une réponse globale doit donc être donnée. Pour le littoral, la solution existe qui consiste construire des armatures urbaines perpendiculaires aux côtes. Mais aujourd’hui il est difficile de se détourner de ces franges côtières de grande attractivité immobilière sans offrir d’alternative. La séduction de l’urbanisme passe par des projets d’aménagement à long terme définissant de nouvelles polarités. Non seulement, les plans de prévention doivent être pris en considération dans les schémas de cohérence territoriale, mais ces derniers doivent présenter un projet dynamique, tracé et suivi dans la durée.

/ type : photographie urbaine

/ objet : suivi sur 4 ans des dégâts de la tempête Xynthia de l’évacuation des biens jusqu’à la déconstruction des maisons
/ date de réalisation : 2010 - 2014

/ lieu de réalisation : La Faute-sur-Mer (85)


/ technique : photographie numérique

juste Après le pompage
Photographies prises le 6 mars 2010 dans les quartiers de la Faute-sur-Mer qui furent submergés par la tempête Xynthia
Quartiers interdits
Photographies prises dans les lotissements « les voiliers » et « les flots » qui ont vécus les plus grandes pertes humaines durant la tempête Xynthia en février 2010.
Xynthia + 6 mois
Photographies faites à la Faute-sur-mer en septembre 2010
Ainsi disparaît la ville
Le huitième jour, la Faute-sur-Mer
2 mai 2012
Nous errons dans l’incommensurabilité du temps avec nos souvenirs gisant au fond de la vase.
Avril 2012
La terre délicatement étalée s’étend presque à perte de vue. La zone ceinte de fines barrières métalliques s’ouvre en de rares accès pour laisser passer les tombereaux. Le soleil printanier détourne les rares promeneurs qui préfèrent fouler le sable de la plage voisine, derrière la pinède. En contournant la zone, pour arriver au petit port situé dans l’estuaire du Lay, commence la digue fautive. Commence l’expiation aussi. La hauteur autorise la perspective sur l’espace nu. Subsistent les voiries et l’éclairage public. Les arbres de haute tige qui devaient ornementer les jardinets appartiennent désormais au vent. Du quartier, plus de traces. On dirait tout au plus un lotissement en cours de construction.
Il faut avancer sur la digue pour voir apparaître le monstrueux tas lapidaire né du concassage des débris des habitations. Grincements des engins de chantier. Nudité et magma, un paysage de premier jour.
Mai 2008
Les pavillons serrés sont parés de mouettes en céramique. Les terrains disponibles se font rares. Oh, le beau quartier loué pour sa douceur de vivre. Si Dieu avait pu choisir, il se sera arrêté ici pour se reposer le septième jour. Les vérandas s’étendent sur les jardins face aux arbres rendus obligatoires par le règlement d’urbanisme. Si l’hiver le quartier est un peu triste, il s’anime aux beaux jours. Dommage tout de même que la digue empêche de voir le paysage.
Octobre 2010
Ici, la ville git immobile. Des barrières posées entre les murets empêchent tout accès. Les portes des habitations sont condamnées par des tôles scellées. Aucune trace de vie humaine. L’été est passé sans que les jardins ne soient taillés. Les marques à la bombe de peinture sur chaque façade semblent provenir d’un rite mystérieux. Aucune voiture non plus. Des débris jonchent par endroit la voirie sans atteindre l’impression de perfection de l’ensemble. Le sixième jour de l’achèvement.
Avril 2011
Les engins de chantier s’activent. La déconstruction est en cours. Les maisons prennent un tour spectral. Vidées, sans fenêtres ni volets, elles prennent un tour métaphysique. Les enduits ont perdu leur blancheur d’antan. Sombrant dans la mélancolie, certaines maisons ont disparu laissant apparaître leur dallage décoré par endroit de carrelage. Les premiers jours de travail.
Mars 2010
L’horizon a changé de position. Chaque maison en porte la trace boueuse à un mètre cinquante de hauteur. Ligne brune du même lavis qui recouvre les voies, les jardins et l’intérieur des constructions. La revanche de la glèbe.
Des motopompes finissent de vider les poches d’eau saumâtre. Le balai des pompiers est terminé. Toutes les maisons visitées et marquées à la recherche d’éventuelles victimes.
La fatigue et l’émotion sont intenses. On s’active à vider les intérieurs en scrutant anxieusement ce qui peut être sauvé tandis que les restes d’une vie domestique maculés de vase partiront vers la déchèterie. Des hommes en noir, prêtres d’un nouveau genre et assureurs à l’occasion, viennent constater les dégâts. Ce n’est qu’à leur signal que la cérémonie du tri pourra commencer.
Les souvenirs perdus dans la vase, les habitants quittent les lieux. Au matin du huitième jour.
Février 2010
La tempête Xynthia est une dépression météorologique majeure, en provenance des régions subtropicales, de type frontal. La conjonction de vents violents et de fortes marées donne lieu à une onde de tempête qui occasionne une importante inondation du littoral. Le septième jour à minuit.
La Faute, six ans après Xynthia
Chaque année, je retourne voir les lotissements inondés de la Faute-sur-Mer, où tout du moins ce qu'il en reste. Après le passage de la tempête Xynthia (février 2010), les lotissements submergés ont été évacué, puis les maisons détruites. Place à la lente renaturation du site où seules demeurent les voiries des lotissements.
Retour au début