Le débat sur le travail le dimanche fait rage. Le projet de loi visant à « définir les dérogations au repos dominical » a mis en avant la question de l’ouverture dominicale des commerces. Cette question intègre celle plus générale de « l’aménagement du temps ». Alors que la planification spatiale intéresse les lentes mutations qui façonnent le territoire, nous devons également être sensibles aux changements de rythme des modes de vie qui ont aussi des répercussions sur les formes urbaines.
La question de l’ouverture des commerces le dimanche rejoint deux points d’actualité. Premièrement, la loi de modernisation de l’économie a relevé sous certaines conditions le seuil d’autorisation administrative de 300 à 1000 m² pour l’implantation de nouvelles enseignes. Ensuite, la question du délicat équilibre entre les centres-villes et leur périphérie s’est actualisée avec l’apparition de formes de commerces de périphérie, les retail parks, de plus en plus élaborées. Il s’agit de centres commerciaux de nouvelle génération qui cherchent à faire preuve d’innovation architecturale et environnementale tournée vers le confort du consommateur : proposition d’un cadre de vie vert, sécurisé et attractif associé à la recherche de nouveaux services.
Équilibre territorial et urbanité commerciale
La typologie du commerce a énormément évolué. En centre-ville, le petit commerce de bouche perd du terrain et les marchés en plein air se maintiennent tant bien que mal. Alors que depuis les années soixante-dix, les centres-villes tentent de trouver des issues avec des démarches plus ou moins réussies telles que les rues piétonnes, l’emploi délicat du droit de préemption commercial n’enraye pas le lent déclin du commerce traditionnel. De nouvelles formes apparaissent sous la houlette de promoteurs anglo-saxons qui constituent dans les villes des ensembles patrimoniaux cohérents qu’ils transforment en véritables centres commerciaux à ciel ouvert.
Parallèlement, on l’a dit, les grands centres commerciaux s’urbanisent. Un modèle semble apparaître en Europe sous l’influence des États-Unis où des « paquebots urbains » rassemblent en périphérie de ville tous les éléments de la vie urbaine : on trouve là-bas dans certaines galeries commerciales des chapelles pour se marier où des crèches pour garder les enfants durant le shopping. Si en Europe le développement des périphéries s’est par le passé fait sous la pression des hard-discounters, les galeries commerciales tendent de plus en plus à se réorganiser pour offrir plus de services et d’accueil.
La notion de « périphérie » est européenne, tout autant que celle de « centre ». Voir fleurir les fameuses entrées de ville a été source d’angoisse dans la mesure où elles dégradaient la notion même de ville centralisée. Aujourd’hui, alors que le tout automobile est largement remis en question pour des raisons environnementales et économiques, un autre ajustement est possible. Certains promoteurs commerciaux commencent à organiser avec les municipalités des services de navettes entre centre-ville et parc commercial en périphérie, ou encore en utilisant leur parking comme parking relais pour accéder au centre-ville par la navette.
On sait aujourd’hui que les hypermarchés et les galeries commerciales qui les accompagnent sont vecteurs de sociabilité. On se rend en famille faire des courses dans un moment de partage entre les parents et les enfants. La société de consommation développe un univers de représentation où les aspirations personnelles s’identifient à des marques. Une forme urbaine émerge à la périphérie des villes qui n’est pas dénuée d’urbanité. Entre les centres-villes européens et leur constitution essentiellement piétonne, et la ville de l’automobile glorifiée par les années 60 et 70, une forme de synthèse semble émerger, empruntant à ces deux modèles pour en créer un nouveau. Les faux centres-villes de Las Vegas, des villes nouvelles chinoises ou de Disneyland sont après tout des preuves que le l’image du centre-ville européen « marche » encore.
L’ouverture dominicale en question
Si l’on revient à notre question centrale, à savoir l’ouverture des commerces le dimanche, on s’aperçoit que l’Europe est partagée sur la question. En Allemagne comme en Italie, la fermeture dominicale des commerces est obligatoire. En Belgique, les commerces de détail ont une autorisation jusqu’à midi. En Grande-Bretagne seuls les magasins d’une surface inférieure à 280 m² peuvent ouvrir librement alors qu’en Suède il n’existe aucune restriction. La plupart des économistes sont d’accord pour dire que la consommation n’augmentera pas, mais se déplacera d’une partie de la semaine vers le dimanche. On comprend aisément qu’une ouverture sept jours sur sept et pénalise de fait les très petites entreprises et favorise les complexes commerciaux. Les expériences déjà menées montrent que l’ouverture dominicale provoque une réelle affluence, ce qui pourrait trop rapidement laisser croire à un succès.
La crise économique actuelle fait ressurgir les vertus de la régulation. Dans un souci d’équilibrer nos territoires, nous devons impérativement penser l’aménagement du temps autant que celui de l’espace. Dans les territoires denses et foisonnants, nul doute que l’ouverture des centres commerciaux périphériques augmentera les possibilités d’activité commerciale et renforcera le caractère providentiel des métropoles. Mais qu’en est-il des territoires plus fragiles ? Dans les villes de 20 000 habitants et moins, qui composent la majeure partie du territoire, la concurrence s’annonce déloyale entre les activités dominicales traditionnelles et ce nouvel appel.
Aménager le temps
En bouleversant l’équilibre historique d’un jour commun chômé dans la semaine, on repousse une limite. Que dire ensuite des ouvertures de nuit ? L’exemple américain tend vers une ouverture sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. L’ouverture des magasins le dimanche n’est qu’une partie d’un problème plus global. Suivant l’exemple de l’Italie, certaines villes françaises ont créé des « bureaux des temps ». Il s’agit d’une réflexion capitale dans l’organisation de la vie sociale et par répercussion de l’urbanisme. La concertation commencée en France avec le Grenelle de l’environnement doit prendre en compte un sujet aussi important. Car l’ouverture des centres commerciaux le dimanche va aussi induire par exemple un accroissement de consommation d’énergies. L’aménagement du temps devrait donc être mis à l’ordre du jour du prochain Grenelle.
Au lieu de légiférer sur l’ouverture des commerces le dimanche, il serait préférable d’encourager chaque territoire à entamer une réflexion de type « bureau des temps » sur les rythmes qui le composent et le structurent. Cela nécessite un cadrage commun que l’État fournirait et de cette concertation pourrait naître à chaque fois une réponse adaptée. Il y a là un double enjeu environnemental et de politique de proximité.

Jean Richer, urbaniste
Jean-Philippe Doré, architecte
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