Europan 15 — Rochefort — Altitude 35
Le dernier rapport de l’Académie américaine des Sciences, rendu public en mai 2019, interpelle l’opinion publique et le pouvoir politique sur les incidences dramatiques d’un réchauffement supérieur à 2°C. Plus pessimiste que les conclusions du GIEC de 2014, il formule l’hypothèse d’un réchauffement de l’ordre de 5°C entrainant une élévation du niveau des mers de plus de deux mètres d’ici 2100. Sécheresse, canicules, débits des fleuves au plus bas, recrudescence d’algues vertes ; l’actualité nous enjoint à considérer avec attention les conclusion de ces recherches scientifiques. Cette mise en garde engage sur deux fronts : l’urgence d’agir pour limiter notre impact sur le réchauffement et la nécessité impérieuse de forger de nouveaux outils pour renouveler nos méthodes de projet.
Plus qu’un donneur d’alerte, le scientifique nous suggère des pistes de travail pour penser une ville productive plus circulaire. La notion de métabolisme urbain incarne ces échanges féconds entre science dure et métiers de l’urbain. Elle invite à penser en système les enjeux sociaux, environnementaux et économiques des territoires. L’escargot, la méduse et le bégonia, sollicite ce corpus des sciences naturelles pour esquisser une méthodologie d’action et répondre à la nouvelle donne climatique et écologique.
Pline l’Ancien dans son Histoire Naturelle — actualisée par Buffon dix-huit siècles plus tard — livre une grille d’analyse précieuse au regard des enjeux contemporains.
Aborder la question de la ville productive, c’est éviter deux écueils : celui d’une vision urbano-centrée et celui d’une vision anthropo-centrée.
Les artefacts manufacturés et industriels ne sauraient incarner à eux seuls la dimension productive de tout un territoire. La prise en compte des productions agricoles et énergétiques sont partie intégrante du métabolisme de l’estuaire et de la ville.
Supposer ensuite que la production relèverait exclusivement de l’activité humaine est une vision tronquée. Une partie non négligeable de la production lui est — au moins en partie — extérieure : apport de sédiments, production de gaz à effets de serre, production ou stockage du carbone par les plantes etc.
Des services réciproques entre l’homme et les milieux naturels
“L’absolu, s’il existe, n’est pas du ressort de nos connaissances ; nous ne jugeons et nous ne pouvons juger des choses que par les rapports qu’elles ont entre elles.” (Buffon)
L’approche métabolique offre une vision globale et agrégative qui traite aussi bien des hommes (dans une perspective biologique et sociale) que des milieux naturels (règne minéral, règne animal, règne végétal). Elle en étudie les interrelations et souligne les services réciproques qui se nouent entre les habitants et leur environnement. A titre d’exemple, le carbone présent dans les eaux de l’estuaire est fixé par les huitres (Crassostrea gigas) suivant le procédé de calcification. La coquille de l’huître consommée par l’homme est ensuite rejetée sous forme de déchet. Un service réciproque consisterait à valoriser le calcaire et les oligo-éléments de la coquille pour amender les sols de l’hinterland. Pour concilier développement humain et préservation des milieux, l’Histoire Naturelle nous invite à déporter le regard, à envisager l’homme dans le monde et non plus contre le monde. L’Anthropocène ou « ère de l’homme », acte de cette co-évolution des écosystèmes naturels et des sociétés.
Des échelles simultanées dans l’espace et dans le temps
« Le grand ouvrier de la Nature est le temps qui n’agit pas par sauts mais par nuances. » (Buffon)
Faire évoluer les métabolismes implique de questionner les échelles classiques de projet.
Il s’agit d’une part d’envisager simultanément l’infiniment petit et l’infiniment grand. Le traitement de toutes les échelles spatiales est une condition sine qua non à l’élaboration d’un projet urbain circulaire où chaque production engendre une modification de l’ensemble du système.
Ils s’agit d’autre part d’envisager l’impact des productions économiques et urbaines dans la durée. L’élaboration de projets-processus, échelonnés dans le temps, permet de s’adapter aux évolutions des sociétés et d’intégrer le temps long, celui des cycles du vivant ou de la montée des eaux.
L’observation et l’expérimentation comme méthode de projet
« la seule certitude, c’est que rien n’est certain » (Pline l’Ancien)
Les sciences naturelles reposent sur une méthodologie scientifique qui laisse une large part à l’observation in situ, à l’expérimentation et à l’évaluation. Cette approche patiente d’un milieu et d’un sujet où la proposition s’affine au fil du temps est un protocole opérant pour protéger le littoral habité, orienter l’évolution du trait de côte, développer des solutions alternatives aux énergies fossiles. Cette phase d’expérimentation permet également d’intégrer les habitant du territoire en amont. Le projet repose ainsi sur une succession de phases inédites : test empirique d’un dispositif à l’échelle réduite, installation d’un prototype, évaluation de son impact, abandon ou généralisation de l’expérience, éventuelle industrialisation du procédé etc.
Rochefort, une Histoire Naturelle
La ville de Rochefort a noué un lien singulier à l’histoire naturelle. Arsenal majeur, la ville fut le point de départ et de retour de nombreuses expéditions scientifiques entre les XVIIIe et le XIXe siècles. Les essences exotiques importées y étaient alors acclimatées avant d’être acheminées à Paris pour nourrir les recherches du muséum d’histoire naturelle. De Pierre Loti à Jacques Demi, Rochefort a conservé ce caractère exotique et marin.
Au-delà de ces aspects historiques, la méthode de projet par l’histoire naturelle est ici opérante.
A l’interface des écosystèmes marins et terrestres, entre les eaux salines et alcalines, ce territoire présente une grande diversité de milieux et par conséquent de ressources, d’usages, d’initiatives, et de potentiels de projet.
Le titre de cette proposition : « l’escargot, la méduse et le bégonia », incarne cette diversité de milieux et de potentiels, essentiels à l’élaboration d’un nouvel équilibre urbain et territorial. L’escargot petit gris (Helix aspersa aspersa) — ou « cagouille » pour les charentais — est le symbole des espèces de la façade Atlantique. Hantise des aoutiens, la méduse (Aurelia aurita) représente les écosystèmes aquatiques salins de l’estuaire et du littoral. Le bégonia enfin — 1 500 espèces et 12 000 hybrides — mis à l’honneur au sein du conservatoire avec l’une des plus riche collection au monde, invoque la dimension scientifique, expérimentale et exotique de cette ville ouverte sur l’océan.
1 — La résurgence de l’archipel, conséquence directe du réchauffement climatique
négocier le trait de côte entre dépoldérisation et protection des implantations humaines
La fonte des glaciers et la dilatation de l’océan entrainent une élévation du niveau de la mer et modifient progressivement la physionomie de l’estuaire et de la ville. Depuis le Moyen-Age, l’homme a dressé des digues, drainé les terres humides pour assainir et étendre les surfaces cultivables. Il s’agit à présent d’organiser un repli stratégique en redonnant à l’eau toute sa place. Plus visible, l’eau redevient un élément central de l’étendue du paysage. Elle renforce l’identité du territoire. Les espaces conquis par l’eau, dessinent une nouvelle carte territoriale, atténuent le risque de submersion marine et participent au maintien des implantations humaines sur les points hauts. Le mouvement cyclique des marées propage l’influence de l’atlantique dans l’épaisseur des marais qui évoluent au fil du temps en lagunes et offrent de nouveaux espaces de production énergétiques et alimentaires (pisciculture etc.). Toujours desservi par les infrastructures modernes, le port de Rochefort retrouve sa géographie première, son genius loci : celui d’une île ceinturée d’eau.
2 — Maillon structurant de la chaîne productive atlantique
pérennité du dynamisme économique et nouveaux territoires de l’habiter
L’arsenal hier, Stelia aujourd’hui, le moteur économique de la ville découle directement de la position géographique charnière occupée par le port. Assurer le dynamisme et l’attractivité de Rochefort demain, c’est agir simultanément sur quatre leviers :
- conforter la vocation industrielle de la ville en maintenant son intégration dans l’arc aéronautique atlantique : possibilité d’augmenter le linéaire de bord à quai, entretien du chenal de navigation, confortement de l’aéroport à vocation régionale, maintien de la desserte ferroviaire ;
- diversifier l’offre en logements en mettant l’accent sur la réhabilitation du patrimoine existant et le développement de certains sites clés à proximité de la gare ou des lagunes qui offrent un cadre de vie particulier capable de fixer les jeunes actifs ;
- développer une stratégie de mobilité axée sur les déplacements cyclables, l’utilisation des transports en commun et le covoiturage ;
- activer le potentiel de mobilité de la Charente pour le transport de l’industrie aéronautique, des déchets urbains et agricoles vers les méthaniseurs et des touristes depuis Saintes jusqu’à l’Ile d’Oléron.
3 — Un laboratoire pour la valorisation des ressources du territoire
d’un métabolisme linéaire à un métabolisme circulaire
Tirer partie des ressources propres à ce site d’estuaire c’est en premier lieu envisager une diversification des énergies pour se départir progressivement de la dépendance aux énergies fossiles importées. La houle, le vent, les marées, la salinité de l’eau et le soleil sont exploités pour délivrer une énergie renouvelable et locale. De la même manière une nouvelle organisation agricole s’esquisse par étages successifs pour tirer partie de la spécificité des sols : les algues immergées, les prés salés soumis aux inondations et les céréales sur les terres émergées. Une ceinture de miscanthus en-deça de la limite de crue centennale est organisée. Elle offre une alternative sérieuse au fuel pour la production de chauffage et agit contre l’érosion cotière. Un réseau de méthaniseurs valorise les déchets urbains et agricoles en amendement pour les sols et en énergie.
4 — Un refuge pour la biodiversité entre terre et mer
de la sanctuarisation à la co-habitation
Soumis à l’influence des marées, l’estuaire de la Charente abrite des milieux naturels diversifiés mais fragiles. Pour répondre aux nouvelles sollicitations (acidification, eutrophisation, stratification océanique), les écosystèmes doivent gagner en robustesse et en résilience. Les périmètres de protection sont démultipliés à la fois au large, sur l’embouchure, dans le lit majeur de la Charente et sur les marais pour garantir le maintien d’un référentiel complet embrassant l’ensemble des milieux. L’architecture de la trame écologique est ensuite renforcée par une attention accrue portée sur une bande de cent mètres de part et d’autre de la ligne des plus hautes eaux. Dans l’épaisseur, des actions de renaturation sont menées le long du réseau hydrographique secondaire entre mer et plateau.
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