Résumé de l’intervention
Qu’est-ce que le littoral et comment faut-il l’envisager sous les transformations du changement climatique ?
Pensons tout d’abord le trait de côte comme une limite fluctuante qui a beaucoup bougé et qui évoluera encore avec l’élévation du niveau de la mer. Pensons maintenant le littoral comme une épaisseur vécue, plus ou moins profonde selon la perception culturelle de nos pratiques. Nous obtenons à la fois un système géographique mobile et un paysage culturel mouvant. Dés lors, la culture devient un vecteur de médiation pour mieux prendre conscience des effets du changement climatique et au-delà, une opportunité pour engager une nécessaire transformation des modèles et adapter les territoires à ce nouveau paradigme.
Plan
1. Le littoral en question (introduction)
2. Phénomènes naturels, risques et effets du changement climatique
3. Éclairages internationaux (interlude)
4. Expérimentations françaises d’adaptation littorale
5. Vers une culture de l’adaptation (conclusion)
Extraits
FLUCTUATION DU TRAIT DE CÔTE
Le trait de côte évolue constamment au gré de l’érosion ou de l’accrétion mais aussi sur des temps plus long en fonction des transgressions et récessions marines. Son appréhension par la cartographie fut lente montrant par là même qu’il s’agit autant d’un fait géographique que d’une construction culturelle.
Une brève définition du trait de côte
Le trait de côte correspond à la laisse des plus hautes mers dans le cas d’une marée astronomique de coefficient 120 et dans des conditions météorologiques normales. Mais quelle est la longueur des côtes françaises à ce jour ? La nature fractale de la côte conduit à une longueur qui dépend de l’unité de mesure. L’érosion et l’élévation prévisible du niveau de mer d’ans un sens, l’accrétion (dépôt d’alluvions) et la poldérisation dans l’autre, font varier le linéaire.
La côte, du fait de son découpage, est de nature fractale suivant en cela « l’effet Richardson ». L’IGN indique que le trait de côte le long des 3 façades maritimes françaises est estimé à 5 850 km (1 948 km de côtes sableuses, 1 316 km de marais et vasières, 2 269 km de côtes rocheuses). Selon United States Defense Mapping Agency, cette longueur serait de 7 330 km. Selon l’ancienne mission interservices de la mer et du littoral, le trait de côte « lisse » mesure 3 240 km et avec « anfractuosités » 7 200 km… Nous voyons par là que le trait de côte est une abstraction géométrique.
Occupation humaine et cartographie
Longtemps, le rivage fut délaissé du fait de son insalubrité (la frange littorale étant alors essentiellement constituée de marais où proliféraient les moustiques) et de l’impossibilité de mise en culture. Pourtant, il constitua tour à tour un enjeu spirituel de lutte contre la nature hostile avec l’assèchement des marais par les ordres monastiques et un enjeu politique et militaire de défense des frontières maritimes françaises.
En 1662, Colbert demande à l’Académie des Sciences qu’il soit fait une cartographie exacte des frontières du royaume avec l’établissement d’un canevas astronomique qui aboutira à la publication en 1693 d’un atlas : le « Neptune françois ». Parallèlement, une cartographie plus fine à vocation militaire verra le jour : La Favolière va réaliser les cartes du Bas Poitou, de Saintonge et Guyenne de 1670 à 1677 tandis que Claude Masse réalisera dès 1679 des aménagements de fortifications pour l’Île de Ré, Bayonne, et Rochefort tout en menant de front des travaux cartographiques. Grâce à la première Triangulation géodésique de la France, Cassini de Thury présenta en 1744 un tracé du littoral proche de la réalité. En moins d’un siècle, le trait de côte était désormais « fixé » par la cartographie. Aujourd’hui nous avons recours à la photographie aérienne et l’observation par satellite pour le délimiter encore plus précisément et observer ses variations.
Ce faisant nous avons conceptuellement réduit un système géomorphologie et écologique complexe entre l’espace terrestre de l’espace maritime à l’épaisseur d’un trait.
Fluctuation historique
D’autre part, la position du trait de côte est mobile par nature. Le niveau de la mer était 100 m plus bas il y a 10 000 ans et a dépassé le niveau actuel voici moins de 3 000 ans. À l’époque gauloise, le rivage charentais était plus reculé pour former les golfs des Pictons et des Santons. Depuis, le retrait de la mer associé à la poldérisation et l’assèchement des marais ont permis l’anthropisation de nouvelles terres. Aujourd’hui, nous sommes confrontés au phénomène inverse d’érosion marine qui induit un recul du trait de côte. Ce recul est accentué par le risque de submersion temporaire. La tempête Xynthia (2010) ou les tempêtes de l’hiver 2013 / 2014 ne sont pas exceptionnelles en elles-mêmes puisque les études historiques montrent que 30 tempêtes du même type ont dévasté le Poitou en cinq siècles. Outre la submersion temporaire qu’elle occasionne, chaque tempête voit le trait de côte reculer en de nombreux endroits de 10 mètres ou plus. Si l’État s’est impliqué de longue date dans la stabilisation du rivage charentais (dès l’implantation du grand arsenal maritime à Rochefort en 1666), la tempête Xynthia a mis en évidence les faiblesses des ouvrages de défense actuels qu’elle a endommagés ou submergés. Or, le changement climatique risque d’accentuer l’occurrence et l’intensité de tels phénomènes.
L’enseignement de Brouage
Nous avons culturellement une image « fixiste » de la position du trait de côte comme si celui-ci était immuable. Pourtant l’histoire récente nous apporte des contradictions notables comme dans le cas de Brouage.
À partir du XIVe siècle, le commerce du sel prit une dimension internationale à Brouage et ce port devint un des plus importants d’Europe pour le sel : jusqu’à 200 bateaux venaient y mouiller. Preuve de son intérêt stratégique, le roi Henri III en fit une ville royale et la fortifia en 1578. Mais au XVIIe siècle, la baisse du niveau de la mer et de l’envasement du petit estuaire à l’embouchure duquel elle était bâtie entraîna le déclin de Brouage : l’horizon maritime s’éloigna de plusieurs kilomètres pour laisser place à une étendue de marais. L’histoire de ce port maintenant au milieu des terres démontre s’il le fallait la fluctuation du rivage.
CONSÉQUENCES DE LA « BALNÉARISATION »
L’urbanisation du rivage, avec sa focalisation sur le front de mer, a entraîné une tension très importante sur quelques mètres d’épaisseur au point de faire de la défense côtière l’unique solution face aux assauts de la mer. Il est temps de déconstruire cet imaginaire balnéaire.
L’artificialisation progressive du littoral
Dans « Le territoire du vide : l’occident et le désir du rivage » (1988), Alain Corbin explique comment la vieille Europe tournait le dos à l’océan avant de devenir halophile. À l’image de la pratique antique du thermalisme, les vertus de l’eau salée sont reprises par l’aristocratie anglaise à partir du XVIIIe siècle. Cette mode traverse la Manche et la duchesse du Barry se baigne à Dieppe en 1814 où y seront construits les premiers bains chauds avant que cette pratique ne se répande à Boulogne (1825), à La Rochelle (1826) ou encore au Tréport (1830). C’est la naissance de la station balnéaire accompagnée par le séjour d’artistes - des écrivains comme Chateaubriand et des peintres comme Eugène Isabey - qui vont radicalement changer l’appréciation du littoral par leur vision romantique. Cette invention d’un paysage pittoresque s’accompagne de la construction d’un paysage réglé parallèlement au rivage : la grève devient « plage » et derrière la promenade du bord de mer s’alignent les villas, casino, bains… Et des projets de lotissements accompagnés de vastes opérations foncières.
Déjà, en 1810 un décret impérial imposait la « fixation » des dunes dans tous les départements littoraux. La fixation des dunes d’Escoublac (La Baule) fut menée à bien vers le milieu du siècle. Ce n’est qu’avec la construction de la ligne de chemin de fer allant de Saint-Nazaire au Croisic que le potentiel touristique de La Baule apparaît définitivement. Il suffit de superposer la carte d’État-major à la carte IGN actuelle pour comprendre que la profonde interface terre mer constituée par un système dunaire et saumâtre s’est réduite à un front de mer « durcifier » par l’urbanisation balnéaire. Avant l’édification des stations balnéaires, le système lunaire faisait office dans bien des cas de digue naturelle et sa mobilité permettait d’amortir sereinement la houle. La « durcification » du rivage et l’exposition accrue des biens et des personnes aux risques naturels ont considérablement accru la vulnérabilité de ces zones littorales.
Développements modernes
L’artifialisation du littoral repose donc sur deux ressorts : l’urbanisation du rivage d’une part, mais aussi - et peut-être avant tout - sur la construction d’un imaginaire littoral. Cette représentation s’est renforcée au fil du XXe siècle avec l’essor du tourisme et le marketing publicitaire tout en réduisant considérablement la variété des éléments de paysages à quelques archétypes : les plages sous un soleil estival, la mise en scène des belles villas faisant théâtralement face à l’océan, les sentiers des douaniers devenus lieux de promenade… Cette imagerie conditionne non seulement notre regard mais aussi notre rapport de proximité au rivage.
La promotion d’un tourisme populaire a considérablement accru les pressions anthropiques sur des milieux sensibles. Dans les années 1970, un nouvel élan est par exemple donné par la MIACA (mission interministérielle) pour l’aménagement de la côte aquitaine pour capter les milliers d’estivants qui avaient tendance à migrer sur les côtes espagnoles. Les aménagements planifiés confortent ou créent des stations balnéaires avec de nombreux programmes d’aménagement… Lacanau est exemplaire de ces stations aquitaines où l’érosion est trop forte : en 2040, la totalité du front de mer devrait être gagné par le recul du trait de côte. La commune expérimente actuellement une relocalisation dans le cadre de l’appel à projets national. Deux scénarios impossibles sont pour l’instant affichés : un immense enrochement à l’emplacement de l’actuel pour tenir face à l’océan ou au contraire une délocalisation des immeubles collectifs du front de mer pour reconstituer la dune d’ici 2040.
Se défendre contre la mer
Mais le questionnement de Lacanau ne reflète pas une démarche habituelle en matière de gestion du Trait de côte. La doctrine de lutte contre les risques littoraux reste majoritairement celle de la défense, art constructif pour s’opposer à l’érosion et à la submersion des côtes d’une altimétrie basse, meubles ou friables. La doctrine préconise des ouvrages lourds tels les épis, enrochements, brise-lames ou encore des digues et autres levées… De multiples ouvrages qui participent à la fabrication d’un bouclier contre la mer et la constitution d’un paysage défensif bien loin de l’idéal romantique.
Cette doctrine est initialement vertueuse en mettant successivement en avant trois principes : éviter le risque, résister pour retarder voire empêcher la pénétration de l’eau, céder en acceptant que l’eau pénètre, en mettant en place des mesures visant à réduire les dommages et le temps de retour à la normale. Dans les faits, c’est l’option de la résistance qui est quasiment toujours retenue. Or, une notion couramment utilisée en économie, l’aléa moral (ou moral hazard), désigne un effet pervers qui veut qu’un acteur, isolé d’un risque, se comporte différemment que s’il était exposé au risque. Le concept appliqué au cas d’espèce veut que l’entretien et la réalisation de nouvelles digues aient pour effet de laisser croire à une poursuite possible de l’urbanisation littorale.
Une nouvelle stratégie de gestion du littoral émerge consistant à vivre avec les aléas météo-marins pour mieux s’en protéger. Elle incite à repenser un système géographique hautement dynamique où interagissent rivage, littoral et rétro littoral.
un patrimoine
Qu’est-ce que le littoral et comment faut-il l’envisager sous les transformations du changement climatiques ? Pensons tout d’abord le trait de côte comme une limite fluctuante qui a beaucoup bougé et qui évoluera encore avec l’élévation du niveau de la mer. Pensons maintenant le littoral comme une épaisseur vécue, plus ou moins profonde selon la perception culturelle de nos pratiques. Nous obtenons à la fois un système géographique mobile et un paysage culturel mouvant. Dès lors, la culture devient une médiation pour mieux comprendre les effets du changement climatique et au-delà engager une adaptation territoriale.
L’adaptation aux effets du changement climatique est traitée actuellement de manière technique et considérée essentiellement selon la résistance aux risques (endiguement, dispositifs de mitigation…) Parallèlement, de nouvelles approches environnementalistes s’appliquent de manière très pertinente aux projets d’aménagement en important une ingénierie scientifique et écologique. Quelle place reste-t-il alors dans les projets pour une vision plus englobante qualifiée de culturelle ? Allant d’une vision picturaliste à l’idéal du jardin planétaire, cette approche très transversale souffre aujourd’hui d’un procès en légitimité. Pourtant, si la culture est considérée comme le quatrième pilier du développement durable, l’anticipation de l’évolution des risques à venir possède de fait une composante culturelle. Les effets des évolutions du climat auront des impacts notoires sur les paysages du fait des transitions urbaine, économique, agricole et naturelle. En réponse, une telle approche pourrait aider à concevoir l’avenir des territoires vulnérables en passant de l’adaptation technique (où chaque réponse technique correspond à un enjeu isolé) à l’invention par le projet d’une pensée intégratrice engageant un nouveau type de développement urbain résiliant.
L’adaptation aux effets du changement climatique est traitée actuellement de manière technique et considérée essentiellement selon la résistance aux risques (endiguement, dispositifs de mitigation…) Parallèlement, de nouvelles approches environnementalistes s’appliquent de manière très pertinente aux projets d’aménagement en important une ingénierie scientifique et écologique. Quelle place reste-t-il alors dans les projets pour une vision plus englobante qualifiée de culturelle ? Allant d’une vision picturaliste à l’idéal du jardin planétaire, cette approche très transversale souffre aujourd’hui d’un procès en légitimité. Pourtant, si la culture est considérée comme le quatrième pilier du développement durable, l’anticipation de l’évolution des risques à venir possède de fait une composante culturelle. Les effets des évolutions du climat auront des impacts notoires sur les paysages du fait des transitions urbaine, économique, agricole et naturelle. En réponse, une telle approche pourrait aider à concevoir l’avenir des territoires vulnérables en passant de l’adaptation technique (où chaque réponse technique correspond à un enjeu isolé) à l’invention par le projet d’une pensée intégratrice engageant un nouveau type de développement urbain résiliant.
Les paysages littoraux français
Le littoral français se compose pour sa partie naturelle de falaises, de dunes et de landes côtières, de plages, de forêts et zones boisées côtières, d’estuaires, de marais… Mais à bien y regarder, il est surtout caractérisé par des zones urbaines résidentielles, artisanales et portuaires, ainsi qu’un réseau routier dense. Les sols cultivés y sont fragmentés et insérés dans des territoires urbanisés. Pourtant nous avons une représentation idyllique - à une forte connotation balnéaire - de ces paysages littoraux. Cette représentation s’est construite au fil du 20e siècle avec l’essor du tourisme et le marketing publicitaire tout en réduisant considérablement la grande variété des éléments de paysages à quelques archétypes : les plages sous un soleil estival, les falaises normandes vues depuis les sentiers de promenade… Dans cette imagerie, nous faisons immanquablement face à la mer, face à un avant-pays maritime, tournant ostensiblement le dos au rétro-littoral. Elle conditionne non seulement notre regard mais aussi le rapport de proximité que nous entretenons avec le rivage. L’application de la loi littoral (1985) a permis une meilleure prise en compte des paysages littoraux en offrant un cadre réglementaire aux débats locaux sur la densité urbaine admissible, la préservation des espaces remarquables et des coupures d’urbanisation. Sans faire mention à proprement parlé de paysages littoraux culturels, elle contribue à dépasser une appréciation du littorale réduite à la bande en front de mer portant « les vues sur la mer » pour l’étendre à l'ensemble du territoire communal, réintroduisant une plus grande variété de paysages dans les questionnements d’aménagement de l’espace. Le littoral est d’autre part un espace de conflit entre différentes pratiques qui contribuent à la construction des paysages culturels (allant par exemple de la décontraction insouciante du surf aux emprises conchylicoles). En réponse, la gestion intégrée des zones côtières est un processus qui a pour objectif de réunir autour d’un même projet des acteurs aux intérêts souvent divergents et qui se traduit réglementairement par un schéma de mise en valeur de la mer (SMVM). Seuls 4 SMVM sont approuvés en métropole - étang de Thau, bassin d’Arcachon, Trégor Goëlo (Côtes d’Armor), golfe du Morbihan - et 2 SCoT sont en cours d’intégration d’un chapitre individualisé valant SMVM : c’est dire la difficulté de mettre d’accord des acteurs pour aboutir à un projet commun. Cette incapacité laisse place à une diversité des représentations culturelles du littoral.
Des patrimoines maritimes
Notre littoral, zone de contact entre la mer et la terre, constitue une très riche histoire maritime, dont découle un patrimoine spécifique lié à toutes ces activités le long de la frange littorale. À l’échelle de la France métropolitaine, un rapide recensement (2007) fait apparaître 90 phares inscrits ou classés au titre des monuments historiques, 200 grands sites et maisons phares, un Musée national de la marine et 13 musées satellites, 723 navires labellisés « bateau d’intérêt patrimonial » et1 000 épaves d’intérêt.
L’expression « patrimoine culturel littoral » est une notion largement adoptée et rependue depuis la « loi littoral » en 1986. Le patrimoine culturel littoral se compose de nombreux éléments à caractère maritime tels que les phares, les fortifications, les quais, les architectures balnéaires ou encore les ex-voto et les épaves de bateaux. Il s’agit essentiellement de patrimoines maritime, balnéaire (lié au tourisme et aux loisirs), militaire et industriel.
Le patrimoine maritime
Le patrimoine maritime concerne les éléments matériels ou immatériels liés aux activités humaines développées autour de la mer : ports, bateaux, pêcheries, chapelles, ex-voto, maisons d’armateurs, phares, sémaphores, habitats de pêcheur, musées maritimes et de la pêche… Cette liste n’est pas exhaustive mais marque la pluralité de cette catégorie.
Les phares sont un élément emblématique du littoral français. Au début du 19e siècle, une politique nationale de signalisation des côtes françaises est lancée, afin de faciliter la navigation. Au début du 20e siècle, toutes les côtes ont été munies de phares. Si ces derniers ont subit des dégâts et des destructions lors de la seconde guerre mondiale, ils ont été reconstruits dans les années 1950. Aujourd’hui, l’aide à la navigation s’est modernisée par de nouveaux systèmes, laissant les phares, dans notre paysage, démunis de leur utilité. Néanmoins, ils sont devenus un élément essentiel et caractéristique de notre patrimoine littoral. Un inventaire a été réalisé entre avril 2001 et mai 2002 sur le littoral français. Il a donné lieu à leur mise en valeur, et la protection de certains au titre de Monuments historiques.
Les navires font également partie du patrimoine maritime de façon évidente. Ils peuvent faire l’objet de trois protections différentes : au titre des Monuments historiques, au titre de bateau d’intérêt patrimonial ayant reçus le label PMF ou comme bateau de conception ancienne (avant 1950). Les épaves constituent également un patrimoine considérable, notamment en termes d’archéologie. Ce sont 5200 épaves ou objets qui avaient été retrouvés en 2007, dont 1000 épaves. L’archéologie sous-marine permet aussi de mettre à jour des ports, des mouillages, ou des pêcheries. Elle apporte une connaissance sur l’architecture navale, les méthodes de construction, les échanges commerciaux, le contenu des chargements…
Ce patrimoine maritime est mis en valeur, à travers notamment les musées maritimes, que l’on peut retrouver sur l’ensemble de notre territoire. Ces structures permettent un renouveau dans la recherche. Les collections de ces musées sont très diverses, et adaptées à la région d’implantation. Elles peuvent regrouper aussi bien des bateaux anciens, des maquettes, des vestiges de chargement, que du matériel de navigation ou des plans, cartes, photographies…
Enfin, les croyances anciennes et coutumes locales ont amené à la construction de nombreuses chapelles et ex-voto marins le long des côtes.
Le patrimoine balnéaire, lié au tourisme et aux loisirs
Le tourisme balnéaire atteint la France à la fin du 18e siècle, alors qu’il est déjà pratiqué outre-manche.Les stations balnéaires sont souvent formées d’une large promenade, avec à l’arrière des espaces gazonnés ou des jardins publics. Dans ces espaces verts on peut retrouver les fameux établissements de bains. Des activités de loisirs complètent le caractère oisif des lieux avec les théâtres, casinos et autres espaces de musique. Enfin, en arrière du front de mer se trouvent des villas et hôtels. Ces constructions datant du 19e et début 20e siècle, arborent les modes architecturales de l’époque : néo-classique, art nouveau, art déco...
Le patrimoine balnéaire est étudié dans le cadre d’une thématique nationale lancée par différents acteurs, dont les services de l’inventaire. Un programme du CNRS, UMR 22 sur l’architecture de la villégiature est lancé en 1989. Dans le cadre de l’architecture des bords de mer, des études topographiques ont été menées sur 237 communes littorales, de Malo-les-Bains à Monte-Carlo. Ce travail a notamment abouti à un « ouvrage-bilan » édité aux Éditions du Patrimoine, « Architecture et urbanisme, villégiature des bords de mer », en 2010.
Le patrimoine militaire
La mer est souvent synonyme de frontière, c’est pourquoi les côtes ont dues régulièrement être fortifiées et protégées. Les ouvrages de défense côtiers constituent un pan du patrimoine culturel littoral. Ils rassemblent les forts, redoutes, batterie d’artillerie, tours, blockhaus. Les exemples sont nombreux sur les côtes françaises allant de la période médiévale, à des époques plus modernes, où l’essor des fortifications et des installations militaires s’est fait sous la tutelle de Vauban, à la fin du 17e siècle. Enfin, des installations plus contemporaines comme les blockhaus et le bunker. Les études les plus abouties sur les fortifications, ont été réalisées en Charente-Maritime et en Bretagne avec par exemple, un inventaire des fortifications du Finistère réalisée entre 2002 et 2006.
Au même titre que les musées maritimes, les musées militaires mettent en valeur cette histoire et ce patrimoine.
Au même titre que les musées maritimes, les musées militaires mettent en valeur cette histoire et ce patrimoine.
Le patrimoine industriel
La proximité de la mer, et les nombreuses activités qui y sont liées, amènent plusieurs industries à s’installer sur la façade Manche Est-Mer du nord. L’intérieur des terres étant l’un des plus de grands viviers de production industrielles, des ports vont se développer afin d’accueillir la matière première, prête à être manufacturée. Les installations portuaires (docks, hangars, cales, entrepôts, grues…) font partie de ce patrimoine littoral lié à l’industrie. Les ports des grandes villes comme Dunkerque, Le Havre, Cherbourg ou Rouen (en lien direct par la Seine) sont à regarder comme tel. Les manufactures même vont parfois être installées dans les villes portuaires, ainsi on trouve des manufactures de tabac, à Dieppe ou au Havre par exemple. Enfin la Navigation amène les chantiers navals à être de plus en plus performants et productifs. Ils sont parfois installés plus en retrait dans les terres, ou comme à Dunkerque dans la ville littorale même.
Les paysages culturels
Les paysages et leurs représentations culturelles ont un rôle considérable sur l’organisation de l’espace et les dynamiques territoriales. Face aux effets prévisibles du changement climatique, il est indispensable d’envisager un nouveau type de développement pour les territoires vulnérables du littoral métropolitain. Il engage à une nouvelle relation au rivage ainsi qu’une solidarité renouvelée entre le littoral et son arrière-pays. De par sa double dimension culturelle et temporelle, le paysage peut alors devenir une ressource pour porter des transitions - touristique, naturelle, agricole et urbaines - dans une relation circulaire liant les conséquences des effets du changement climatique aux efforts d’adaptation et aux représentations qui en découlent.
La prise en compte de la valeur culturelle des paysages recouvre plusieurs dimensions en France, depuis les représentations picturales du 17e siècle aux politiques des sites inscrits et classés au (19 - 20e siècle) et plus récemment par les opérations grand site de France. D’une vision pittoresque à l’idéal de la nature comme bien commun, la représentation culturelle que nous avons des paysages - perception par les populations et construction de représentations collectives des sites - souffre aujourd’hui d’une remise en question par les approches environnementalistes d’une part et par la banalisation des paysages du quotidien d’autre part. Pourtant la a prise en compte de la valeur culturelle des paysagespourrait être la source d’un renouveau du paysage dans les prochaines décennies. Aux mutations urbaines et agricoles qui ont eu cours depuis les trente glorieuses pourraient rapidement succéder des transformations dues au changement climatique. D’après les prévisions scientifiques, l’environnement subira des atteintes directes et les paysages subiront des évolutions dans les prochaines décennies. Il est prévisible que le rapport des populations à ces derniers change. Mobilisant la notion de paysage comme relation intime d’une société à un territoire, nous postulons un retournement de point de vue : le paysage peut devenir une ressource pour percevoir les évolutions qui adviendront et être porteur d’actions d’adaptation des territoires aux effets du changement climatique.
Parmi les paysages français métropolitains, les paysages littoraux possèdent une sensibilité accrue aux impacts du changement climatique par l’évolution de la relation terre-mer, l’urbanisation balnéaire, la présence de milieux naturels fragiles et fortement pratiqués ainsi que d’une superposition d’usages (et donc de représentations). Le choix a ici été fait d’exposer les effets littoraux du changement climatique avant de tenter une définition des paysages culturels (par une approche institutionnelle). Dans un second temps, nous examinerons comment un paysage culturel peut être porteur d’un projet d’adaptation et ce qu’il faut attendre de sa médiation.
I.1. Les effets du changement climatique sur le littoral métropolitain français
Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) a diffusé en 2014 son 5e rapport : en fonction du scénario d'émissions contrôlées (RCP2) ou d'émissions fortes (RCP 8.5), le changement climatique n’aura pas les mêmes effets en matières de températures et de précipitations. Depuis un demi-siècle, le réchauffement observé est net, d'environ 0,7°C, dû à la variabilité naturelle mais surtout aux facteurs anthropiques directs. Dès 2030, une hausse des températures moyennes se fera nettement sentir et cette tendance s’amplifierait puisque nous pourrions observer en 2100 une hausse moyenne de 2°C et estivale de l’ordre de 5,5° C (dans le scénario le plus pessimiste et à certains endroits) s’accompagnant d’une hausse significative du nombre de jours de canicules et d’une généralisation des périodes de sècheresse (fig. 1 : évolution des températures entre 2000 et 2050). L’élévation moyenne des températures (air et eau) devraient entrainer la précocité des événements printaniers et le déplacement des habitats terrestres des plantes et des animaux ainsi que le déplacement des algues, du plancton et des poissons. Elle entrainera aussi des risques d’incendies de forêt plus importants. L’accroissement des épisodes de fortes précipitations pourrait entrainer des inondations, des glissements de terrain et avoir un impact sur la productivité des cultures. Ces effets auront des impacts notoires et directs sur la flore et donc les paysages tels que nous les connaissons aujourd’hui. Les effets positifs du changement climatique sont très peu abordés dans la littérature scientifique ou technique. Le CDEDD (2011) laisse entendre un étalement de la saison touristique estivale du à la clémence des températures au printemps et à l’automne (impact favorable sur l’économie).
L’élévation régulière du niveau de la mer est constante depuis le début du 20e siècle et s’accélère depuis trente ans sans pour autant que cette élévation soit géographiquement uniforme (CGEDD, 2011). La montée de son niveau moyen combinée à la modification du régime des tempêtes aura pour effet une accélération du recul de certaines parties du littoral, des submersions temporaires plus fréquentes, une fragilisation des cordons dunaires, la réduction des plages voire la disparition de plages de poche. L’augmentation du niveau de la mer rendra nécessaire le renforcement en hauteur et en solidité des ouvrages de protection maritime au risque de la perte de terres côtières. Enfin, l’augmentation des intrusions salines dans les aquifères côtiers entrainera le développement de nouvelles lagunes et l’appauvrissement des sols agricoles côtiers. La diminution des eaux douces souterraines pour les différents usages (urbain, touristique et agricoles) nécessitera le recours à des techniques de stockage temporaire de l’eau (fig. 2 : réserve de substitution en eau). La modification par envasement ou eutrophisation des marais salants aura des conséquences sur les activités humaines, notamment sur la conchyliculture. Les effets du changement climatique conduiront nécessairement à des évolutions des paysages littoraux qu’il est difficile de prévoir aujourd’hui. Vue l’incertitude de l’intensité de ces effets au regard des différents scénarios du GIEC, leurs conséquences sur les paysages sont encore plus incertaines. D’autre part, la description analytique des effets du changement climatique donne une vision incomplète de la situation à venir car leur combinaison produira des effets croisés restructurant les paysages selon les contextes locaux et selon des rythmes superposés.
Il convient de remarquer que l’avènement des effets du changement climatique obéit à des temporalités et des rythmes variés. L’augmentation des températures moyennes engage une transformation continue tandis que le recul du trait de côte s’opère déjà par saccades irrégulières sous l’assaut des tempêtes hivernales. La position du trait de côte est mobile par nature. Le niveau de la mer était 100 m plus bas il y a 10 000 ans et a dépassé le niveau actuel voici moins de 3 000 ans. Si nous prenons le cas de la Charente-Maritime, le rivage était plus reculé l’époque gauloise pour former les golfs des Pictons et des Santons. Depuis, le retrait de la mer associé à la poldérisation et l’assèchement des marais ont permis l’anthropisation de nouvelles terres. Aujourd'hui, nous sommes confrontés au phénomène inverse d’érosion marine accentué par le risque de submersion temporaire (fig. 3 : érosion et submersion métropolitaines). Si l’État s’est impliqué de longue date dans la stabilisation du rivage charentais (dès l'implantation du grand arsenal maritime à Rochefort en 1666), la tempête Xynthia a mis en évidence les faiblesses des ouvrages de défense actuels qu’elle a endommagés ou submergés. Or, le changement climatique risque d’accentuer l’occurrence et l’intensité de tels phénomènes. Au sein de ce mouvement lent, les cordons dunaires et les forêts littorales possèdent leur propre rythme d’évolution et l’ensemble forme des paysages littoraux dynamiques dont les variations nous sont plus ou moins perceptibles. Il faut s’attendre dans les prochaines décennies à des évolutions majeures du littoral avec le déplacement du trait de côte, la modification importante des milieux et des habitats (modification des aires de réparation de la faune et de la flore), la réduction possible de certains paysages pittoresques comme les marais littoraux et l’apparition de nouveaux paysages lagunaires par exemple. Se croisent deux phénomènes que sont le rythme des changements et la perception que nous en avons ; l’évolution dans le temps des milieux s’adaptant au climat est une chose mais notre perception des paysages en est une autre. Puisque ce qui fait paysage pour nous n’est qu’une vision sélective du monde, nous pouvons poser la question de notre perception des évolutions lentes du littoral d’autant que la plupart d’entre-nous ne le fréquente que ponctuellement.
Le rivage fait aujourd’hui l’objet d’une surveillance accrue dans le cadre de la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte (MEDDE, 2012) et de différents plans de gestion intégrée. Pourtant, ces actions ne convoquent que très rarement une approche culturelle de ce paysage spécifique en dehors d’une attention portée sur le patrimoine bâti maritime (phares et forts maritimes en premier lieu). Dominé par une imagerie picturaliste (les rivages des peintres du 19e siècle, fig. 4 : « La Plage de Granville »), le trait de côte apparait comme immuable alors même que les défenses maritimes - digues et autres - sont encore absentes des représentations contemporaines. L’absence de marqueurs paysagers d’une évolution du rivage rend encore peu lisible l’évolution de ce milieu. Or comme nous l’avons précédemment avancé, les effets du changement climatique vont avoir des conséquences notables sur les paysages littoraux qui, pour être perceptibles, vont nécessiter une éducation du regard.
L’élévation régulière du niveau de la mer est constante depuis le début du 20e siècle et s’accélère depuis trente ans sans pour autant que cette élévation soit géographiquement uniforme (CGEDD, 2011). La montée de son niveau moyen combinée à la modification du régime des tempêtes aura pour effet une accélération du recul de certaines parties du littoral, des submersions temporaires plus fréquentes, une fragilisation des cordons dunaires, la réduction des plages voire la disparition de plages de poche. L’augmentation du niveau de la mer rendra nécessaire le renforcement en hauteur et en solidité des ouvrages de protection maritime au risque de la perte de terres côtières. Enfin, l’augmentation des intrusions salines dans les aquifères côtiers entrainera le développement de nouvelles lagunes et l’appauvrissement des sols agricoles côtiers. La diminution des eaux douces souterraines pour les différents usages (urbain, touristique et agricoles) nécessitera le recours à des techniques de stockage temporaire de l’eau (fig. 2 : réserve de substitution en eau). La modification par envasement ou eutrophisation des marais salants aura des conséquences sur les activités humaines, notamment sur la conchyliculture. Les effets du changement climatique conduiront nécessairement à des évolutions des paysages littoraux qu’il est difficile de prévoir aujourd’hui. Vue l’incertitude de l’intensité de ces effets au regard des différents scénarios du GIEC, leurs conséquences sur les paysages sont encore plus incertaines. D’autre part, la description analytique des effets du changement climatique donne une vision incomplète de la situation à venir car leur combinaison produira des effets croisés restructurant les paysages selon les contextes locaux et selon des rythmes superposés.
Il convient de remarquer que l’avènement des effets du changement climatique obéit à des temporalités et des rythmes variés. L’augmentation des températures moyennes engage une transformation continue tandis que le recul du trait de côte s’opère déjà par saccades irrégulières sous l’assaut des tempêtes hivernales. La position du trait de côte est mobile par nature. Le niveau de la mer était 100 m plus bas il y a 10 000 ans et a dépassé le niveau actuel voici moins de 3 000 ans. Si nous prenons le cas de la Charente-Maritime, le rivage était plus reculé l’époque gauloise pour former les golfs des Pictons et des Santons. Depuis, le retrait de la mer associé à la poldérisation et l’assèchement des marais ont permis l’anthropisation de nouvelles terres. Aujourd'hui, nous sommes confrontés au phénomène inverse d’érosion marine accentué par le risque de submersion temporaire (fig. 3 : érosion et submersion métropolitaines). Si l’État s’est impliqué de longue date dans la stabilisation du rivage charentais (dès l'implantation du grand arsenal maritime à Rochefort en 1666), la tempête Xynthia a mis en évidence les faiblesses des ouvrages de défense actuels qu’elle a endommagés ou submergés. Or, le changement climatique risque d’accentuer l’occurrence et l’intensité de tels phénomènes. Au sein de ce mouvement lent, les cordons dunaires et les forêts littorales possèdent leur propre rythme d’évolution et l’ensemble forme des paysages littoraux dynamiques dont les variations nous sont plus ou moins perceptibles. Il faut s’attendre dans les prochaines décennies à des évolutions majeures du littoral avec le déplacement du trait de côte, la modification importante des milieux et des habitats (modification des aires de réparation de la faune et de la flore), la réduction possible de certains paysages pittoresques comme les marais littoraux et l’apparition de nouveaux paysages lagunaires par exemple. Se croisent deux phénomènes que sont le rythme des changements et la perception que nous en avons ; l’évolution dans le temps des milieux s’adaptant au climat est une chose mais notre perception des paysages en est une autre. Puisque ce qui fait paysage pour nous n’est qu’une vision sélective du monde, nous pouvons poser la question de notre perception des évolutions lentes du littoral d’autant que la plupart d’entre-nous ne le fréquente que ponctuellement.
Le rivage fait aujourd’hui l’objet d’une surveillance accrue dans le cadre de la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte (MEDDE, 2012) et de différents plans de gestion intégrée. Pourtant, ces actions ne convoquent que très rarement une approche culturelle de ce paysage spécifique en dehors d’une attention portée sur le patrimoine bâti maritime (phares et forts maritimes en premier lieu). Dominé par une imagerie picturaliste (les rivages des peintres du 19e siècle, fig. 4 : « La Plage de Granville »), le trait de côte apparait comme immuable alors même que les défenses maritimes - digues et autres - sont encore absentes des représentations contemporaines. L’absence de marqueurs paysagers d’une évolution du rivage rend encore peu lisible l’évolution de ce milieu. Or comme nous l’avons précédemment avancé, les effets du changement climatique vont avoir des conséquences notables sur les paysages littoraux qui, pour être perceptibles, vont nécessiter une éducation du regard.
I.2. Les paysages culturels littoraux
L’UNESCO a donné une définition précise des paysages culturels : ceux-ci présentent les « oeuvres conjuguées de l'être humain et de la nature, ils expriment une longue et intime relation des peuples avec leur environnement. » La Convention du patrimoine mondial (1992) fut le premier instrument juridique international à reconnaître et à protéger les paysages culturels qui illustrent l'évolution de la société sous l'influence de leur environnement naturel. Ces paysages culturels se divisent en trois catégories majeures (UNESCO, 2014) : le paysage clairement défini et créé intentionnellement par l’homme (ce qui comprend les paysages de jardins et de parcs créés pour des raisons esthétiques), le paysage évolutif résultant d'une exigence à l'origine sociale, économique, administrative et/ou religieuse (paysage relique dont les caractéristiques passées restent matériellement visibles ou paysage vivant qui conserve un rôle social actif), et enfin le paysage culturel associatif (association des phénomènes religieux, artistiques ou culturels à l'élément naturel sans traces matérielles tangibles). Bien que ces définitions s’appliquent à des sites très spécifiques relevant d’un intérêt international, elles sont éclairantes sur les différentes interactions possibles entre une société et son environnement pour former un paysage culturel ordinaire. Les gradations allant de l’association à l’intervention et de la conservation à l’évolution continue peuvent nous permettre de penser plus finement nos relations avec les paysages culturels. La définition du paysage culturel qui sera retenue ici tient de ces trois strates : celle de la perception par les populations et d’une dynamique des territoires. Dans un pays fortement anthropisé comme le notre, tout est paysage culturel car perçu et modifié de longue date. Le paysage est alors assumé comme un ensemble de signes qui sont autant de reflets incomplets et déformés de signifiés naturels. Le paysage devient même patrimonial dès lors que la société lui attribue une valeur mémorielle, historique ou esthétique particulière.
Le paysage est conditionné au regard. Cette sensibilité aux territoires perçus a suscité en France des lois de protection du paysage dès le début du 20e siècle. En 1906, les deux lois Bauquier organisent la protection des sites, monuments naturels de caractère artistique et des paysage : « propriétés foncières dont la conservation peut avoir, au point de vue artistique ou pittoresque, un intérêt général […] ». Le paysage y assume son obédience visuelle, à valeur patrimoniale prononcée, qu’il faut le protéger. En 1930 sera votée une nouvelle loi ayant pour objet de réorganiser la protection des monuments naturels et des sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque qui consolide la politique française des sites (7 900 sites sont protégés à ce jour). Après la loi dite « paysages » de 1993, la loi d’engagement national pour l’environnement de 2010 introduit les trames vertes et bleues : « ces trames contribuent à … améliorer la qualité et la diversité des paysages. » Cette rapide mise en perspective législative sur un siècle voit l’émergence d’une approche visuelle associé au bien commun qu’il serait nécessaire de protéger.
Si nous examinons maintenant la directive européenne « Habitats » (1992) concernant la conservation des habitats naturels (faune et flore sauvages), elle intègre la gestion des éléments du paysage, comme le 6e programme d'action pour l'environnement (2002) qui insiste sur la conservation et l'amélioration des paysages pour la qualité de la vie et le fonctionnement des systèmes naturels. La Convention européenne du paysage dite « de Florence » (Conseil de l’Europe, 2000) porte sur les espaces naturels, ruraux, urbains et périurbains et développa une approche dynamique allant de la protection à l’aménagement. Nous observons une complémentarité d’approche entre le droit français orienté sur la nature visuelle du paysage et les démarches européenne qui font du paysage un élément constitutif de l’environnement dont il ne peut être détaché. Dans son article 1e, la convention apporte la définition suivante du paysage : « désigne une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations. » Ici, le paysage se définit de façon globale et « il n’est pas limité à des éléments culturels, artificiels ou naturels : le paysage forme un tout, dans lequel les éléments constitutifs sont considérés simultanément dans leurs interrelations. »
Le littoral français se compose pour sa partie naturelle de falaises, de dunes et de landes côtières, de plages, de forêts et zones boisées côtières, d’estuaires, de marais… Mais à bien y regarder, il est surtout caractérisé par des zones urbaines résidentielles, artisanales et portuaires, ainsi qu’un réseau routier dense. Les sols cultivés y sont fragmentés et insérés dans des territoires urbanisés. Pourtant nous avons une représentation idyllique - à une forte connotation balnéaire - de ces paysages littoraux. Cette représentation s’est construite au fil du 20e siècle avec l’essor du tourisme et le marketing publicitaire tout en réduisant considérablement la grande variété des éléments de paysages à quelques archétypes : les plages sous un soleil estival, les falaises normandes vues depuis les sentiers de promenade… Dans cette imagerie, nous faisons immanquablement face à la mer, face à un avant-pays maritime, tournant ostensiblement le dos au rétro-littoral. Elle conditionne non seulement notre regard mais aussi le rapport de proximité que nous entretenons avec le rivage. L’application de la loi littoral (1985) a permis une meilleure prise en compte des paysages littoraux en offrant un cadre réglementaire aux débats locaux sur la densité urbaine admissible, la préservation des espaces remarquables et des coupures d’urbanisation. Sans faire mention à proprement parlé de paysages littoraux culturels, elle contribue à dépasser une appréciation du littorale réduite à la bande en front de mer portant « les vues sur la mer » pour l’étendre à l'ensemble du territoire communal, réintroduisant une plus grande variété de paysages dans les questionnements d’aménagement de l’espace. Le littoral est d’autre part un espace de conflit entre différentes pratiques qui contribuent à la construction des paysages culturels (allant par exemple de la décontraction insouciante du surf aux emprises conchylicoles). En réponse, la gestion intégrée des zones côtières est un processus qui a pour objectif de réunir autour d’un même projet des acteurs aux intérêts souvent divergents et qui se traduit réglementairement par un schéma de mise en valeur de la mer (SMVM). Seuls 4 SMVM sont approuvés en métropole - étang de Thau, bassin d’Arcachon, Trégor Goëlo (Côtes d’Armor), golfe du Morbihan - et 2 SCoT sont en cours d’intégration d’un chapitre individualisé valant SMVM : c’est dire la difficulté de mettre d’accord des acteurs pour aboutir à un projet commun. Cette incapacité laisse place à une diversité des représentations culturelles du littoral.
Il convient de rappeler que le littoral français se caractérise par la coexistence de deux types d'organisation de l'espace : une étroite bande côtière fortement urbanisée et un arrière-pays jusqu'à présent marqué par des activités rurales, plus ou moins déconnecté des flux touristiques. Sont rétro-littoraux les espaces polarisés par l’activité touristique balnéaire. Ils sont clairement reconnaissables par leur esthétique générique qui va des ronds-points aux décors nautiques (fig. 5 : Saint-Georges-de-Didonne) à la présence d’activités spécifiques tels que les campings en passant par la densité de résidences secondaires. L’arrière-pays - ou hinterland - peut se définir comme partie de territoire ayant un lieu d’interdépendance avec le littoral. La mythologie romantique d’être « face à la mer », renforcée depuis les trente glorieuses par l’urbanisation littorale et sa sur-spécialisation touristique, déstructure considérablement les relations entre littoral et arrière-pays. La relation historique entre des ports puissants et leur hinterland nourricier, a laissé place au 20e siècle à une opposition qui possède des variations régionales (la côte méditerranéenne a poussé l’influence touristique en profondeur des terres mais avec une forte ségrégation sociale tandis que la côté atlantique conserve un arrière-pays souvent à dominante agricole). Or, force est de constater, qu’hormis quelques sites comme la Provence ou le Marais poitevin, l’arrière-pays n’est pas perçu (en dehors de ceux qui l’habitent) et fait l’objet de représentations culturelles affaiblies. En l’absence de villages pittoresques porteur de gentrification, les arrière-pays servent aujourd’hui essentiellement à la relégation des populations travaillant sur le littoral mais n’ayant pas les moyens de s’y loger. D’autre part, l’agriculture contemporaine a considérablement amoindri la qualité des paysages d’arrière-pays par la suppression des éléments paysagers tels que les haies tandis que l’urbanisation périurbaine faisait disparaitre les limites traditionnelles entre les villages et la campagne. Les éléments qui composent les paysages d’arrière-pays (spécifiquement pour les littoraux atlantiques et du nord) ont donc été souvent détériorés. Pour prendre un exemple, les chevelus hydrographique en relation avec les marais littoraux ont pu être dégradé (suppression de la végétation d’accompagnement pour faciliter le curage de fossés, busage…) au point de réduire considérablement la visibilité de ces éléments de paysage. Ces cours d’eau et ruisseaux sont trop souvent malmenés par l’agriculture et l’urbanisation pour finalement être niés dans les paysages quand bien même ils sont structurants et ont considérablement influencé l’organisation urbaine et agricole au point de faire de l’eau douce (et saumâtre) un élément fédérateur de bien des paysages rétro-littoraux et d’arrière-pays.
Pour reprendre la terminologie de l’UNESCO, remarquons que le caractère « clairement défini et créé intentionnellement » des paysages littoraux s’affirme avec l’urbanisme balnéaire (telle les promenades de front de mer) , leur caractère dit « évolutif » s’affirme quant à lui avec un patrimoine maritime et agricole visible qui conserve un rôle actif (les ports, le bocage d’arrière-pays…). La sureprésentation des paysages du rivage s’appuie sur leur caractère « associatif de phénomènes artistiques et culturels » aux éléments naturels - plages, falaises, landes littorales (dont les représentations artialisées sont nombreuses et populaires). Or, ces paysages culturels vont subir l’impact des effets du changement climatique avec une accentuation des risques à proximité directe du rivage. La question qui se pose est de comprendre comment vont évoluer nos perceptions du rivage et des zones sous son influence devant la montée du niveau de la mer, la modification de la végétation et l’évolution des activités humaines économiques et balnéaires. L’appréciation de ces évolutions passera par la perception des paysages. D’autre part, la nécessaire relocalisation des biens hors des zones vulnérables pourraient amener à repenser la relation entre le littoral et son arrière-pays.
Pour reprendre la terminologie de l’UNESCO, remarquons que le caractère « clairement défini et créé intentionnellement » des paysages littoraux s’affirme avec l’urbanisme balnéaire (telle les promenades de front de mer) , leur caractère dit « évolutif » s’affirme quant à lui avec un patrimoine maritime et agricole visible qui conserve un rôle actif (les ports, le bocage d’arrière-pays…). La sureprésentation des paysages du rivage s’appuie sur leur caractère « associatif de phénomènes artistiques et culturels » aux éléments naturels - plages, falaises, landes littorales (dont les représentations artialisées sont nombreuses et populaires). Or, ces paysages culturels vont subir l’impact des effets du changement climatique avec une accentuation des risques à proximité directe du rivage. La question qui se pose est de comprendre comment vont évoluer nos perceptions du rivage et des zones sous son influence devant la montée du niveau de la mer, la modification de la végétation et l’évolution des activités humaines économiques et balnéaires. L’appréciation de ces évolutions passera par la perception des paysages. D’autre part, la nécessaire relocalisation des biens hors des zones vulnérables pourraient amener à repenser la relation entre le littoral et son arrière-pays.