Texte de Stéphanie Richer-Barbon sur le travail plastique d'Aude Robert.

Projection [12 éléments], 2014, mine de plomb sur papier, 150 x 200 cm.

Projection [3 éléments], 2014-2015, mine de plomb et crayons aquarelle sur papier, 30 x 40 cm/

Projection [13 éléments], 2017, mine de plomb sur papier, 150 x 277 cm.

Seiche, 2017, mine de plomb aquarellable sur papier, 40 x 65 cm.

Solarisation, 2017, mine de plomb et crayons aquarelle sur papier, 50 x 65 cm.

Artiste plasticienne, cinéaste, naturaliste, géologue, géomètre, randonneuse, Aude Robert pourrait être tout cela à la fois.
Pratiquant aussi bien le dessin, la photographie, la vidéo, Aude Robert s’intéresse avant tout au Monde, à ce monde végétal et minéral, aquatique et aérien, à sa substantialité – le mouvement, la gravité, la lumière, les phénomènes optiques –, à ce que l’on voit, à ce que l’on ne voit pas, à ce qui existe, à ce qui n’existe pas. Elle semble nous dire Regarde autour de toi ! À côté !*, comme nous pouvons lire dans son carnet de bord, journal presqu’intime, constitué de dessins, de mots, de collage, de photographies. Elle nous dévoile ce monde que nous oublions de regarder, cet environnement auquel nous ne faisons plus attention. Son but n’est pas d’éveiller les sensibilités écologiques, mais de montrer, tout simplement, montrer autrement comme le fait tout artiste.
Contemplative et rationnelle, oisive et effective, elle est aussi cela Aude.
Elle a une démarche naturaliste, passant par la promenade, l’observation et l’inventaire. Elle arpente les territoires, découvre les réserves naturelles, les forêts, les zones humides, pour se constituer une collection d’images photographiques, semblables à une prise de notes. Son intérêt se porte sur les éléments vivants : le végétal, les planctons, les insectes. Si ses excursions peuvent paraître de l’ordre de la flânerie, comme un promeneur du dimanche, elles n’en sont pas moins attentives. Introductives à un travail graphique, ses collectes sont un Palais de mémoire*, le point de départ de Dessins vivants*.
Dans le cadre de sa pratique graphique, Aude Robert a une démarche très classique. Au même titre qu’un peintre du 18e siècle, elle repère des paysages ou éléments naturels, produit des croquis in situ (substitués pour la plasticienne par la photographie) et ensuite compose en atelier. Photocopiées sur rhodoïd et projetées sur du papier accroché à même le mur dont les dimensions correspondent aux proportions d’un écran de cinéma, elle exploite ses clichés pour dessiner notre monde, un monde. À partir de ces éléments photographiques qu’elle recadre, redimensionne, détoure, elle compose de grands dessins à la mine de plomb. Elle assemble ainsi les formes en les hiérarchisant, les superposant, les reliant par un jeu d’échelle, de lignes et de valeurs de gris. Si une spontanéité retenue, car réfléchie, est évidente au cours de la récolte d’images, la pensée ordonnée est indéniable lors de l’agencement en atelier. La matière découle d’une vision de l’esprit*.
Aude Robert offre au spectateur un regard personnel sur son environnement. Comme pour le cinéma que l’artiste affectionne tant (elle est également projectionniste professionnelle), elle fixe la réalité qu’elle transforme. Elle passe d’une réalité enregistrée à un territoire créé de toute pièce, pour s’en éloigner. Ses dessins, semblables à des figures en mouvement, en pleine mutation, oscillent entre la carte géographique, la dentelle et l’univers onirique. Des formes, qui tiennent à la fois d’une cartographie trouble et d’une végétation abstraite, affleurent la surface, laissant deviner une fusion entre « la carte et le territoire », entre le macrocosme et le microcosme. Ce va-et-vient créé entre le microscopique et le macroscopique perd le promeneur-regardeur dans un réseau de lignes, à la fois irréel et familier. Ces territoires existants mais savamment inventés prennent une forme très arachnéenne. Entre réseau urbain, nervure végétale et ouvrage animal, le repère, aussi bien dimensionnel que distinctif, est impossible. The reality is out of there*. Le travail d’assemblage, de superpositions, de liens, de traits de crayon, provoque un entrelacs graphique où l’œil peine à se fixer. Broderie, toile d’araignée, filet, nasse, stratification, vue du ciel, reproduction biologique, circonvolution cérébrale, autant de visions envisageables. Le dessin vibre, conduit le regardeur dans un voyage intérieur, dans une fluidité aérienne*, ou encore dans une densité aqueuse*, à s’y noyer.
Terre, mer, eau*. L’aquarelle amène la couleur, faisant naître l’atmosphère. La couleur apparaît timidement dans l’œuvre graphique d’Aude Robert, comme si là aussi elle souhaitait respecter l’histoire du cinéma. Elle commence tout juste à coloriser ses dessins, à fixer la vibration lumineuse d’un environnement, à peindre l’impression du temps*. Oscillation du trait et pulsation de la couleur. Cette dernière apporte aux paysages de l’artiste des impressions spatiales et temporelles, et un rythme, ce rythme que nous percevons dans les vidéos, où les notions de respiration, de va-et-vient, d’équilibre et de déséquilibre sont convoquées. D’ailleurs, la plasticienne navigue elle-même dans ce balancement entre la vidéo et le dessin, pour au final voir ces deux pratiques se compléter, voire se combiner : les superpositions d’images dessinées sont semblables à des figures mobiles, la projection est nécessaire dans la conception des dessins, le format du papier est révélateur. Aude Robert ne négocie pas. Elle a fait le choix d’utiliser l’image en mouvement par ces deux procédés. Ce qui n’est pas n’a pas lieu d’être. Ce qui est, est !*
Elle est aussi cela Aude Robert, fluide et résolue.
* Phrases extraites de son carnet de bord – prises de notes.
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