
Les impératifs de la vie contemporaine impliquent une réflexion sur la qualité des espaces publics ou privés qui l’accueillent. Les propositions d’aménagement doivent répondre toujours plus finement aux besoins des populations en matière de résidence, de santé, de transport, d’assistance et de loisir. Or, les modes de vie et les besoins des individus changent. Le monde économique et les techniques évoluent aussi constamment. Notre manière d’appréhender les situations de vie doit donc sans cesse évoluer.
La prise en compte du changement implique une réelle réactivité et paradoxalement une réflexion à long terme. Les réponses politiques aux problèmes sociaux émergents ou aux évènements imprévus nécessitent une mise en œuvre urgente. Mais la réponse aux soubresauts de l’actualité ne doit pas masquer une réflexion sur les tendances lourdes capables de structurer durablement nos contextes d’intervention. L’accélération des cycles de consommation demande aussi une approche raisonnée en matière de production et de gestion de l’énergie.
La réponse globale à ces constats est un changement de paradigme. La place du temps dans notre appréciation des situations construites devient primordiale. L’accélération des modes de vie, le développement des réseaux de communication et la flexibilité des interventions font que l’appréciation de la durée devient bien souvent la clé de la compréhension des phénomènes spatiaux. Les notions de réversibilité et de flexibilité pour adapter les espaces à des situations imprévues dans le temps prennent aujourd’hui beaucoup d’importance.
Les réponses que nous pouvons apporter nécessitent une recherche fondée sur une pragmatique de propositions concrètes et de créations, où analyse et théorisation fonctionnent simultanément. La démarche de recherche-action est avant tout un positionnement pragmatique face au monde. Elle s’attaque à la division entre la pensée et l’action au profit d’une pensée agissante. Nous proposons d’élaborer, à partir d’une réflexion théorique, des outils stratégiques servant l’activité opérationnelle et favorisant des rencontres productives entre différents acteurs.
Sous la formule « d’environnements intégrés », nous proposons de produire des situations de vie intégrant des concepts d’organisation, des lieux et des biens. Aujourd’hui la possession d’un bien peut être remplacée par un service de mise à disposition d’un bien identique, mais renouvelable et toujours entretenu. Le bien matériel est alors intégré à un service plus vaste qui colle finement aux besoins de l’utilisateur. Nous pensons que cette nouvelle économie amorce une évolution qui reste à faire : celle des environnements intégrés.
Aujourd’hui les situations de vie se composent trop souvent de réponses ponctuelles à des besoins qui se superposent mal. Or la qualité de vie passe par un environnement homogène. Un environnement intégré est une manière différente d’envisager une situation en structurant l’ensemble des réponses à lui donner. Ces réponses sont souvent hétérogènes et mêlent simultanément les lieux, les biens et les services et nous devons inventer leur administration unitaire. Le principe d’environnement intégré propose cette administration.
Nous appliquons le principe d’environnement intégré aux espaces publics et privés, aux mobiliers, aux bâtiments et à l’urbanisme. Il s’agit de répondre à des besoins et prenant en compte le temps et les usages. Proposer à la fois une expertise des besoins, un mode d’organisation et une formalisation de l’espace (du design à l’urbanisme) n’est possible que si l’on part de l’administration du temps. S’agissant d’un concept général, le principe d’environnement intégré s’applique dans des situations très variées.
Dans le domaine de l’urbanisme, il peut s’appliquer à l’organisation des espaces publics, mais aussi à la gestion d’un quartier. Il consiste à s’adapter au mieux à l’évolution des besoins et au changement. En proposant d’organiser des services à la population intégrant des biens et des espaces, il peut par exemple améliorer l’accessibilité et la qualité des espaces publics. Il peut contribuer à la gestion durable d’un quartier. En s’attachant à la revalorisation des quartiers en mutation, le principe d’environnement intégré peut participer à la maîtrise du changement en proposant une gestion du temps de la transformation.
Dans le domaine du bâtiment, l’obsolescence des programmes due à l’évolution constante des besoins attire naturellement le principe d’environnement intégré : il est grand temps de prévoir l’évolution des formes bâties dès leur conception. De même, les besoins évoluant, il apparaît crucial de proposer des programmes plus complexes et en même temps plus simples d’utilisation, répondant finement aux besoins qui s’expriment. Il faut acquérir une capacité de programmation ouverte et réactive.
Enfin, l’essor des nouvelles technologies a considérablement augmenté la place de l’immatériel dans notre société. Cette nouvelle donne, couplée à la montée en puissance des services, pose la question de la visibilité des choses. L’administration que propose l’environnement intégré prend en compte ce besoin de montrer donner une image aux phénomènes immatériels.
Administrer l’hétérogénéité de services relevant de domaines différents, allant de la construction à la mise à disposition de prestations, passe nécessairement par des outils de gestion. Il s’agit d’inventer « la règle du jeu » qui doit régir les différentes interventions. Nous proposons une charte d’environnement intégré qui engage l’ensemble des acteurs dans un processus commun. Elle permet aussi d’engager une large concertation sur les objectifs à mettre en œuvre.
Administrer les interventions dans le temps et dans l’espace nécessite l’invention d’un mode de gestion et la mise en relation de secteurs éloignés. L’action publique, les interventions marchandes et non marchandes doivent trouver simultanément leur place dans le dispositif commun. Chaque projet croise la formalisation d’un espace avec une organisation d’intervenants variés dans le temps. C’est une nouvelle économie qui émerge en rapprochant la conception et l’exploitation des structures ainsi créées.
L’environnement intégré propose une filière complète d’analyse, de production et d’exploitation s’appliquant à une situation précise. La maîtrise de cette filière se conclut par un usage raisonné de l’énergie, un recyclage programmé des formes et des matériaux. Ce type d’intervention intègre naturellement l’ensemble du processus : situation antérieure, démarrage, analyse, concertation, projet, mise en œuvre, exploitation, évolutions prévisibles, arrêt et déconstruction. La filière se conclut par la réversibilité de l’intervention. Cela impose une réflexion de fond sur les matériaux utilisés et la consommation d’énergie qu’induisent la mise en œuvre et l’exploitation d’un l’environnement intégré.


Marine Class
Atelier Alain Le Bras, Nantes
du 15 novembre au 8 décembre 2012
Photographies grand format J. Richer tous droits réservés