La durabilité d’un plan d’urbanisme n'est que secondairement sa continuité dans le temps ; elle indique bien plus un processus continu de réactualisation construit autour de la notion de projet partagé et devient le cadre à partir duquel un grand nombre d'actions urbaines se coordonnent.

Cette étude traite du temps, des plans d’urbanisme et de projet. Alors que s'impose l'espace des flux, la planification urbaine montre ses limites pour organiser les territoires. Mais si le temps apparaît en crise, il devient paradoxalement une variable d'aménagement. Plus précisément, il s’agit de définir la durabilité des plans d’urbanisme en matière de contenu et de processus. Cette démonstration part d'un état des lieux de la planification urbaine face à l’impermanence contemporaine, examine des exemples et propose un positionnement.

Qui parle d'un développement soutenable à long terme parle de temps. La question posée est celle de la conciliation des temps courts et des temps longs dans le domaine de la planification urbaine. Dès lors j'ai recherché les concepts qui pouvaient permettre de positionner la variable temps dans les documents de planification urbaine – en particulier dans les plans locaux d'urbanisme – ainsi que des exemples nationaux ou européens. J'ai confronté ce corpus à deux expériences. La première a consisté à interroger un petit groupe de professionnels sur un cas précis tandis que la seconde a interrogé un panel d'une quarantaine de professionnels sur les concepts émergents. Ces deux expériences ont permis de confirmer l'importance d'intégrer le temps dans la planification urbaine tout en repoussant quelques idées fausses.

Il ressort de ce travail que l'intégration du temps dans la planification urbaine relève de deux domaines distincts et interdépendants :
- l’observation des chronotopes urbains qui enrichit un diagnostic urbain partagé à partir de la maitrise d'usage des habitants ;
- un processus continu de conception du projet de territoire permettant la synchronisation des politiques publiques et des agendas des acteurs du projet de territoire : l'élaboration d'un plan guide négocié sur le modèle allemand d’une part et un processus itératif avec des réactualisations régulières sur le modèle anglo-saxon d’autre part.
Le développement durable interroge notre capacité à maintenir dans le temps des potentialités d'action alors que l’impermanence domine. C’est dans la nature et l’évolution des interactions entre les différents phénomènes urbains que nous pouvons trouver les fondements d’une planification urbaine renouvelée. Aux interactions entre les lieux répondent les chronotopes. Aux interactions entre les acteurs répond une certaine forme de participation en continu. La durabilité s’exprime alors dans l’adaptation régulière du plan d’urbanisme à ces interactions.

La question de fond de l’intégration du temps dans la planification urbaine rappelle le débat entre Henri Bergson et Gaston Bachelard à propos de la durée. Rappelons que pour Henri Bergson « seule la durée est réalité temporelle, l'instant n'étant qu'une possibilité de découpage abstrait du temps », Gaston Bachelard voyait que « la continuité fictive se compose de multiplicité d’instants pris entre des intervalles de néant ». La nature de la durabilité oscille entre ces deux expressions de la durée : tout à la fois continuité dans la durée par l’élan du projet de territoire et succession d’actions dont l’évaluation consolide ou modifie la trajectoire.

Pour prendre une métaphore astronomique, « quant la courbure de l'espace-temps est faible, son comportement est pratiquement linéaire [...] Au contraire, quand la courbure de l'espace-temps est forte, les lois de la relativité générale d'Einstein précisent que la courbure de l'espace-temps doit être extrêmement non linéaire ». Il se peut qu'il en soit de même pour la ville chronotopique. L'urbanisme du quotidien, celui des quartiers constitués à faible évolution, répond a une logique linéaire. Mais dès que nous approchons d'un accident temporel – une zone de désynchronisation de pratiques, le devenir d'une friche... – la courbure de l'espace temps urbain s'accentue et renforce le besoin d’une planification rénovée. Il existe donc un enjeu considérable à identifier les secteurs d'enjeux sur un territoire à partir de l'analyse des chronotopes, de l’ambition de ses acteurs publics et privés et enfin de l'expertise d'usage des habitants. Dès lors, profitant de la courbure spécifique de ces espaces-temps, nous pouvons imaginer une place plus grande laissée à la négociation et à l’expérimentation en matière de planification urbaine. Cela sous-entend une évolution juridique afin de permettre la souplesse attendue sans prêter inutilement le flanc aux recours contentieux.

Pour rendre un dernier hommage à l’Italie, abitare il tempo – habiter le temps – m’apparait comme la formule qui résumerait ce travail. Il s'agit non seulement de reconnaître les temps du territoire mais aussi de les habiter. Ce double mouvement d'observation et d'action fait toute la richesse d'une démarche temporelle. Malgré la complexité des documents de planification urbaine, il faut insister sur le fait qu'ils constituent un projet urbain. Habiter le temps revient, au-delà de la synchronisation des temporalités urbaines, à synchroniser les événements et les processus, c'est-à-dire à faire corps avec un territoire en mouvement.

Contenu d’un plan d'urbanisme rénové
Un document concis en deux partie : une partie stratégique (politique de l'habitat, mobilité, environnement) et une partie tactique (diagnostic chronotopique et règlement allégé) ;
un plan guide réactualisable périodiquement opérant la synthèse des deux parties tout en étant un document d'agrégation des acteurs et de communication envers le public. Il serait le cadre de référence des orientations d'aménagement et de programmation.

La participation du public dans l'élaboration des documents d'urbanisme nécessite l'invention de méthode spécifique de travail pour garantir la bonne compréhension, l'efficacité de la démarche et la bonne prise en compte de la parole citoyenne ;
la nécessité de faire avec les stratégies des acteurs économiques d'un territoire est essentielle et devrait faire l'objet de la suite de ce travail.

Sur ce dernier point, nous pouvons constater que l'aménagement du territoire est en partie réalisé par de grands acteurs tels que les groupes de grande distribution qui influencent considérablement l'organisation des territoires ruraux et la forme des villes par l'implantation de leurs grandes surfaces et de leurs plateformes logistiques. La synchronisation de leurs projets avec les différentes politiques publiques semblent dès lors un enjeu majeur pour faire la ville durable et cela nécessiterait un prolongement
Recommandations

1. Penser les plans d'urbanisme comme des processus continus attachés à des actions stratégiques qui transcendent les échelles d'analyse et les politiques sectorielles.

2. Alléger les règles quantitatives de la partie réglementaire des plans d’urbanisme et mettre en avant un urbanisme négocié. Cet allégement permettrait une plus grande mutabilité des plans d'urbanisme.

3. Analyser les chronotopes urbains pour nourrir les diagnostics territoriaux au moyen d’une représentation graphique adaptée. Porter une attention particulière aux régimes spatio-temporels des projets urbains et à leurs répercussions.

4. Faciliter l’implication du public dans la planification urbaine par une plus grande lisibilité des documents d’urbanisme et la création d’instances participatives dédiées.

5. Synchroniser les agendas des acteurs économiques avec les politiques publiques.

6. Généraliser la pratique du plan guide réactualisable à l’échelle des territoires concernés. Chaque P.A.D.D. serait accompagné d'un plan guide plus précis que les schémas actuels et distinct du plan de zonage.

7. Créer un corps d'architecte urbaniste territorial qui développerait une expertise sur l'espace-temps dans l'exercice d'une planification négociée. Cela n'est possible qu'en relation avec l'enseignement de l'architecture et de l'urbanisme pour préparer à ce futur métier.

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Persan
21 Mars 2012
Mercredi dernier, les carrefours routiers de La Rochelle et de Niort se sont peuplés d'êtres féeriques et d'un bestiaire inaccoutumé. La ville s'animait à la gestuelle d'une chatte bleue, d'un titi géant, d'un super Mario, de pirates et de fruits turbulents. C'était le percent, soit les cent jours avant le bac où les étudiants passent leur journée à collecter de la menue monnaie pour s'offrir une nuit festive.

Dès la veille, les jeunes gens s'installent dans des tentes aux carrefours stratégiques, dorment sur place et enfilent au petit matin leur costume de carnaval pour commencer une quête à laquelle les automobilistes se livrent de bonne grâce.

Cela tient de la stratégie militaire - l'occupation des carrefours les plus fréquentés - , du rite initiatique et de la transgression médiévale - puisque le produit de la journée sera dépensé dans la nuit.


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