
La crise financière et économique actuelle interroge notre manière de produire la ville. Les attentes sont fortes et les moyens pour les y répondre ont changé. Une des solutions consiste à travailler sur les différentes temporalités du projet et de ses acteurs en développant la plastique des projets.
La ville dans l’écoulement du temps
Il faut du temps pour aménager les villes et nos interventions s’inscrivent dans des mouvements de fond. C’est à la lumière historique que l’on peut voir la continuité de l’action urbaine, alors que notre échelle d’action est, dans le meilleur des cas, celle d’une génération. Il y a un écoulement continu de la matière ville, mais que l’on n’a pas l’impression de modifier dans l’action quotidienne. Il se niche dans cette coulée historique une autre forme temporelle, celle des projets, qui correspondent à des émergences et qui modifient son processus de production.
Que les moyens de financement classiques de production de la ville soient aujourd’hui remis en cause pourrait s’avérer salutaire. La spéculation immobilière est amoindrie ; des questions nouvelles se posent, les habitudes doivent changer. Parallèlement, les pouvoirs publics accordent une place toujours plus grande à la parole de la population et à la concertation. Nous devons donc réorienter notre action en faveur de la ville négociée. La population demande la mise en valeur de ses espaces de vie et nous devons y répondre maintenant avec des moyens différents.
Différents acteurs, différents temps
Pour comprendre les différents temps d’un projet, il faut s’en référer à ses acteurs. Le groupe pionnier composé souvent d’élus avance au fil du temps des idées qui génèrent des projets. Son appréciation de la durée d’un projet est politique et il a une certaine hâte d’autant qu’un mandat est court lorsqu’on parle d’aménagement urbain. S’y associent des alliés qui ont un intérêt particulier à ce que le projet réussisse. Partis, associations et groupes d’intérêts vont promouvoir ou s’opposer au projet. Vient ensuite le groupe de travail dont l’expertise sur les villes est mise à contribution pour la faisabilité technique et financière de l’opération projetée. En dernier lieu viennent les investisseurs, promoteurs, architectes, bureaux d’étude ou entreprises dont les motivations sont mues par des stratégies individuelles.
Il n’existe plus aujourd’hui de compétence instituée qui permettrait à un unique acteur de faire le projet de a à z. Il nous faut donc agréger ces différents acteurs dans le temps. À partir d’un diagnostic partagé, une institution de pilotage propre à chaque cas produit un espace de projet. La population y trouve une place prépondérante. Nos actions se portent sur des territoires d’usage que les gens s’accaparent. Au-delà de leurs revendications, la stimulation du corps social est un enjeu urbanistique important et le projet se construit aussi par la communication. Il convient d’enrôler tous ces acteurs dans l’institution de pilotage pour que chacun soit conscient de la temporalité des autres. De même, il ne faut pas opposer les acteurs si l’on veut mieux articuler toutes les temporalités que sont celles des temps courts et des temps longs, des délais et de la durée, de la réactivité, de l’irréversibilité des actions.
Dynamique non linéaire
Chaque projet répond à une dynamique non linéaire mettant en jeu la géométrie mobile des intentions des acteurs qui y prennent part. Chacun attend quelque chose de particulier du projet qui répond à une temporalité propre. Les élus veulent une rapidité de mise en œuvre, la population s’impatiente et les études prennent du temps. Ces temporalités propres interagissent entre elles et forment un système complexe. Cela se traduit par une dynamique globale de fonctionnement difficilement prédictible à partir de l’observation des interactions élémentaires entre acteurs. Mener un projet nécessite donc un art de « l’hétérochronie » qui entremêle les temporalités.
Une méthode consiste à linéariser ce système en réglant tous les intervenants sur le même tempo. C’est possible lorsqu’il s’agit d’un projet simple, beaucoup moins lorsqu’il épouse une géographie sociale complexe. Lorsque la coordination des « horloges internes » de chaque acteur s’avère problématique, le principe contemporain de l’essaimage intervient. La logique d’organisation en essaim décrit un management alternatif, s’inspirant d’études naturalistes sur les systèmes d’organisation autoadaptatifs du vol des oiseaux ou des abeilles. Cette méthode de travail prône une interaction quotidienne des éléments du projet qui le réorientent constamment en fonction des contraintes ou des opportunités rencontrées. Il faut dès lors considérer le temps du projet comme une étendue souple et adaptable à toutes les évolutions. Au lieu de vouloir tout maîtriser, on entre dans une gestion constante de chemin critique afin de détecter les points majeurs de résolution des problèmes.
Plastique temporelle et urbanisme temporaire
Dans la production en essaim d’un projet, il faut des éléments tangibles qui jalonnent le chemin parcouru. Intervient alors, au côté de la communication, d’autres outils comme l’urbanisme temporaire. Voir fleurir des lieux à l’existence éphémère dans un quartier s’apprêtant à évoluer est un signe tangible pour tous. À Vitry-sur-Seine, par exemple, un centre social provisoire a été construit sur l’espace public en attendant la réalisation du programme de rénovation urbaine du quartier Balzac. L’agence FACT architectes a proposé pour le compte de la SEMISE un bâtiment provisoire emblématique dans lequel le projet urbain a pu s’incarner avant le commencement de lourds travaux de réhabilitation. Il s’agit d’un exemple du panel d’outils dont nous disposons pour articuler au mieux les besoins de développement structurel et une stimulation du quotidien : une forme de plastique temporelle où l’on peut choisir des interventions à court, moyen et long terme en fonction des besoins.
Une autre manière d’envisager l’urbanisme consiste à estomper la distinction entre le penser et le faire au profit d’une approche pragmatique de la ville. Le projet devient un espace de gestion d’activités spatiales et temporelles s’apparentant à la fois au lieu de confrontation et à une fabrique d’actions. La perception de l’évolution de la ville dans le temps, rapportée au destin individuel de chacun, peut être source d’angoisses ou d’incompréhensions pour la population. Utiliser le présent pour des actions concrètes peut dénouer cette situation et faire comprendre l’avenir de la ville. Le temps, a dit le philosophe Cornélius Castoriadis, est création. La plastique temporelle, ce pourrait être l’exercice de savoir utiliser le présent pour des actions concrètes qui seraient autant de jalons temporels faisant le lien avec les projets à long terme.
