Le point de départ de notre réflexion est la forme urbaine au sens où l’entend Henri Lefebvre :
cumulative de tous les contenus, elle se relie d’un côté à la logique des formes et de l’autre à la dialectique des contenus. Espace et sociétés y sont inextricablement liés.
Intervient alors le rôle émergeant et prédominant des réseaux.
Nous sommes entrés dans la société de l’information où le nouveau paradigme des technologies avancées fournit les bases matérielles de son extension à la structure sociale tout entière.
La présence ou l’absence dans le réseau et la dynamique de chaque réseau par rapport aux autres sont les sources essentielles de la domination et du changement dans la société en réseau, dans la mesure ou la morphologie sociale l’emporte sur l’action sociale.
Un réseau est un ensemble de nœuds interconnectés. Un nœud est un point d’interconnexion d’une courbe par elle-même. La réalité d’un nœud dépend du type de réseau auquel il appartient. Dans le réseau des flux financiers globaux, les nœuds sont constitués par les bourses de valeurs et leurs annexes (…) Dans le réseau global du nouveau média sur lequel reposent l’expression culturelle et l’opinion publique à l’ère de l’information, par les chaînes de télévision, les studios de variétés, les milieux des graphistes par ordinateurs, les équipes de journalistes, et les dispositifs mobiles qui produisent, transmettent et reçoivent les signaux (Castells, 1999).
Portée sociale des réseaux
Ubiquité, immédiateté des relations toujours permises, mais choisies dans le temps et dans l’espace, tel paraît être le nouvel idéal des réseaux. Au-delà de leur fonctionnalité, transporter des fluides, des voyageurs, des signaux, les réseaux, désormais omniprésents dans la ville, acquiert une valeur commune relative à cet idéal. La matérialité de l’accès à un réseau, celui de l’eau potable par exemple, ne fonctionne pas seulement comme un lien physique joignant entre eux tous les raccordés, mais aussi comme un lien symbolique d’appartenance à une même communauté, à un même territoire organisé.
De même dans le domaine des transports, où le réseau est vécu comme étant un mouvement de lignes matérielles ou immatérielles. Ces lignes ne découpent pas comme le font des parties de territoires, mais en sont un. En l’espace d’un siècle, la conscience que l’on a des réseaux, la fonction de réticulation, a considérablement évoluée de l’organisation d’une aire extérieure à eux, par exemple la déserte d’une ville, au principe de réseau en soi.
Le sens des lieux ne se retrouve, lentement, que dans les relations avec d’autres lieux, avec d’autres points créant un système d’interrelations à partir d’un nouveau territoire unique. Le déplacement quotidien n’est plus un déplacement dans un espace homogène, mais un double déplacement spatial et temporel, sur un registre imaginaire : il s’agit de la prise de possession d’un nouveau territoire-réseau dont les limites ne sont plus celles de la ville, c’est le « local », comme niveau d’analyse, qui est mis en cause par la nouvelle signification des réseaux.
Réponse de l’urbanisme classique
Alors que le territoire urbain est travaillé par des organisations réticulaires qui donnent de nouvelles cohérences à nos villes éclatées, les urbanistes continuent de privilégier le zonage fonctionnaliste, ou courent après une centralité qui leur échappe et ils regrettent de n’avoir pas de prise sur l’évolution urbaine. Le zonage, qui est une application réglementaire des conditions d’usage du sol urbain, délimite l’aire affectée aux types particuliers de construction et d’usage, comme dans le cas du PLU, se fait généralement à l’opposé de la logique des réseaux. On découpe le territoire en fonctions-zones dont on pense que l’on peut les résoudre spécifiquement et que de surcroît, l’addition de ces opérations donnera une politique homogène et cohérente de la ville. Il y a donc une antinomie profonde entre l’attitude urbanistique traditionnelle et cette révolution réticulaire.
Vers un nouvel urbanisme
Aux discontinuités linéaires de l’espace créées par les frontières des périmètres historiques, ou administratifs, le réseau substitue une discontinuité intrinsèque qui efface en quelque sorte l’espace géographique hors des nœuds et des liaisons en créant un espace particulier.
La seconde dimension du réseau, en relation avec sa signification territoriale moderne, est cinétique. Le réseau définit à la fois l’espace et le temps. Il établit entre eux un rapport fondé sur la circulation, le flux, la vitesse, tendant vers l’instantanéité, le temps réel. Sous la puissante influence des systèmes de communications, relayant les intérêts sociaux, les politiques des gouvernements et les stratégies des entreprises, une nouvelle culture est en train de naître : la culture de la virtualité réelle. Cette notion d’un temps du réseau, différent du temps du reste du monde, s’impose partout où le réseau existe. Je ne fais pas référence uniquement aux nouvelles technologies, mais aussi au développement des réseaux électriques qui permet d’obtenir instantanément de la lumière en tout point du réseau.
Réseaux matériels et immatériels
La complexité de l’économie actuelle doit être mesurée à l’aune de la révolution des technologies de l’information qui, aujourd’hui, bouleverse l’ensemble des activités humaines. Il faut observer que l’évolution des télécommunications se manifeste à un moment démographique crucial pour la planète. Depuis de 2005, la moitié de la population mondiale sera concentrée dans les villes. En 2025, deux tiers des habitants de la planète seront urbains. Ce phénomène essentiellement urbain expose donc une temporalité double. Il y a celle de l’aménagement, qui est un temps planifié dans sa réalisation en fonction des contraintes physiques et réglementaires. Une seconde temporalité apparaît avec le temps induit par les nouveaux réseaux en fonctionnement. Le réseau routier et l’usage de la voiture en sont un exemple. Le temps réel des télécommunications numériques, bien plus vif, en est un autre. Dans ce cadre, les échelles abordées et leurs éventuelles interactions sont nombreuses et l’histoire du développement des réseaux peut être vue comme un accroissement exponentiel de leur aire d’influence. Si l’assainissement ne concernait à l’origine que certains quartiers dans une ville, l’aménagement du réseau Internet se fait à l’échelle mondiale. Il faut dès lors noter que l’enjeu des réseaux réside surtout dans leur interconnexion permettant d’articuler différentes échelles spatiales.
Selon l’expression de Joël Tarr, la grande ville occidentale est passée en cent cinquante ans du statut de pedestrian city à celui de network city. Dans un espace-temps relativement court au regard de leur histoire, les villes occidentales se sont dotées de réseaux de transport individuel ou collectif, de communication, d’éclairage public, d’énergie électrique, de gaz, d’eau, d’assainissement… suivant des modalités administratives et techniques très diverses. La seule caractéristique commune des dispositifs mis en place et regroupés sous le terme générique de réseaux techniques est qu’ils fournissent de façon permanente, grâce à une technologie adéquate et à une organisation collective contrôlée ou non par la puissance publique, des services de transfert et de communication répartis sur un grand nombre de points de l’espace urbain. Cette extension de la desserte à un très grand nombre a pour effet de solidariser les points desservis et au-delà les consommateurs. L’extension des réseaux techniques obéit à un schéma tendanciel généralisable. Une première phase de démarrage plutôt lente et difficile coïncide avec l’adaptation du public et la mise au point du produit. Puis, passé une certaine masse critique, se manifestent des effets de réseaux, à savoir économies d’échelle du côté de l’offre, et effet d’avalanche du côté de la demande. Le raccordement est alors d’autant plus demandé que le réseau est étendu.
Ubiquité, immédiateté des relations toujours permises, mais choisies dans le temps et dans l’espace, tel paraît être le nouvel idéal social des réseaux. À côté de leur fonctionnalité, transporter des fluides, des voyageurs, des signaux, les réseaux, désormais omniprésents dans l’espace urbain et au-delà, acquièrent une valeur commune relative à cet idéal : la matérialité de l’accès à un réseau ne fonctionne pas seulement comme un lien physique joignant entre eux tous les raccordés, mais aussi comme un lien symbolique d’appartenance à une même communauté, à un même territoire organisé. Dans le domaine des transports, le réseau est souvent vécu comme étant un mouvement de lignes matérielles ou immatérielles qui recomposent un territoire divergent des limites administratives territoriales. Le sens des lieux ne se retrouve, lentement, que dans les relations avec d’autres lieux, avec d’autres points créant un système d’interrelations à partir d’un nouveau territoire unique. Le déplacement quotidien n’est plus un déplacement dans un espace homogène, mais un double déplacement spatial et temporel voyant la prise de possession d’un nouveau territoire réseau.
Aux discontinuités linéaires de l’espace, créées par les frontières des périmètres historiques, ou administratifs, le réseau substitue une discontinuité intrinsèque qui efface en quelque sorte l’espace géographique hors des nœuds et des liaisons en créant un espace particulier. À la base de la notion de réseau, il faut reconnaître l’affirmation d’une diversité de points dans l’espace. Ces points seront animés de projets transactionnels qui leur donneront une épaisseur géographique et sociale : il y a une  définition récursive du réseau, qui implique simultanément singularité (des points) et régularité (de la nature de la relation entre les points).

Les nouvelles technologies de la communication ne révolutionnent pas littéralement la logique globale des réseaux. Elles introduisent en revanche une nouvelle échelle, totale ou presque, qui aboutit au phénomène de la mondialisation pour reprendre l’expression de Mac Luhan. L’économie internationale fonctionne maintenant en temps réel, comme un espace économique et financier quasi unifié. La globalisation n’est donc pas seulement une internationalisation plus importante des économies et des firmes, mais implique des changements qualitatifs à l’échelle urbaine.
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