Nous sommes réunis pour parler des projets du concours Europan. Il faut donc tout d’abord vous expliquer ce qu’est Europan : un concours européen pour les jeunes professionnels de la conception urbaine, paysagère et architecturale de moins de 40 ans.
En 2019, sur le thème de la ville productive, Rochefort a proposé au concours un chapelet de sites le long de la Charente, où comment envisager une prospective urbaine dans une ville submersible ?
Que faut-il attendre d’un concours d’idées ? Depuis quelques années, les projets processuels sont apparus comme une meilleure solution pour imaginer l’avenir des villes dans une période où l’incertitude peut vite contrecarrer des projets trop arrêtés. L’idée sous-jacente est de mettre en place un processus, une sorte de règle du jeu dont les acteurs du territoire s’emparent pour mener leurs propres projets. Le processus agit comme une ligne de vie qui montre une direction à laquelle peuvent se référer les décideurs pour garder le cap.
Dans la ville de naissance de Maurice Merleau-Ponty dont il faut rappeler qu’il est un monument de la philosophie française, tenant de la phénoménologie de la perception, j’imagine que tous les rochefortais sont philosophes et ardents phénoménologues. C’est intéressant, car les processus sont plus couramment associés au mathématicien et philosophe anglais A.N. Whitehead, plus vieux d’un demi-siècle, qui a mis en avant la notion de concrescences vers laquelle tout se meut. Alors, comment résoudre cette différence d’approche ? Allons-nous passer cette fin d’après-midi à résoudre cette épineuse question ? Passons par un troisième homme, Edmond Husserl, pères de la phénoménologie contemporaine avec Heidegger, qui parlait lui de l’horizon externe et du présent vivant.
Eh bien, les projets d’Europan, c’est un peu tout cela en interrogent l’horizon lointain de l’avenir d’un territoire, sans aucun tabou comme vous allez pouvoir le voir, ensuite en interrogeant des points très précis, sorte de « comment phénoménologique » qui sont alors pris pour ce qu’ils sont, à nouveau sans a priori, et surtout pour ce qu’ils pourraient devenir, autrement dit vers quoi ils se meuvent. Enfin, un projet ne consiste surtout pas à vivre dans l’avenir, mais bien dans un présent vivant, actif pour lui-même, et ce que nous allons faire aujourd’hui.
Bon, revenons à Europan qui possède une méthode de choix des lauréats à la fois locale et nationale. Il n’est pas inutile de rappeler que trois grands thèmes ont émergé dans les débats du jury : la résilience, la mobilisation des ressources territoriales, la réappropriation de grands espaces industriels. Ce dernier thème a été peu traité. La question de la résilience est récurrente depuis plusieurs sessions d’Europan. Comment faire évoluer les réglementations ?
Le jury a interrogé la collectivité sur les suites du concours et la commande qui sera adressée aux équipes primées. La démarche de mise en œuvre des propositions pourra s’inscrire dans la dynamique déjà enclenchée du projet « Grand Site de France ». Il est aussi question d’engager un travail avec les acteurs industriels et portuaires, dans une double logique d’ouverture des sites et de maintien des activités, en intégrant la gestion des risques naturels.
Présentation des trois projets
Be kind, rewild
L’équipe envisage un processus de transformation permettant à la ville de retrouver sa condition littorale en considérant les effets du changement climatique. Elle propose de travailler sur « l’épaisseur riveraine » d’une bande littorale submersible, dans une vision prospective à horizon 2100. Le projet combine différents types d’intervention en fonction des aléas de submersion entre aujourd’hui et 2100 : ré-ensauvagement et usages récréatifs, architecture flottante, urbanisme mobile et éphémère, constructions légères temporaires, urbanisme mutable et constructions démontables.
Let the river in
L’équipe identifie les filières de flux et de production à l’échelle régionale. La Charente est une pièce centrale du projet, vecteur d’une « économie symbiotique » via le transport de matières produites, transformées et consommées localement. À l’échelle du site, le projet déploie des propositions d’aménagement résilient en déclinant des actions sur le bâti (pilotis, bâtiment waterproof, bâtiment drainant), l’aménagement des berges (re-naturation, pontons) et les espaces publics (perméabilité des sols, canaux drainants, gestion de l’inondabilité).
Lorenzo Alaimo, architecte, et Audrey Fourquet, urbaniste.
L’escargot, la méduse et le bégonia
À partir d’une vision cartographique à la grande échelle de l’estuaire de la Charente, l’équipe questionne les relations entre l’homme, les milieux (terrestre, marin, et végétal), les phénomènes naturels (marées) et leurs possibles utilisations énergétiques. À l’échelle du site de réflexion, le projet travaille avec l’eau et organise un repli de l’urbanisation. Au sein des espaces naturels et agricoles existants et nouvellement créés sont intégrés des parcours de mobilité douce pour développer l’agro-tourisme. À l’échelle du secteur de I’ Arsenal, le remaillage des espaces publics par les anciennes portes permet d’ouvrir la ville historique.
Clara Loukkal, paysagiste, master d’aménagement du territoire, enseigne à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne