Que voit-on ? La moquette méandreuse du film « The Shining » de Stanley Kubrick ?
Cette photographie, à la coloration rouge, à ce semblant de dédale, aux déformations, aux silhouettes et aux ombres visibles, n’est pas sans rappeler le gigantesque hôtel que les protagonistes du film « The Shining » ont pris en gardiennage ni les étranges forces qui s’y manifestent. Cette photographie reflète une atmosphère moite, inquiétante, pourpre. Elle brille de son propre trouble. « It shines with concern ». Elle rayonne, non pas de bonheur, mais d’inquiétude, le lieu paraissant pourtant somptueux par ses larges fenêtres ou encore ses boiseries. Cette étendue inquiète. À quoi nous attendons-nous ? À l’apparition d’un son, d’un visage bien défini ou encore connu ? A l’heure où chacun de nous est en mesure d’avoir son heure de gloire à la télévision, l’anonymat et le vide gênent.
L’objet créant ce reflet symptomatique n’est qu’un cœur suspendu, lustré. Cet organe n’est que lumière, illumination, brillance, soit amour. Sa représentation graphique et sa signification sont connues de tous, que l’on vienne d’Afrique, d’Amérique, d’Europe ou d’Asie. Que l’on soit enfant, adolescent ou adulte.
Ce dallage, que nous imaginons noir et blanc, est donc le résultat du reflet créé par une œuvre de Jeff Koons au château de Versailles. Versailles : lieu de tous les possibles. Espace de luxure, de dorure, de l’impertinence, inhabité la nuit, envahi le jour par une foule curieuse de l’admirer, ce qui paraît malvenu, voire insolent, par la crise économique actuelle. Édifice démesuré, impudique, filandreux, labyrinthique, réfléchissant ce que les conservateurs souhaitent montrer : du raffiné, de l’exorbitant, de la chaleur, mais surtout pas de l’abandon. Et ce dernier est néanmoins présent : absence de restauration, d’éléments architecturaux, dégâts de certaines salles, que l’on se cache de montrer au public. Aussi, peur de révéler le terne, le quelconque, la morosité ; bref, peur de révéler la vie actuelle.
Bien qu’il soit à Versailles, bien qu’il évoque l’amour, qu’il soit immense, qu’il soit en acier, qu’il soit suspendu par un ravissant nœud doré, ce cœur ne parvient pas à dissimuler cette angoisse, l’angoisse du vide, l’angoisse du rien, l’angoisse du XXIe siècle. C’est la vanité de Versailles, sa lumière.
Stéphanie Barbon