Tour de Bretagne   |   Nantes   |   2006
photographies argentiques grand-format
Détour
Je vivais depuis plusieurs années dans le quartier. La tour correspondait à un repère identitaire pour tous les habitants. Moi-même, lorsque j’arrivais de l’autoroute vers la ville, je guettais avec impatience le signal annonciateur d’une fin de voyage proche. Son apparition était aussi comme le symbole de l’habité, du chez soi, déformé et gigantesque par la distance qui m’en séparait.
Un jour, sans intention particulière, je suis entré dans le socle de la tour. L’ensemble des accès était contrôlé par des codes dont la connaissance m’échappait et j’avais eu pour seule issue verticale la cage de l’escalier de secours. Étroite et obscure, elle gravissait les 29 étages accessibles sans autre marque de progression qu’un numéro sur chaque porte palière. J’avais accompli l’effort d’atteindre la dernière porte sans réel objet que d’aller jusqu’au bout d’un cheminement, même vertical, et j’avais fait demi-tour sans plus de réflexion une fois arrivé en haut.
C’est lors de la descente que c’est déclenché le phénomène inquiétant. Quelques années après le 11 septembre, se trouver dans la situation de descendre un escalier de secours d’une tour renvoie forcément aux descriptions terrifiées des rescapés des tours du World Trade Center. L’inconscience joue des tours que le contexte amplifie. Dans la longue spirale descendante de l’escalier, emporté par la vitesse de ma propre course, je fus saisi d’un trouble, presque d’un étourdissement, et il fallut m’arrêter un instant sur une marche pour reprendre mon souffle, les yeux clos et le cœur battant.
Quelques mois plus tard, j’obtins l’autorisation de prendre des photographies de la tour et surtout de monter au dernier étage pour y observer la ville. Le pompier de garde me fit monter par l’ascenseur cette fois jusqu’au dernier étage duquel il ouvrit une petite porte métallique donnant sur la terrasse. Il était convenu que j’y resterais seul une demi-heure et il m’enferma sur l’étroite terrasse, abandonné au vide. Ce jour-là il faisait du vent et je dus prendre beaucoup de précautions pour installer la chambre photographique. Ce procédé nécessite de s’abriter sous un drap noir pour pouvoir effectuer la mise au point. Dans ma cage noire, au bord du parapet, balancer par le vent, j’ai eu le vertige comme jamais auparavant et une panique m’a envahi.
Il a fallu m’asseoir, et replier fébrilement dans cette position le matériel photographique. J’ai ensuite rampé jusqu’à la porte pour attendre le pompier qui rouvrirait la porte. Aujourd’hui encore, je ne sais pas si ce vertige est lié ou non au trouble de l’escalier. Maintenant, je doute des tours.
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