Aux côtés de ces chers disparus que sont le fantôme et le zombie vient une autre disparition qu’est la licorne. D’un emprunt à l’italien ancien alicorno, la licorne désigne un animal mythique, mais aussi un échec de la pensée puisque jamais réalisée. Une licorne urbaine est cette merveilleuse idée à laquelle tout le monde adhère, ou presque, mais qui ne se réalisera absolument jamais. La licorne urbaine, à l’instar de son double mythique, porte un symbole de pureté et de vertu absolues. De fait, elle est un peu un fantôme à l’envers, car elle hante l’avenir empêchant le présent de se réaliser. Parmi les licornes actuelles, on peut citer en vrac les fermes urbaines, la mixité urbaine, le développement durable, et beaucoup d’autres objectifs vertueux. Flaubert avait écrit dans la Tentation de saint Antoine (1874) « Je te ferai monter sur les licornes, sur les dragons, sur les hippocentaures et les dauphins ! ». Il nous arrive donc de monter sur de bien malingres dauphins en voulant chevaucher des licornes, et tout à notre rêve, imaginant avoir attrapé l’animal fabuleux par une pauvre serre agricole juchée en haut d’un immeuble.
Nous courons après les licornes, fuyons les zombies et sommes tourmentés par les fantômes. Voilà l’esthétique de la disparition du discours urbain contemporain récurrent. Est-ce une fatalité ? Le fantôme nous hante parce que nous en refusons l’existence même. D’où le recours indispensable à l’histoire pour connaître ce qui habitait avant les lieux précédemment, car, sans ce recul nécessaire, le fantôme, bien qu’invisible, hante les consciences. Le zombie nous effraie, car nous le fuyons au lieu de l’apprivoiser même si la perspective de se lier d’amitié avec un mort-vivant rebute. La licorne n’est-elle pas faite pour continuer de galoper librement loin devant nous ?