La ville se conçoit plus dans l’espace que dans le temps. Cette dimension du temps est importante et doit être développée, à l’heure où la planification abstraite d’après-guerre a montré ses limites. S’il existe des échelles dans le temps comme dans l’espace, il doit exister aussi des formes temporelles qui peuvent devenir des formes urbaines innovantes.
Capital temps
On a parlé de « construire la ville sur la ville ». Il s’agit de faire avec la ville dont on a hérité, comme de vivre avec nos ressources limitées. Il y a un inventaire à faire des moyens à disposition : territoire, ressources, infrastructures de transports et d’énergie, formes bâties et naturelles, friches diverses. Il va falloir prendre en compte le capital temps de chaque objet au même titre que son empreinte écologique. Il ne s’agit pas de la seule capacité des objets à durer. Il s’agit davantage du potentiel de devenir. Il faut apprendre des formes existantes qui marchent. Le formidable devenir, dans toutes les villes d’Europe, des sites industriels du dix-neuvième siècle en est un bon exemple. Ces bâtiments génériques, pragmatiques pour leur époque quoique ayant un rapport avec l’histoire, ont eu un destin qui a dépassé les intentions de leurs concepteurs. Ainsi les gisements de capital-temps sont parmi nous, dans les parties de la ville que nous avions renoncé à sauver : à nous de voir les potentiels cachés.
Penser la réversibilité
Il faut apprendre à penser transformable. Urbanistes, architectes et maîtres d’ouvrage doivent contester les programmes types, oser déprogrammer, penser en termes de générosité d’espace et de chances de reconversions. La notion de réversibilité doit trouver sa place : imaginer des ouvrages qui changent de destination, qui se transforment. Les architectes et urbanistes pourraient devenir des acteurs écoutés pour diriger la transformation de leur œuvre. Il faut acquérir de nouveaux outils pour évaluer le capital temps dans la ville. On peut imaginer de le cartographier, ce qui donnerait une tout autre perception de l’urbanisme. À l’échelle de l’architecture, penser le capital temps équivaut à acquérir une nouvelle morale constructive. D’une part la pensée de la durée, d’autre part la pensée du devenir. A ce titre la relation ossature-enveloppe est particulièrement instructive. Penser la conception avec la problématique du temps signifie de penser la traversée du temps des bâtiments d’une part dans leur intégrité physique, d’autre part dans leur devenir fonctionnel.
ADN
L’exemple de la manufacture du dix-neuvième siècle nous apprend que les bâtiments génériques ont un meilleur devenir que les bâtiments très spécialisés, à la condition que leur identité soit suffisamment forte pour porter ces devenirs. L’intelligence du capital-temps, et par là celle d’une nouvelle écologie urbaine, ce pourrait être cette capacité à reconnaître dans la ville et dans l’histoire, puis à reproduire de manière créative dans des conceptions nouvelles, ce double caractère générique et identitaire. Pour prendre une métaphore biologique, les bâtiments génériques seraient en quelque sorte les cellules souches du développement dans le temps : des environnements nutritifs et flexibles, capables d’adaptation, mais porteurs d’un ADN de départ suffisamment fort pour traverser les époques. Cette conception du capital temps rejoint également une logique économique : les ossatures, structures, infrastructures dont nous avons parlé constituant des investissements lourds qui s’amortissent sur plusieurs générations, quand l’enveloppe, miroir sensible et perpétuellement en évolution de son époque, peut rejoindre la famille des consommables raisonnés.
What time is this place?
Sommaire du livre "What time is this place?" de Kevin Lynch en 1972 :
Du devenir des infrastructures
Voici deux exemples pris lors d'une promenade urbaine dans la ville de Luçon. Le premier est un ancien silo à grains en bordure de la voie ferré et le second semble être un réservoir d'eau potable. Après désaffectation, il ne reste que de sculpturales carcasses, objets urbains identitaires mais plus forcemment identifiés.
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