L’horizon d’attente
A city is more than a place in space, it is a drama in time, Patrick Geddes

En apparence, ce qui relie les formes urbaines procède de l’accumulation, de la contingence en un même lieu. L’histoire peu à peu les aurait déposées et offrirait aujourd’hui à nos yeux l’héritage des formes matérielles se référant à des ordres passés. Cela ne constituerait pas une ville, mais un musée.
La permanence des éléments anciens n’appelle pas au passé. Elle se dé-clôt dans l’instant. Nous percevons au présent les éléments de la ville, chargés de ce qu’ils furent : ils appellent à la mémoire des sens plus qu’à l’analyse historique. Leur présence n’a aucune signification intrinsèque et invariable, leur valeur est de position et toujours relative. Les architectures du passé, proches ou lointaines, de modalité historique et sociale individuelle, coexistent dans la connivence, même si la plupart d’entre elles tiennent plus du signifiant éthéré que de l’insularité acharnée. Ainsi la ville procède à une réactualisation permanente.
Toutes les formes urbaines, du tracé au construit, s’inscrivent dans la durée, plus exactement dans des durées singulières. Visitées à chaque instant, certaines sont éphémères, d’autres restent au monde dans la continuité d’une forme sûre, parfois varient par une multitude d’adaptations progressives, d’autres encore n’étant capables que de mutations brutales, disparaissent subitement pour mieux réapparaître, libres de toute contingence. Ces « morphologies temporelles » divergentes entretiennent des relations constantes où interviennent des phénomènes de diffusion, réajustement, contamination, pollution…
Le mouvement pourrait être considéré comme une simple translation, un changement quantitatif dans le temps. La mobilisation de la durée serait alors réduite à l’évolution insulaire de chaque chose. Mais chaque changement de n’importe quelle existence implique par le simple jeu des interactions, une modification qualitative de l’ensemble. La vibration s’étend, rayonne, contamine. Les systèmes perdent alors leur contour pour se réunir dans la durée commune.
Apparaît une des notions fondamentales de la durée : l’ouverture. S’appliquant aux objets, elle les force à s’ouvrir puisqu’elle ne cesse de préfigurer leur changement. Non seulement la durée consolide la variation incessante en un tout qui subsiste, mais son caractère dynamique ne cesse d’appeler à de nouvelles variations. On pourrait dire qu’elle valide ce qui vient d’être et prépare le changement de ce qui s’apprête à être. Voir l’ouverture consiste à se placer dans une situation constante de veille, de prévoir la possibilité du changement sans en connaître déjà la teneur. L’instant est perçu alors comme une situation de sursis. Le mouvement apparaît à l’appel d’une potentialité et se propose sans cesse de combler une situation en déséquilibre, tendue vers ses possibles. Oublier le rôle de la durée revient à se priver de la richesse née de la coexistence de temporalités divergentes ainsi que de la capacité d’ouverture naturelle qu’elle propose.
Par sa capacité d’ouverture, la durée amène une architecture flexible, élastique, ayant le potentiel de ses multiples devenirs. Loin de l’inertie, de l’intemporel, elle appelle le changement.
La possibilité d’ouverture doit flotter dans une architecture sans jamais l’achever ou la resserrer. L’ouverture n’est pas une fonction d’attente statique d’un futur préfiguré, mais bien au contraire une générosité d’accueil. La durée impliquée dans le réel doit se lire comme une dimension nouvelle, active sans être autoritaire, comme l’ouverture imprévisible aux possibles.
De la recherche-action
A-R-T a toujours pratiqué la recherche-action. Mais quelle est cette pratique ?
Une recherche ouverte sur l’action
La paternité de la recherche-action est souvent attribuée dans la littérature scientifique à Kurt Lewin (1890-1947), psychologue américain d'origine allemande, précurseur de la psychologie du travail. Les choses sont comme toujours plus complexes. La recherche-action possède plusieurs écoles dont deux en particulier. L’une de tradition anglo-saxonne, l'action research, désigne un mode d'action sociale centré sur les obstacles et les ressources de la dynamique des groupes sociaux avec pour représentants l'École de Chicago et sa sociologie clinique dès les années 1930, ou encore l'intervention et le développement communautaire de Saul Alinsky aux États-Unis dans les années 1950. L’autre école, apparue dans les années 1960 et portée par les travaux de l’Institut Tavistock, s’émancipe d’une acception sociale pour envisager plus généralement la manière dont la recherche scientifique, toutes disciplines confondues, sort de son cadre institutionnel pour participer à des actions de changement. La grande souplesse méthodologique de cette démarche a permis sa large diffusion en Europe. Dans les deux cas, la recherche-action est à la fois une méthode de recherche fondamentale, une démarche participative de changement et une remise en cause des pratiques dominantes.
La recherche-action, telle que nous l’entendons, est une démarche de recherche visant à résoudre des problèmes concrets en situation par une collaboration entre les chercheurs et les acteurs. Notre consortium, composé de chercheurs et de praticiens, opère un glissement méthodologique en conservant la rigueur de la démarche mais en abordant le domaine de la connaissance et de l’action d’aménagement en vue de l’adaptation des littoraux aux effets du changement climatique. Cette posture n’est pas nouvelle puisque de 2011 à 2016, les chercheurs de l’ARUC-DCC (Alliance de recherche universités communautés défis des communautés côtières, financée par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada) ont effectué une recherche longitudinale de ce type auprès de différents acteurs (secteur public, secteur économique et société civile) et communautés pour combler le « déficit d'adaptation » exacerbant les vulnérabilités de certaines communautés côtières de la région de l’Atlantique du Canada. L’originalité de notre proposition consiste à articuler des connaissances académiques issues des sciences de la terre, de la nature et de la géographie avec des pratiques empiriques de concepteurs.
Avant d’aller plus loin, il convient de poser quelques bases théoriques.
Démarche / processus
Les deux points communs des différentes démarches de recherche-action sont l'identification initiale d'un problème concret (tel qu’énoncé par Lewin dès 1946), la nature cyclique du processus (tel que proposé par Susman et Evered dès 1978). Toute recherche-action parcourt les cinq étapes du cycle à plusieurs reprises et les apprentissages sont progressifs. Enfin ces processus imposent au chercheur une immersion et une implication dans la durée.
La recherche-action Klima
La grande majorité des auteurs s’accorde sur le fait qu’il s'agit d'une démarche, d’un processus et non d'une méthode prédéfinie donnant lieu à une méthodologie arrêtée. Chaque recherche-action est donc susceptible de développer sa propre méthode.
Notre proposition articule en réalité deux types de recherche-action.
Une recherche intervention puis une recherche-action participative
Les axes 1 et 2 constituent une première recherche-action de type recherche intervention pour construire un cadre scientifique apte à expertiser des projets d’adaptation littorale, référencer et filtrer ces projets sur une cartographe participative. Elle doit conduire techniciens et chercheurs formant le consortium à produire un outil apte à décrypter l’innovation en matière de lien entre les projets de recherche et les aménagements physiques du littoral.
La recherche intervention qui contribue à l’amélioration des pratiques en mettant en place des outils et procédures. Nous suivrons cette démarche, telle que développée par Hatchuel en 1986, qui est un processus cyclique en cinq phases :
1. La perception du problème.
2. La double formulation du problème par les outils et l'organisation
3. La phase expérimentale : intervention et interaction
4. La définition d’un ensemble simplifié de logiques d’action.
5. Le processus de changement.
L’axe 4 verra l’élaboration d’une démarche - d'un processus de recherche-action participative - qui soit adaptable. Ce type de démarche appelée participatory action research ou participatory research dont la littérature laisse une grande place aux praticiens à la fois dans la construction de la recherche, dans sa mise en œuvre et dans la production des connaissances qui en résulte. Cela induit une organisation qui adopte une attitude critique telle que l’a défini Habermas. Elle repose sur des interactions fortes entre les chercheurs et les autres acteurs, où chacun à la capacité de contribuer à la résolution du problème de recherche.
Dans cette démarche, théorie et pratique sont méthodologiquement liées par la coopération entre le chercheur et les autres acteurs et par l’objectif de production de connaissance valide à la fois scientifiquement et pratiquement. Nous suivons pour ce faire les quatre critères de
Nobre (2006) :
1. Le principe de double complétude par une approche systémique et une perspective temporelle.
2. Le principe d’interaction où la recherche et la production de solutions sont contemporaines.
3. Le principe de multipositionnement théorique.
4. Le principe de double normativité, scientifiques et de participation libre.
Dans les deux cas, et pour ne pas verser dans le consulting, nous avons fait le choix de nous faire accompagner par un consultant pour accélérer la prise de décision et détacher la recherche de ce rôle.
Voici quelques mois, j'ai commencé à poster des images sur le réseau social Instagram. Je me suis soudain arrêté pour contempler le résultat : l'image déformée de la ville fluctuante.
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